Prix des Droits de l’homme de l’Onu, comme Mandela, ancien candidat à la Présidence dans sa Mauritanie natale, le fondateur du mouvement anti-esclavagiste IRA (Initiative pour le résurgeance du mouvement abolitionniste), Biram Dah Abeid, 52 ans, n’a pas caché son amertume et sa colère, dans l’interview qu’il a donnée mardi à La Libre Afrique.be, au sujet de la vague d’indignation qui sanctionne la mise en vente comme esclaves, en Libye, de migrants subsahariens. Il n’hésite pas à stigmatiser les dirigeants africains.
LLA: Depuis la diffusion sur CNN d’une vidéo postée sur internet montrant la vente de migrants noirs en Libye, l’indignation se répand à travers le monde. Qu’en pense le militant anti-esclavagiste que vous êtes?
BDA: Que cette indignation du monde libre soit tributaire d’une vidéo postée sur internet suscite chez moi beaucoup d’amertume car elle montre une régression de la sensibilité humaine. C’est bien de s’indigner de ce qui se passe en Libye, mais ce n’est que le reflet exacerbé de ce qui se passe en Algérie, au Maroc, en Tunisie, dans le Golfe… Beaucoup de chefs d’Etat, de gouvernements, de journalistes savent qu’existe toujours l’esclavage par ascendance – on naît esclave parce que vos parents sont esclaves – dans certains pays, dont la Mauritanie, qui en compte le plus grand nombre au monde. L’esclavage arabo-musulman n’a jamais été déconstruit et s’est reproduit, au fil des siècles, jusqu’à aujourd’hui.
BDA: Les dirigeants africains savent qu’ils ont toujours été dans la complaisance confessionnelle, continentale et tiers-mondiste depuis le temps des pionniers de la lutte contre l’esclavagisme en Amérique du Nord et de la lutte anti-apartheid: depuis lors, ils ont décidé de ne parler que d’un seul esclavage, celui perpétré par l’homme blanc, la traite par les Occidentaux. Par machiavélisme et opportunisme, ils ont décidé de couvrir du voile du mensonge deux autres types d’esclavage: la traite orientale, qui a saigné le continent autant que la traite occidentale, et l’esclavage intra-africain. Tous les esclavages se valent. Il y a une diaspora noire de dizaines de millions d’Africains qui ont été arrachés par une violence indicible à leur société pour être transportés en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, dans le Golfe et en Asie, où ils sont chosifiés.
Dans toute cette zone politico-culturelle, le noir est perçu comme un sous-homme, comme un esclave. La diaspora noire issue de la traite orientale – dans le monde arabo-musulman et en Asie – n’a jamais été soutenue par les Africains, qui ont pourtant appuyé les luttes contre l’esclavage pratiqué par des blancs. Ils veulent culpabiliser seulement l’homme blanc. Oui, sa culture est violente et, oui, les idées racistes n’ont pas encore été extirpées chez lui. Mais les autres racismes anti-noirs, aussi violents, n’ont jamais été remis en cause par les élites africaines, afro-américaines, arabes. Je leur lance un appel pour qu’elles se dressent contre l’esclavage des noirs au sein de leurs sociétés. Et j’appelle les Africains à soutenir la lutte des noirs au sein du monde arabe, en Mauritanie, au Nord-Mali, au Niger, au Tchad, au nord du Burkina Faso, au Soudan, etc…
Macron et d’autres s’indignent avec raison contre l’esclavagisme en Libye; pourquoi ne sont-ils pas choqués par la possession d’êtres humains en Mauritanie? Pourquoi les dirigeants africains acceptent-ils que l’Etat mauritanien tienne – selon la Constitution – un code religieux pour la principale source des lois, code qui autorise la vente, la mise en esclavage, la castration, le viol des noirs? Tous les rapporteurs spéciaux de l’Onu sur l’esclavage, sur le racisme, sur la torture, sur les Droits de l’homme ont certifié que la Mauritanie applique l’esclavage par ascendance aux noirs Haratines et persécute les militants anti-esclavagistes pacifistes.
LLA: Que dit-on en Mauritanie de ce scandale libyen?
BDA: Le chef de l’organisation islamiste mauritanienne Abbany Arassoul, Yehdhih ould Dahi, allié du pouvoir mauritanien, a envoyé un posting sur internet montrant la photo d’un Libyen qui pointe un révolver sur la tempe d’un noir, en y joignant son commentaire. Je le traduis: « Aux gens de l’IRA (NDLR: organisation de Biram Dah Abeid), impies et idolâtres, et leurs alliés dans la défense des Droits de l’Homme, ennemis de Dieu, je dis que ce que nous faisons n’est pas la promotion de l’esclavage mais l’application de notre religion. Je jure sur Dieu que l’esclavage est plus licite que la viande de mouton et c’est ce que prescrivent le livre de Dieu et la geste du Prophète (la summa). Et celui qui le refuse est un ignorant plein de haine envers l’islam et un prétentieux odieux qui veut propager les lois des organisations de défense des Droits de l’Homme et leur idéologie au détriment des versets du Coran certifiés. Que Dieu vous protège, gens de Libye, héritiers de Omar el-Mokhtar (NDLR: héros de la résistance libyenne à la colonisation par l’Italie, exécuté en 1931), je le jure, vous êtes revenus à la vraie application de la loi de Dieu dans son intégralité en vendant les esclaves.
N’en déplaise aux défenseurs des droits de l’homme, impies et idolâtres. Notre religion se propage. Je le jure, je suis heureux ». Yehdhih ould Dahi a posté ça le 26 novembre à 7h39 et personne ne l’a inquiété en Mauritanie, bien que celle-ci prétende criminaliser la promotion de l’esclavage. Et alors que son association n’a jamais déposé de demande de reconnaissance par l’Etat, elle a pu se constituer partie civile pour demander la peine de mort contre le bloggeur Mohamed Cheikh Mkhaiter, détenu pour avoir critiqué certaines décisions du Prophète.
Par Marie-France Cros.
source afrique.lalibre.be