Un expert psychiatre saisi par la justice a estimé que les principales accusatrices de Tariq Ramadan ont, en partie sous "emprise", accepté d'avoir des relations intimes avec l'islamologue mais n'ont pas consenti aux actes sexuels d'une "extrême violence" qu'il leur a fait subir.
Les juges d'instruction parisiens, qui ont mis en examen l'islamologue suisse pour les viols de quatre femmes, avaient demandé à un expert judiciaire réputé, le docteur Daniel Zagury, de déterminer si les liens instaurés par Tariq Ramadan avec elles relevaient "d'une relation d'emprise".
Après deux ans et demi d'investigations, le débat sur cette notion s'est imposé au coeur de ce dossier dans lequel les accusatrices ont parfois été mises en difficulté par la révélation d'échanges avec M. Ramadan, jugés "ambivalents" par les enquêteurs.
Dans ses conclusions, consultées mardi par l'AFP, l'expert estime que cette dimension d'emprise, vivement contestée par la défense, se retrouve dans les relations nouées avec les deux principales plaignantes, Henda Ayari et une femme surnommée Christelle, qui dénoncent avoir été violées respectivement en 2012 et en 2009.
Cette dimension "éclaire essentiellement la phase postérieure aux faits, rendant compte de l'ambivalence des sentiments et réactions et de la persistance du lien dans la durée". Concernant Mme Ayari, "pour la phase antérieure, il convient de considérer également l'intensité des sentiments amoureux qui l'ont amenée à consentir à une relation sexuelle", poursuit-il.
L'expert estime par ailleurs qu'"il serait erroné de considérer que seule l'emprise a conduit [Christelle] à consentir à une rencontre sexuelle".
- "Extrême violence" -
Mais pour les deux femmes, il conclut, à l'identique: "Ce à quoi elle n'a pas consenti, c'est aux actes qu'elle décrit comme un mélange d'extrême violence et d'absence de considération pour son propre désir et sa dignité".
Concernant une troisième plaignante, une femme de 37 ans apparue l'an dernier dans l'enquête, l'expert note que "si emprise il y a eu, c'est celle de l'état amoureux de X qui a vite cédé devant le constat de l'écart entre ses attentes et la nature de celles de Monsieur Ramadan".
"C'est d'un autre ordre qu'un viol physique, (...) il y a un viol moral", avait expliqué cette femme aux enquêteurs au sujet de ses deux rencontres avec le prédicateur en mars 2016 à Paris.
Les avocats de M. Ramadan n'étaient pas disponibles dans l'immédiat pour réagir.
"C'est une démonstration magistrale, scientifique et implacable qui vient corroborer ce que le dossier dit depuis maintenant deux ans et demi et qui explique les accusations portées par les plaignantes", a réagi Me Eric Morain, avocat de Christelle.
Pour l'un des avocats de Mme Ayari, Me Jonas Haddad, "cette expertise vient caractériser l'emprise instaurée par M. Ramadan", et donc établir "la contrainte" qui constitue la définition pénale du viol.
"Elle intervient dans un climat délétère puisque ma cliente a encore été agressée la semaine dernière par un partisan de Ramadan", a-t-il ajouté.
Pour retenir la qualification de viol, punie jusqu'à 15 ans de réclusion criminelle voire 20 ans en cas de circonstances aggravantes, les juges doivent démontrer que les pénétrations sexuelles ont été imposées "par violence, contrainte, menace ou surprise", selon le code pénal.
Si la jurisprudence reconnaît dans certains cas l'existence d'une "contrainte morale", elle reste difficile à prouver et fait l'objet d'âpres batailles judiciaires.
Lors de son dernier interrogatoire le 14 février, Tariq Ramadan a lui-même accusé les juges d'instruction d'être sous "emprise politique".
Après avoir nié toute relation extraconjugale, le prédicateur a dû changer de version face aux abondantes correspondances sexuelles exhumées par les enquêteurs. Il plaide désormais des "relations de domination", rudes mais "consenties".