Abidine Sidaty, Secrétaire Général du Comité des usiniers et exportateurs de poissons de la zone Sud (affilié à la Fédération Nationale des Pêches/FNP), dit tout. Il évoque le problème des industries de farine de poisson, les questions de l’acquisition, l’affrètement des bateaux et l’impact du conflit Russie/Ukraine...
Le Calame : Quel regard portez-vous sur l’actuelle situation globale du secteur de la pêche en Mauritanie ?
Abidine Sidaty : Le secteur de la pêche vit une situation précaire. Après deux années de pandémie (coronavirus), 2022 a débuté avec la guerre en Ukraine qui bouleverse l’économie mondiale et affole les milieux financiers.
- Votre organisation a mené une intense campagne contre les industries de farine de poisson, désignées sous le nom suggestif de moka, avec le soutien d’ONG nationales et internationales, il y a quelques semaines. Comment évaluez-vous cette action ?
- Effectivement nous avons un dénominateur commun avec certaines ONG dont Zakia et Greenpeace : la lutte contre l’industrie des farines de poisson et la pollution marine. Nous sommes convaincus que les côtes mauritaniennes étaient poissonneuses mais aussi victimes d’un pillage sans précédent de la part de milieux associant acteurs étrangers et complices nationaux. Une connexion entre malfaiteurs dont le résultat visible est une décennie de crise profonde pour le secteur de la pêche. Aussi avons-nous lancé des alertes pour arrêter ces impitoyables massacres de nos potentialités halieutiques.
- Quels sont les enjeux et défis qui restent encore à relever dans la stricte application de la réglementation à ces industries essentiellement concentrées à Nouadhibou ?
- Il est aberrant de rester indifférent devant le carnage orchestré par plus de quarante usines moka dans notre pays. Dotée de côtes plus étendues, le Maroc n’en a que trois, confinées dans l’exploitation des seuls poissons rejetés. Savez-vous que la tolérance touche, chez nous, à l’extravagance ? Les fariniers brûlent toutes les espèces pélagiques abusivement capturées, le cahier des charges n’est pas respecté et les oligarques de la décennie ont frappé fort, de 2008 à 2021, question farine de poisson. Résultat des courses, la disparition de plusieurs espèces de nos côtes : courbine, tessergale, tollo, aurita, anchois, mackerel, chinchard, pour ne citer que les plus connues.
- Depuis quelques mois, des sources concordantes évoquent un engagement du gouvernement à mettre en place une nouvelle stratégie de promotion du secteur de la pêche. Votre organisation a-t-elle été consultée à ce sujet ?
- S’agissant de la nouvelle stratégie du secteur, je ne pourrais pas m’y appesantir avant qu’elle ne soit officielle. À cet égard, je pense que la nouvelle stratégie sera présentée prochainement en conseil de ministres pour approbation. Je reste en tout cas confiant et garde l’espoir qu’elle va prendre en compte les vrais problèmes du secteur et y apporter des solutions idoines. Je constate avec satisfaction que le ministre des pêches nous reçoit régulièrement pour échanger sur nos problèmes et les conditions de travail, dans une parfaite collaboration avec le président de notre FNP. Cette démarche permet de transcender toutes les difficultés et de trouver des solutions convenables à nos problèmes multidimensionnels.
- Avez-vous connaissance des principaux axes de ce nouvel instrument de gestion du secteur ?
- Il est indéniable que le ministre actuel des pêches – un spécialiste du domaine – a pris les vrais problèmes du secteur à bras le corps. Ainsi a-t-il exigé le respect du cahier des charges en ce qui concerne l’industrie de la farine. Cette méthode de gouvernance est louable, courageuse et patriotique. Au passage, nous saluons les différentes initiatives du département. Vous avez dû remarquer, ces derniers temps, une campagne médiatique de salmigondis contre le ministre, basée sur la manipulation et truffée de mensonges, dans le seul but de le dissuader de sa volonté d’appliquer la loi pour le bien commun.
- Quelle est la réaction de votre organisation par rapport à la démarche des autorités au sujet de l’acquisition et de l’affrètement des navires ?
- Nous allons présenter une requête au ministre des pêches pour divers acquisitions et affrètements, afin de faire fonctionner nos usines et sauver les investissements colossaux que nous avons engagés. Il y a aussi des milliers d’emplois à préserver, ainsi que le marché local dont l’approvisionnement doit être assuré à des prix abordables pour les couches vulnérables des populations. Je suis optimiste suite aux contacts déjà entrepris avec la tutelle qui devraient déboucher sur des résultats fructueux et palpables.
- Quels sont les problèmes auxquels les usiniers sont actuellement confrontés dans l’approvisionnement du marché local en poissons ?
- Les usiniers sont confrontés à plusieurs problèmes, en particulier la production, avec plus de quarante complexes frigorifiques de traitement et congélation à Nouakchott qui n’arrivent pas à trouver comment se ravitailler, faute d’outils de production (bateaux ou pirogues).
- Comment est organisé le processus d’affrètement ou d’acquisition de navires nécessaires à vos activités ?
- Pour le processus d’acquisition de navire, c’est simple : il faut introduire un dossier avec toutes les caractéristiques techniques auprès du ministère des pêches pour obtenir un accord de principe. Une fois approuvé, le dossier est complété conformément aux dispositions de la loi en vigueur.
- Un mot au sujet de l’impact du conflit Russie/Ukraine sur l’activité des usiniers, notamment le coût de l’essence qui pose des problèmes en beaucoup de pays?
- La guerre en Ukraine suscite incertitudes et spéculations au niveau mondial. Notre pays fait partie de la chaîne internationale, aucun État n’est épargné mais notre gouvernement a déjà subventionné l’essence pour la pêche. Pourvu que cette guerre ne dure pas trop longtemps !
Propos recueillis par Seck Amadou
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