Très attendu par les Mauritaniens, le procès de l’ex-Président et d’une dizaine de ses collaborateurs et proches s’est ouvert le 25 Janvier 2023 à Nouakchott. Une première en Mauritanie : c’est en effet totalement inédit qu’un président de la République ayant épuisé deux mandats consécutifs à la tête de notre pays réponde devant une juridiction de faits de corruption, détournements d’argent public, obstruction à l’action la justice, etc.
C’est aussi la première fois qu’un tribunal spécialisé en jugement de corruption statue sur ce genre d’affaires. D’où l’intérêt des Mauritaniens à connaître les dessous de celle-ci très diversement perçue. Pour les accusés et leurs conseils, ce serait un règlement de comptes entre le gouvernement dirigé par le président Ghazwani et le prédécesseur de celui-ci. Deux hommes connus pour leur amitié « de quarante ans », leur parcours militaire commun, voire « complicité ». Cette proximité fit croire aux observateurs et à l’opposition que rien ne pourrait entacher leur relation au lendemain du départ du pouvoir de MOAA. Celui-ci croyait, naïvement peut-être, avoir remis les rênes du pouvoir entre les mains d’un alter ego à même de garantir ses bases arrière et donc de couvrir ses forfaitures. C’était peut-être mal connaître cet homme qui fut son chef d’état-major des armées pendant près de dix ans et son ministre de la Défense durant quelques mois. Certains mauritaniens avaient en vain réclamé un troisième mandat, Ghazwani ne semblait guère intéressé par le pouvoir : Ould Abdel Aziz pouvait donc penser reconquérir celui-ci à sa guise…
Crime de lèse-majesté, il prétendit alors contrôler le parti du pouvoir, une structure qu’il avait fondée de ses propres mains. Ce test fut son premier échec, une maladresse qui conduisit le nouveau Président, ses proches et tous les frustrés de la décennie à se liguer contre lui. Ses inconditionnels d’hier prêtèrent massivement allégeance à son successeur et la guerre des tranchées débuta. Les nombreuses rumeurs chuchotées à la fin du règne de MOAA au sujet de sa colossale fortune et de celle de ses proches prirent tant d’ampleur que l’Assemblée nationale se décida à mettre en place une commission d’enquête parlementaire qui conclut à des manquements énormissimes dans la gestion de l’ex-Président. Ould Abdel Aziz et deux de ses Premiers ministres, ministres, directeurs d’établissements publics et autres parents proches se voyaient épinglés. On évoquait sur la place publique des dizaines, voire centaines, de milliards dilapidés. Offusquée, l’opinion réclama des comptes. Bouclée, l’enquête parlementaire fut alors transmise à la justice qui doit désormais statuer. C’est le procès de la Décennie.
Triomphe du Droit ou… du deux poids, deux mesures ?
La justice mauritanienne affronte là une épreuve redoutable et redoutée. Redoutable en ce qu’elle peut – et doit – user de tous les moyens du Droit pour dire le Droit. Or, c’est bien connu, la justice des pays en développement est banalement accusée de collusion avec l’Exécutif en place qui nomme et révoque les magistrats. Les chefs d’État ne président-ils pas officiellement la rentrée des cours et tribunaux ?La justice mauritanienne n’est pas plus épargnée que ses consœurs. Cependant, le ministre de la Justice n’en a pas moins répété à maintes reprises – histoire d’écarter tout amalgame ? – que le gouvernement n’était en rien concerné par le dossier, « la justice est indépendante », martèle-t-il depuis le début de l’affaire.
Mais les avocats d’Ould Abdel Aziz ne l’entendent pas de cette oreille :« le gouvernement instrumentalise la justice », hurlent-ils,« pour régler des comptes à notre client ! » Et de convoquer en suivant l’article 93 de la Constitution et la haute Cour de justice, avant de se résoudre pour finir à défendre MOAA devant une justice ordinaire. Un Tribunal de la Corruption fondé à partir de la loi N° 2016 du 15 Avril 2016 relative à la lutte contre celle-là va donc juger l’ex-Président et ses coprévenus. Une loi votée, comme on le voit, sous le magistère de l’accusé N°1. L’arroseur arrosé… mais pouvait-il un seul instant imaginer que cette loi qu’il fit adopter aurait à statuer sur son sort ?
Après moult va-et-vient et refus de répondre aux questions des enquêteurs, Ould Abdel Aziz s’est incliné à demander son procès. Voici, comme dit tantôt, celui-ci ouvert depuis le 25 du mois courant. « Un procès illégal », fulminent toujours ses conseils, tout en qualifiant de « vide » le dossier qu’on leur a enfin remis officiellement… Un vide qui n’en comporte pas moins de quatre-vingt mille pièces à décortiquer en quelques jours, avant la reprise des auditions, le lundi 30 Janvier.
L’État et les accusés se sont attachés les services de nombreux avocats. La première équipe est dirigée par le bâtonnier de l’Ordre national des avocats mauritaniens –maître Ebetty, pour ne pas le nommer – fort bien rompu à la tâche. Son team va ferrailler avec d’autres ténors du barreau mauritanien, à l’instar de maître Ichidou, renforcés par des juristes étrangers comme maître Cledor Ly, un des plus grands pénalistes du Sénégal. Ce dernier a annoncé la couleur : « la police politique est décidée à humilier l’ancien Président ! ». À la justice mauritanienne de prouver donc le contraire, en déplaçant le débat sur le strict terrain du Droit.
C’est dire que le plateau est relevé et que les débats promettent de l’être. Souvent décriée, la justice mauritanienne doit prouver qu’elle est à la hauteur de la tâche. Elle dispose, comme l’a dit et répété le principal accusé, de magistrats intègres, bien formés et donc capables de dire le Droit sans trembler. C’est ce que les Mauritaniens et l’Afrique attendent. Il n’est pas permis à quiconque, fût-il président de la République, chef suprême des armées et président du haut Conseil de la Magistrature, de se comporter en « délinquant financier » dans son pays. Les Mauritaniens réclament à tue-tête la fin de l’impunité des hauts responsables placés à la tête des institutions de leur pays, ils s’élèvent contre la justice à deux vitesses : celle appliquée aux gens d’en bas (les pauvres) et celle réservée aux gens d’en-haut (les riches).
Dalay Lam
lecalame