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un grain de sable pour secouer la poussière...

Passions d’un engagement (1) Débarquement tardif à Nouakchott/Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

Jeudi 11 Janvier 2024 - 12:20

La confrontation idéologique
À la fin du mois d’octobre de l’année 1971, j’arrive à Nouakchott. Je suis transféré au Lycée National, le nouvel établissement réunissant tout le second cycle scolaire de notre pays. J’étais orienté en seconde C. Mon retard avait pour cause la mise sur pied d’une direction scolaire de relève au collège de Rosso (le Lycée est devenu collège après le transfert de son second cycle à Nouakchott).
À la Direction des Études, on m’informa que je n’avais plus de place dans les classes réservées aux élèves nationaux. On me signifia que je devais aller en seconde C2, une classe réservée aux élèves français, fils de coopérants. Sur une quarantaine d’élèves, on comptait à peine 5 mauritaniens. Djilitt Mint Zeine et Eslemhoum Mint Abdelmalik en faisaient partie.
 

Un programme scolaire « made in France »
Le programme scolaire en Mauritanie était encore, en ce moment-là, une copie conforme des programmes en vigueur en France. Le lycée de l’ambassade de France ne verra le jour qu’après la révision des accords de coopération entre la Mauritanie et la France, notamment dans leur volet culturel. Pour accroître les heures d’arabe, et ne pas toucher au programme français, il a fallu ajouter une année supplémentaire, c’est-à-dire une septième année au primaire, consacrée uniquement à l’enseignement de l’arabe. Même au temps du système colonial, bien avant l’indépendance de notre pays, sous l’effet de la pression de la revendication nationaliste, les autorités françaises se virent obligées d’introduire des heures d’enseignement en arabe dans le programme scolaire.
 

Nouakchott, capitale de la Mauritanie
À l’époque, Nouakchott comptait à peine 20.000 habitants, composés aux deux-tiers d’hommes, de fonctionnaires et de travailleurs, généralement des jeunes. Les jeunes femmes célibataires qui réussissaient à gagner Nouakchott parvenaient rapidement à se marier. Les moins jeunes, les plus libertines, pouvaient élire domicile à la Medina G.
La plupart des femmes de vie de Rosso émigrèrent à Nouakchott, accompagnant ainsi le mouvement général. La ville se situait dans l’espace comprenant l’Hôpital national, en passant par les limites séparant le quartier appelé Nouakchott-capitale et les futurs quartiers des deux SOCOGIM, K et PS, enjambant les États-Majors, celui de l’armée et celui de la gendarmerie, se prolongeant vers l’aéroport, jusqu’à la rue qui sépare aujourd’hui l’ancien quartier du Ksar et la moughataa de Teyarett. Un premier bidonville s’étendant sur une largeur de quelques 500 mètres occupait l’espace actuel du marché et de la mosquée marocaine, évoluant vers la place du marché aux poissons, formant une sorte d’hémicycle de la misère. Un « bidon-tentes » s’étendait à perte de vue dans l’espace occupé actuellement par le quartier ilot K, en face de l’ancienne ambassade de Chine. Ce gros campement fut le premier à porter le nom de « Tevragh Zeina », du nom d’un ancien marigot, situé dans cette zone. Au temps du nomadisme, il présentait l’avantage de garder les eaux de pluie dans un bon état, d’où le nom de « Tevragh Zeina », signifiant « qui se termine en bon état » pour la consommation humaine. La zone administrative et le quartier résidentiel, situés au nord de l’avenue Gamal Abdel Nasser, ancienne « Avenue de la dune», la seule voie bitumée de cet espace héritera de ce nom ; « Tevragh Zeina ».
L’ancien Ksar, les ilots A et les Médinas (Médina 3, Médina G et Médina R) formaient les quartiers à proprement dits populaires, habités généralement par de petits employés ou des fonctionnaires subalternes.
 

 

 

Le président Mokhtar, l’hôte de Ould Khayar
En 1977, Nouakchott fêtera le 20e anniversaire de sa création. Pour l’occasion et accompagnés par des journalistes des agences de presse officielles, nous avons sillonné, avec Mohamed Ould Khayar, le premier maire de la ville, les différents quartiers de Nouakchott. Il nous a rappelé d’abord, qu’il avait assisté en 1957, à la désignation de feu Boudah Ould Elbousseiri, comme premier Imam de la mosquée du Ksar, l’unique mosquée à Nouakchott en ce temps-là. Boudah remplaçait un vieux parent à lui décédé peu de temps avant. Avec Ould Khayar, nous avons alors visité les lieux symboliques des débuts de la ville. Parmi ces lieux, j’en retiens encore particulièrement sa propre maison.
À l’époque, elle se composait de deux bâtiments: l’un neuf, en dur, l’autre une vieille bâtisse en banco, encore en bon état. C’était son premier logement à Nouakchott. Il le gardait ainsi pour une raison particulière ; pour lui, les fondements de la Mauritanie contemporaine avaient été décidés ici. C’était, en effet, dans ce bâtiment qu’il recevait le président Mokhtar Ould Daddah avant la construction des bureaux administratifs, notamment ceux de la présidence.
Khayar disait que le président Mokhtar Ould Daddah passait tout son temps à jouer, à s’amuser exactement à la manière d’un enfant, avec des papiers. Il les coupait et découpait et leur attribuait des noms. Il les ordonnait sous forme de bâtiments. Ici, la présidence, là, les ministères, ailleurs l’hôpital, puis, par-ci, par-là, les autres institutions du nouvel État, qui se rapprochait beaucoup d’une cité chimérique, que d’une réalité palpable.

 

 

 

Les maisons coloniales chassées par nos commerçants
Le commerce général dominait l’activité économique. En dehors de l’usine de tissage des tapis à l’ancien Ksar, aucune unité industrielle n’avait encore vu le jour à Nouakchott. Des maisons coloniales, comme Peyrissac, Maurel Prom, Nosoco, Buhan-Teissère, spécialisées dans la quincaillerie et les produits du commerce général, conservaient encore leurs magasins sur les deux principales rues ouvrant sur le marché central. Elles fermeront au fur et à mesure leurs portes sous la forte pression des concurrents nationaux. Leurs semblables prospèrent jusqu’à récemment dans les pays africains voisins. Les hommes et les femmes de l’Adrar, endurcis par un milieu naturel très austère, vont profiter plus du nouveau contexte, caractérisé par une urbanisation accélérée, et marqué par un début d’essor économique et social. Les ressortissants des autres régions, appauvries subitement par la sécheresse, mettront beaucoup plus de temps pour s’adapter aux nouvelles conditions particulièrement difficiles.
 

Rosso transfére ses prérogatives à Nouakchott
La création du wharf de Nouakchott, suivi du port en eau profonde et la construction de la route de l’espoir, la première route nationale, traversant le pays sur sa longueur, vont accélérer le développement rapide de la ville. La capitale du Trarza, Rosso, souffrira énormément de cette évolution, puisque son rôle économique en pâtira pour toujours. Les milliers de manœuvres, colporteurs, pour la plupart d’anciens esclaves, chassés de la brousse par la sécheresse, qui pullulaient dans les rues de Rosso émigreront à leur tour au fur et à mesure à Nouakchott, gonflant ainsi ses bidonvilles. Ils vont accompagner en cela les nombreux commerçants ayant fait fortune à Rosso et ayant transféré leurs biens à Nouakchott, nouvelle ville qui leur offrait de meilleurs perspectives en matière d’affaires.
 

La route de l’espoir donne de l’espoir
L’idée d’une route nationale, correspondant à la route de l’espoir, remonte à la fin des années quarante. Un ingénieur français aurait exprimé de fortes réserves sur ce projet. Il aurait prophétisé qu’en facilitant la circulation des personnes, sa réalisation allait favoriser l’exode rural. La grande sécheresse qui va débuter en 1969 va lui donner raison. Les bidonvilles et les bidons-tentes vont faire leur apparition pour la première fois autour des grandes villes du pays, notamment dans les banlieues de la capitale, Nouakchott. Il faut reconnaître qu’il n’est pas très réaliste de comparer, plus ou moins objectivement, les nombreux avantages, plus qu’évidents, et les inconvénients probables d’une route qualifiée depuis sa création d’espoir du pays.
En réalité, l’exode rural a pour principale origine la grande sécheresse des années 70 et ses effets désastreux sur l’ensemble de la vie nationale. Le phénomène du chômage apparut brutalement chez nous. Des centaines de milliers de personnes se trouvèrent subitement sans la moindre source de vie, suite à la destruction rapide et systématique de l’économie rurale. Des dizaines de milliers de bouches en quête de nourriture. Des milliers de bras à la recherche du travail se déversèrent sur la ville, et la ville fut l’unique recours, c’est-à-dire l’unique espoir.
Sans la route de l’espoir, un nombre incalculable de citoyens auraient péri dans les coins les plus reculés, à l’insu de la communauté internationale. Cette situation, à la fois exceptionnelle et inextricable, explique en grande partie le succès vertigineux du mouvement du MND. Tout le pays s’embrasa. Le mouvement de contestation submergea tout, comme une étincelle dans une plaine de paille sèche. C’est probablement, en grande partie, le secret de notre réussite contre un régime dirigé par un chef d’État de l’envergure de Mokhtar Ould Daddah.


(À suivre)

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