Nous arrivons à Nouachar, un point d’eau situé non loin de chez le lieu de résidence de nos parents vers le crépuscule. Abdou me proposa de continuer avec lui, avec l’engagement de m’accompagner le lendemain chez moi, chez nous tous, puisque ses parents étaient des nôtres. Je refusais et descendis. La pluie cessa momentanément. Je fis la prière du Maghreb. J’emballai mes bagots dans un imperméable dont un grand poste radio, offert naturellement par Mohameden dit Deyna mon cousin maternel. Mes habits et plusieurs livres faisaient partie du baluchon. Depuis les années 50, un tracteur refaisait régulièrement les pistes servant de pare-feux. L’une passait par Nouachar pour se prolonger jusqu’au lit du lac Rkiz. Le campement de nos parents se trouvait en ce moment exactement sur cette piste, à peine à 2 kilomètres du lac. Je m’engageai dans cette piste au moment où les dernières lueurs de la lumière du jour disparaissent. Une épaisse obscurité, amplifiée par la pluie qui reprend de plus belle, s’installa. Je ne vois plus rien sauf les éclairs qui sillonnent un ciel alourdi par les nuages prêt à me tomber sur la tête. Un vacarme insupportable, produit par de furieux tonnerres, complète ce spectacle d’horreur.
Un spectacle d’horreur
À plusieurs reprises, j’essaie d’observer des pauses. Un froid glacial, doublé d’un vent violent, m’en empêcha. Marcher, marcher, toujours marcher, est le seul moyen de limiter ses effets néfastes sur moi. Mes habits, tous en coton, sont chargés d’eau glacée. Ils sont collés à mon corps.
Depuis le début, pour éviter de m’égarer, je décidai de garder toujours le même cap, la même direction. Comptant sur la largeur de la piste, il m’arrivait de fermer les yeux pendant plusieurs minutes. En dehors de mes jambes, qui ne cessaient de bouger, seule ma conscience travaille en permanence. Elle m’entourait d’un climat d’images et de bruits divers, à la fois trompeurs et terrifiants. Tout ce que je souhaitais voir ou entendre défile devant mes yeux et ses bruits se relaient dans mes oreilles. Dès fois, j’étais au milieu des tentes d’un campement. Des feux se présentaient à quelques mètres de moi avant de reculer pour disparaître momentanément. Des vaches beuglent, des chèvres ou des moutons bêlent, un échange de propos entre personnes se faisait entendre juste à côté de moi... heureusement rien ne me surprenait. J’ai tout prévu. Mes dernières lectures d’encyclopédies m’armèrent contre ce genre de phénomènes de la nature, si fréquents le long du lac Rkiz et environs. Dans mes lectures des encyclopédies, je vais apprendre, par exemple, que les vieux os émettent la nuit un phénomène de fluorescence, c’est-à-dire des lumières incandescentes, souvent mobiles et se présentant sous diverses formes.
L’effet bénéfique de l’arme scientifique
Le lac Rkiz constitue l’un des plus grands cimetières d’os d’animaux, de poissons et de personnes. Si je n’étais pas scientifiquement armé, j’aurais fait inévitablement une crise de folie inguérissable. Ma décision était donc de ne me laisser tromper par aucune de ces hallucinations de l’esprit. Je tiendrais compte seulement de ce qui se présentera comme indéniable, concret, physiquement palpable. Une fois je sentis que j’étais au milieu d’un gigantesque cimetière. Loin de m’affoler, cela me réjouit plutôt. En effet, le cimetière familial de Haballa, se trouvait juste sur la piste du « grader », à 3 km du campement. Grader ou tracteur est couramment appelé « Samba Atali ». « Atali » veut dire la route. Il se pourrait que le premier conducteur, de ce genre d’engins, connu par les ruraux portait le nom de Samba. Sur son passage, le grader entoure chaque cimetière d’une piste de protection contre les feux de brousse. Je ne cessais de piétiner les nombreuses tôles servant de pierres tombales.
Je m’écroulais parfois dans des branchages épineux placés sur des nouvelles tombes. Tout ce que je craignais c’était d’être mordu par un serpent venimeux. Je doutais du lieu. Il se pourrait que je me fusse égaré et que le cimetière en question puisse être un autre différent de celui de Haballa. Je marchais en permanence. Je me disais que si je suis sur la bonne direction, je retrouverai tôt ou tard le lit du lac Rkiz. Si ça arrive, je reconnaîtrais facilement tout point du lac que je croise. Sinon, je continuerais à marcher jusqu’au matin.
La délivrance
Après de longues heures de marche, un rapide éclair passa devant mes yeux, ouverts heureusement en ce moment. Des tentes, de vraies tentes apparemment, m’entouraient de toutes parts. Brusquement, un autre éclair me fera voir un enfant nu courant derrière des cabris. Puis une voix féminine lança: « Jemal, ramène les cabris par-là !». C’était incontestable: je suis bel et bien au milieu de notre campement, notre vrai campement, pas son double habité par des diables, comme on nous disait dans notre enfance. Je rentrai dans la tente à côté. J’y retrouvai la tante paternelle Toutou et ses enfants dont le futur lieutenant militaire feu Jemal Ould Ahmed.
Un traitement traditionnel efficace
Quarante-huit heures après, je tombais gravement malade. L’autre tante paternelle, Elkhaitt, ma seconde maman, durant ma jeune enfance, réussira à me soigner à l’aide d’un traitement à base de produits traditionnels comme la gomme arabique et le lait de chèvre ou de mouton.
Avant le début de l’année scolaire 1971-1972, les autorités décidèrent de transférer au Lycée de garçons de Nouakchott tout le second cycle des établissements du pays. Le Lycée de garçons prendra le nom de Lycée National. Un moyen, peut-être, de chercher à contrôler les élèves les plus âgés et de soumettre les plus petits restés dans les collèges. À Nouakchott une école primaire, l’école Khayar pour les uns, baptisée désormais le collège Soumeyda pour nos camarades, abritera provisoirement le premier cycle du Lycée de garçons. La mesure visait surtout à casser la résistance du lycée de Rosso.
La relève
À l’ouverture, je me suis absenté un mois à Rosso pour préparer l’avant- garde destinée à prendre la relève au Lycée de Rosso, devenu un collège avec le transfert de son second cycle. Feu Sidia Ould Cheikh (futur officier de l’armée nationale) et Brahim Ould Ebeti (futur avocat et bâtonnier de l’ordre des avocats), tous les deux de Boutilimitt, feront partie de la nouvelle direction locale. Bien que parents proches du président Mokhtar Ould Daddah, comme bon nombre des militants de l’époque, ils se démarquaient de tout esprit tribaliste ou régionaliste. Il faut reconnaître, plusieurs décennies après, que leur attitude est difficile à comprendre aujourd’hui par le commun des mortels chez nous.
(À suivre)
lecalame