Cher ami
Je te reviens ce soir, comme annoncé avant-hier, pour articuler davantage mon propos. Mais je dois rappeler que nous avons convenu de rester sur le thème de la gouvernance, sans pour autant l’évaluer dans une approche heuristique – au sens premier du terme – qui se conduit à travers un processus comportant plusieurs étapes dont la finalité est une analyse de la situation actuelle et de sa formation historique pour en tirer des leçons pertinentes autant que possible.
La réflexion ici sera alors menée non pas dans cette approche méthodologique qui repose sur un travail de recherche et de découverte impliquant des consultations diverses ainsi que de synthèse des données et commentaires recueillis pour affiner l’analyse, mais je vais la conduire plutôt à la façon d’un simple observateur, c’est-à-dire de manière spontanée et fragmentaire pour ne pas dire rudimentaire.
Cela étant dit pour fixer les idées, venons-en maintenant aux éléments constitutifs de l’handicap systémique sur lesquels j’avais précédemment annoncé vouloir revenir pour compléter le tableau de notre involution.
Au plan politique, le paysage n’est franchement pas moins affligeant que la situation socio-économique précédemment évoquée, puisqu’il en est la résultante. L’absence de culture historique – nourrie par la considération des différentes représentations collectives de la société – et de vision politique volontariste ou simplement ambitieuse, l’incompétence que l’on retrouve souvent à la tête d’importants centres de décisions de l’Etat, le faible niveau d’engagement moral lié à la gestion des ressources du pays et à la non application des mesures coercitives qui s’y rapportent... voilà la marque distinctive dudit handicap qui a façonné notre élite politique et engendré la mal-gouvernance.
Mais le problème de fond d’une telle situation, c’est qu’elle est si tentaculaire et préjudiciable qu’elle ne s’identifie pas uniquement par sa composante politique. Elle compte en son sein plusieurs catégories socioprofessionnelles : des fonctionnaires et hauts responsables de l’Etat, des acteurs économiques et affairistes de tous genres, des chefs traditionnels, des lobbies que l’on peut qualifier de facilitateurs et même des religieux, etc.
Chaque composante joue sa propre partition dans la perpétuation de cette situation et reçoit en contrepartie une promotion administrative ou politique, une absolution des actes délictueux de mauvaises gestion ou de détournement de deniers publics, des avantages sous forme de marchés ou de remise gracieuse d’impôts, ou tout simplement d’immunité fiscale (en droits de douanes par exemple), sans oublier les scandaleuses attributions foncières complaisantes et les acquisitions frauduleuses de terrains à travers des ventes aux enchères orientées.
Un gâteau à partager
Voilà comment, au fil du temps, on a livré le pays au partage comme un gâteau...
Pour dire que tout cela est fondé sur la recherche d’intérêts égoïstes et nul ne se soucie vraiment des préoccupations de la population et de l’avenir du pays. A l’exception d’une petite minorité, tout ce monde-là fait semblant au point d’induire parfois le chef en erreur, jusqu’à le pousser à proclamer des promesses qui finiront le plus souvent par se ‘’perdre dans le vent’’...
Il s’agit pourtant des mêmes hommes, depuis tant d’années, qui se regroupent cycliquement pour des simulacres de soutient massif à un nouveau régime ou pour jouer de nouveaux rôles à l’occasion d’échéances électorales, dans un jeu d’alternance démocratique ; lequel jeu consiste à substituer à un officier un autre à la tête de l’Etat, tout en sachant que la même situation continuera à confiner le pays dans une torpeur de plus en plus envahissante.
Encore qu’il faille tout même reconnaître que notre grande muette ne s’est jamais montrée de façon notoirement visible dans le landerneau politique, que sa présence dans les gouvernements successifs fut toujours limitée, que maintenant cette présence est quasiment nulle aussi bien dans le gouvernement que dans les administrations centrales et territoriales ; on peut même ajouter, sans esprit partisan, qu’elle a imposé une forme de stabilité politique depuis qu’elle s’est installée à la tête de l’Etat. En comparaison à celles des pays de la sous-région, on doit s’en réjouir jusqu’au plus haut point.
Seulement, du point de vue de la gouvernance, on ne peut honnêtement rendre hommage aux officiers qui se sont succédé à la tête de l’Etat – depuis plus de quatre décennies – et qui se sont toujours appuyés sur la collaboration de la même catégorie d’hommes, dont la majorité souffre parfois d’inconscience historique, si bien qu’elle a largement submergé et dénaturé les valeurs civiques et morales qui fondent une bonne gouvernance de la chose publique.
Appartiennent à cette catégorie, nombre de cadres et acteurs politiques, comme ce personnage emblématique qui faisait référence, il y a quelques années, au dernier verset de la Sourate Qouraïches (106) du Coran pour clamer haut et fort, sans rougir de honte, que l’ex-président (Mohamed Abdel Aziz) avait largement donné satisfaction aux besoins primaires et vitaux des populations, « en les préservant de la famine et en les délivrant de la crainte ».
Autrement dit, ces officiers-là ont laissé se rependre dans la société une mentalité si nocive qu’elle a conduit les citoyens à devenir, année après année, plus complices que victimes de la mauvaise gouvernance.
lecalame