Vous êtes prévenus : Pour écouter Tarba raconter son histoire, il faut avoir de la patience. J’ai passé une journée avec elle au siège de SOS Esclaves, à Atar, et à « Netteg », le quartier pauvre où elle vit avec ses deux enfants, son mari, et son neveu « El id », qui vient de fuir ses maîtres et se démène pour faire venir sa mère et ses sœurs « de là-bas ».
Tarba parle de son « parcours » : El karkar, une localité qu’elle situe quelque part au Tagant, une région du centre de la Mauritanie. Elle dit avoir été donnée, en cadeau, par son maître, à son fils, à la naissance de celui-ci. Quand ? Elle ne sait pas. Tarba doit avoir la soixantaine. Peut-on la croire quand elle dit que sa mère a été affranchie par ses maîtres et a préféré partir loin, en Adrar, pour y finir ses jours, quand elle a été maintenue en esclavage ? Elle n’en veut pas à cette mère qui l’a abandonnée, la laissant garder les troupeaux de ses maîtres jusqu’au jour où elle décide, elle aussi, de mettre un terme à sa servitude. C’est sa maîtresse, Mariem Mint N…qui lui mit la puce à l’oreille quand elle parle de sa mère qui vit maintenant à Atar. Toute la nuit, Tarba ne dormit pas. C’est décidé, demain, en allant faire paître les animaux, elle ne reviendra pas. Elle fuira l’enfer d’El guerjam, une localité qu’elle situe dans les environs d’Achram Aftout, en Assaba, assure-t-elle.
Sa fuite la conduit à Al Ghayra et c’est un restaurateur qui la sauva, de justesse, de son maître parti à sa recherche à dos de chameau, raconte-t-elle. Ce « sauveur » la cacha le temps de trouver le moyen de l’envoyer à Nouakchott avec comme seul bagage l’outre qui lui a permis de ne pas mourir de soif lors de sa fuite. Un membre de SOS Esclaves précise que ces évènements se sont déroulés en 1992, trois ans avant la création de l’organisation qui ne sera reconnue qu’en 2005, et qui s’occupe aujourd’hui de Tarba en essayant de l’aider à « bien » finir ses jours en savourant les bienfaits de la liberté, même si elle supporte toujours le poids de la pauvreté et de l’ignorance.
A Nouakchott, Tarba retrouvera sa condition d’esclave, en vivant avec la sœur de sa maîtresse, à Lemzelga. L’esclavage urbain (le travail sans rémunération) lui paraissait pourtant plus supportable que la vie qu’elle menait dans un coin perdu de la « Mauritanie profonde ». Elle vivait avec l’espoir de pouvoir partir un jour rejoindre sa mère à Atar.
Dans la capitale de l’Adrar, en cette fin de 2017, un quart de siècle après avoir fui ses maîtres, Tarba mène un autre combat : survivre. Et aider son neveu El Id à « libérer » sa mère et ses sœurs, toujours esclaves, selon elle, malgré toutes les démarches entreprises par SOS Esclaves. En revenant de son « abri » de Netteg (je n’ose parler de « maison »), elle me montre une immense bâtisse et me chuchote : « c’est là où elles vivent » (en parlant de sa sœur et de ses filles).
Dans sa fuite, elle-même avait abandonné ses enfants (un garçon et une fille). C’est pour les libérer qu’elle avait contacté, à l’époque, SOS Esclaves. Aujourd’hui, sa fille Mbarka est mariée et son fils travaille comme manœuvre.
Libre mais…
A Atar, Tarba s’est essayée comme bonne. Elle a aussi constitué un « semblant » de famille, dit-elle. J’ai compris que c’est elle qui est « l’homme ». Elle qui doit se démener pour faire vivre les autres.
Tarba a travaillé un temps dans le projet de vente de couscous encadré (financé) par SOS Esclaves pour des femmes haratines à Atar. De constitution fragile, elle a fini par abandonner mais continue toujours de bénéficier du soutien de l’ONG sous une autre forme.
Car, sans moyen, les anciens esclaves sont tentés de revenir voir leurs anciens maîtres (ou les cousins de ces derniers). La sœur de Tarba lui reproche d’ailleurs d’avoir fui et résiste à la « tentation » de suivre son exemple.
Tarba suit aussi les cours d’alphabétisation de SOS Esclaves mais voudrait que l’école « vienne vers elle » ! « Les classes doivent être à côté », dit-elle. Car ce n’est pas tous les jours qu’elle a le moyen de payer le taxi pour se rendre au siège de l’ONG qui a ouvert deux classes pour les enfants et les adultes d’une communauté haratine dont le Mal, après les affres de l’esclavage, est l’ignorance et la pauvreté.
Les boutiques financées par SOS Esclaves, sous forme d’AGR (activités génératrices de revenus) sont certes une initiative louable, mais elles ne peuvent être LA solution aux problèmes que l’Etat se doit de considérer comme l’une de ses priorités sociales et humanitaires en guise de réparation pour un préjudice moral et physique de très longue date.