Le Calame : Le 20 décembre 2023, vous avez organisé un sit-in pour réitérer votre demande de voir le gouvernement officialiser les langues nationales Pulaar, Soininké et Ouolof. N’avez-vous pas le sentiment de prêcher dans le désert ? La répression qui s’est abattue sur vos différentes manifestations ne vous a-t-elles pas découragé ?
Doro Gueye : - Merci, encore une fois de plus, de me donner l'occasion de m'exprimer à travers notre grand journal, Le Calame.
Pour revenir à la question, nous savons pertinemment que c'est un combat de longue haleine, qui d'ailleurs n'a pas commencé avec OLAN. La particularité de OLAN est peut-être sa nouvelle touche, sortir dans la rue, rendre publique la nécessité non seulement d’enseigner nos langues, mais de les officialiser, sensibiliser partout en montrant qu'on peut bien tout acquérir par nos langues nationales.
La répression ne nous a jamais fait reculer, on s'attend même au pire, du moment que nous sommes dans un pays où le droit du citoyen est très souvent ignoré. Nous sommes dans la légalité, nous ne réclamons pas le ciel, mais juste, l'officialisation de toutes nos langues nationales, par des moyens pacifiques. Quel est le mal en cela ? Ce qui est sûr, aussi longtemps que Dieu nous prêtera la vie, nous continuerons, so Allah jaɓii (S’il plait à Dieu), à dénoncer cette injustice. Le découragement ne nous flirte jamais l’esprit, nous sommes déterminés à gagner ce combat juste et noble. Vous savez, j'ai fait un petit tour pendant les vacances d'été dernier en Allemagne, en France, en Italie et en Belgique. Le travail que nous avons fait là-bas n'a fait que me renforcer dans mes positions, nos langues et nos cultures sont les moteurs de notre développement.
- Quels sont les implications de l’adoption de cette nouvelle réforme de l’éducation ? Quelle place réserve cette loi aux langues nationales Pulaar, Soninké et Oulof ?
- L'adoption de la loi suit sa logique comme cela a été dénoncé par OLAN dès le début. Une simple manipulation, en utilisant le sort des langues, sachant que l'objectif était clair dès le début : l'arabisation totale du système éducatif. Juste des miettes réservées aux langues, servant d'appât. Les responsables n'ont jamais respecté les langues et ne croient même pas à celles-ci. Ce qui fait mal, en tant que militant, c’est que, ceux qui sont censés défendre les langues s’érigent en défenseurs de cette loi, qui n'est autre qu'une bombe venue écraser ces langues en creusant encore plus l'inégalité entre celles-ci. Je ne pourrais comprendre cette position qu'à travers les intérêts personnels qui sont en jeu.
- Au cours de votre prise de parole vous avez insisté sur l’officialisation de ces langues avant leur introduction dans le système éducatif. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
- À quoi cela va nous servir que nos langues ne soient enseignées que comme des langues de communication ? Dans ce cas qui perdra son temps à mettre son enfant dans ce même système. D'ailleurs, même cette soi-disant expérimentation qui n’a aucune justification, n'est qu'une façon de faire traîner un droit longuement réclamé.
- Après l’adoption du projet de loi, quelles sont les mesures prises par le gouvernement pour sa mise en œuvre ? Quelle évaluation vous en faites ?
- Mais le gouvernement a déjà commencé à appliquer la loi avant même la lettre. Dans la loi, il était dit clairement '' en attendant la généralisation de l'enseignement des langues, tout l'enseignement sera dispensé en arabe...'''. Qui ose dire qu’il est surpris de voir l'arabisation en 3ème année du primaire ? À quoi cela va nous servir donc l'enseignement des langues dans ces conditions, si les langues devraient être là pour aider ? Sinon, pour une réforme dans une réforme, s'il n'y a pas une volonté manifeste d'opprimer les autres langues.
L'arabisation sera totale dans trois ou quatre ans, pendant ce temps-là, les enfants des riches vont continuer dans les écoles ''françaises'', et ceux des pauvres croupissent dans l'école arabisante dite ''républicaine''. Vous voyez alors l'hypocrisie qui saute aux yeux ?
- Vous avez dénoncé une période d’expérimentation de ses langues avant leur introduction à l’école. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
- Les langues ont fait l’objet d’expérimentation durant vingt ans, de 1979 à 1999. Cette expérimentation était sanctionnée par une évaluation positive par de grandes institutions dont notre propre ministère de l'éducation nationale. Tout le monde sait que l'expérimentation des langues dont on parle n'est rien d'autre qu'un simple prétexte pour juste arabiser tout le système. Je rappelle qu'avant l'adoption de la loi, aucun des défenseurs des langues n’était pour cette expérimentation. Maintenant, elle est défendue becs et d'ongles par certains d'entre eux, mieux, ils l'accompagnent. C'est maintenant que l'on comprend la fameuse formule ''won ko dañaa'' (un pas a été franchi) Mdrrrrr.
- On ne voit pas beaucoup les associations pour la promotion de ces langues à vos côtés. Ce combat n’est-il pas le leur ?
-Avant oui, maintenant certains des membres de ces associations accompagnent l'expérimentation, comme je l'ai expliqué précédemment. Évidemment, en Mauritanie, les intérêts personnels priment sur tout. Regardez qui sont là-bas ? Qui ils sont réellement ? Qu'est-ce qu'ils sont en train de faire ?
Tous ceux qui continuent à marteler l’officialisation des langues et contre l’arabisation à outrance sont dans une question politique ; alors que les associations ''culturelles'' qui accompagnent les politiques sont toujours ''culturelles''. Quelle logique ! Mdrr
- Vous avez également martelé que vous n’êtes pas contre l’arabe mais l’arabisation imposée. On vous reproche d’être contre la langue arabe ?
- Bien sûr que non. Nous considérons l'arabe comme l'une des langues de notre cher pays, comme toutes les autres langues nationales. On ne le dira jamais assez, on compte beaucoup dans les communautés noires de la Mauritanie qui ont contribué à la promotion de la langue arabe pas moins que les arabes de la Mauritanie. Ceci n'est pas seulement dans notre pays, mais dans toute l'Afrique de l'Ouest, comme tout le monde le sait, il y a eu des grandes écoles à ce titre depuis les époques de nos grands empires et royaumes de Manna, Tonnjoŋ, Termess, Tam-tam, Gaana,.. jusqu' à Tekrour. On a toujours été là pour tous, on voudrait bien que tout le monde respecte cette belle diversité culturelle et linguistique. On est juste contre cette arabisation qui est venu nous écraser.
-L’adoption de ce projet de loi est-elle de nature à consolider l’unité nationale comme l’a dit le gouvernement ?
-Cette loi est venue confirmer une vision suprémaciste. Toutes les langues et cultures doivent être tenues et traitées sur un pied d'égalité devant la justice, l'éducation, l'administration, etc. Mais, il n’est un secret de polichinelle ici, que tout non locuteur de l'arabe, est aujourd'hui considéré comme un citoyen de seconde zone en Mauritanie.
-Vous avez évoqué une sorte d’hypocrisie des responsables mauritaniens qui ont conçu la nouvelle réforme du système éducatif. Concrètement de quoi s’agit-il ?
- J'ai presque déjà répondu à cette question. C'est simple, il faut juste faire un tour dans les écoles à programme ''français''. Vous ne verrez que les fils de ceux qui nous gouvernent. Ceux-là même, qui tympanisent avec ''école républicaine'' que leurs enfants ne fréquenteront pas. L'école républicaine est là pour perpétuer la domination parce qu’elle maintient dans l’ignorance les enfants de familles qui n'ont pas les moyens de fréquenter les meilleures écoles.
Propos recueillis par Dalay Lam
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