Pour Marième Derwich «l’écriture est plurielle ». Elle-même se dit «victime de sa multipluralité» et qu’elle vit une dualité douloureuse, tiraillée entre un ici, source de ses racines paternelles et un ailleurs, terre de sa mère. En fait, son «Mille Je » serait en réalité «Mille UN». Cette multipolarité est à la fois pour Marième Derwich une richesse et un fardeau. Métisse, elle se dit être «la fille de gens qui ont porté leur propre mémoire», ce qui ne l’empêche pas d’être coincée dans un dilemme identitaire qui lui fait faire d’incessants aller-retour dans sa vie qui est à la fois ici et ailleurs. Marième de souligner qu’elle est «dans la recherche perpétuel d’un point nodal entre son ici et son ailleurs », sentiment angoissant de n’être ni d’ici ni d’ailleurs. Cette douloureuse dualité transparaît ainsi dans ses chroniques et dans sa poésie. Et jusque-là, elle déclare ne pas avoir encore réglé ses problèmes de mémoires. Ainsi, le seul endroit où elle a senti qu’elle n’avait plus envie d’écrire, parce que se sentant enfin elle-même, ni «Marième, la Mauresque » ni «Marième, fille de la Nazaréenne Chantal», c’est durant son séjour de deux ans en Nouvelle Calédonie.
Pour Yacoub Khattari, l’écriture est un moyen de régler les problèmes identitaires. Son ouvrage sur «Les Résignés», un plongeon dans les strates de la société féodale mauritanienne, serait le fruit de longues observations pendant ses années d’enseignant, dans les années 90.
De la langue de l’écriture
Pour Brahim Bakar Sneiba, le passage de l’écriture engagée, «La Mauritanie entre les chars et les urnes» à l’écriture spirituelle romanesque, «Soufi, le mystique qui fait peur», le fait penser au titre d’un célèbre journal satirique mauritanien «Chi Loh V’Chi » ou «sauter du coq à l’âne». Pour lui, le premier ouvrage ne serait que l’écho d’une révolte née d’une injustice qui l’avait conduit en prison, (dans la trame du coup d’état manqué de2003 : Ndlr), puis de sa révocation de l’armée. Pour Brahim, les littéraires forment un microcosme fermé différent des scientifiques, car là où l’imaginaire et le rêve servent souvent de trame, ici, on se heurte au monde froid des chiffres et des certitudes ancrées. Pour lui, «l’ailleurs est souvent plus proche qu’on ne l’imagine».
Mais la langue de l’écriture semble aussi jouer un rôle prépondérant dans le rapport de l’ici et de l’ailleurs, entre le moi qui exprime et l’autre qui reçoit.
Pour Bakar Sneiba, «j’ai l’impression dans mes ouvrages que je n’écris pas en français, mais dans ma langue paternelle», mettant en exergue cette dichotomie commune à tous ceux qui pensent s’exprimer dans une langue autre que celle de leur propre culture.
Pour Marième Derwich, «j’écris la langue de ma mère, une langue par rapport à laquelle je ne cultive aucun complexe, et face à laquelle je ne me pose aucune question». Pour elle, s’interroger déjà sur la langue de l’écriture, est un acte politique et idéologique.
Pour Eddy Harris qui écrit en anglais et se fait souvent traduire en français, bien qu’il manie la langue de Voltaire, «je rêve et je pense en anglais, mais j’écris en français ». Pour lui, il ne cherche ni à s’enraciner en France, pays dans lequel il a choisi de vivre, ni à se déraciner des Etats-Unis, son pays qu’il aime profondément.
Si Eddy Harris écrit souvent ses ouvrages là où ses pérégrinations le mènent, Mbareck Beyrouk s’est déclaré lui, incapable d’écrire en dehors de son pays et de ses racines.
La table-ronde s’est achevée par une séance question-réponse entre les écrivains et le public, agrémenté de quelques contributions fort enrichissantes.
Il faut rappeler que le Festival «Traversées Mauritanides» qui en est à sa 8ème édition (14-19 décembre 2017) , a été lancé en 2010 par Moussa dit Bios Diallo, journaliste, poète, écrivain, auteur de plusieurs ouvrages : «Une vie de Sébile », «De la naissance au mariage chez les Peuls de Mauritanie », «Les Pleurs de l’Arc-en-ciel », les «Os de la Terre» (recueil de poèmes).
Cheikh Aidara
source aidara.mondoblog.org