La problématique des faux médicaments en Mauritanie n’est pas un phénomène nouveau. Depuis la privatisation en 1981 du secteur des pharmacies, un trafic illicite de faux médicaments s’est développé, animé par des armées de commerçants véreux et souvent quelques officiers de l’armée. Ce juteux trafic n’a cessé d’attirer du monde vu les énormes bénéfices qu’il génère, même si c’est au détriment de centaines de vies. Beaucoup n’hésitent pas à lier ce trafic au nombre élevé de cancers recensés en Mauritanie. Aujourd’hui, le nombre de malades mauritaniens du cancer dans les hôpitaux du Maroc, du Sénégal et de la Tunisie, pour ne citer que ceux-là, serait des plus élevés dans la sous-région.
Sous la pression de l’OMS
L’alerte aurait été donnée tout dernièrement avec la menace brandie par l’OMS de classer la Mauritanie parmi les pays exportateurs de faux médicaments. D’où l’enquête précipitamment diligentée par le ministère de la Santé qui s’est toujours vanté de la qualité des contrôles sur la qualité des médicaments vendus dans le pays. Le rapport encore confidentiel de l’enquête, selon des fuites obtenues par la presse, parle de 60 à 100.000 tonnes de faux médicaments qui seraient en stock ou en circulation. Une affaire grave sous-tendue par des réseaux fortement implantés qui bénéficieraient d’une totale impunité.
Des mesures inefficaces
Malgré la révision de la loi de 2008 qui ouvrait l’activité à tout Mauritanien et l’adoption en 2010 d’une nouvelle loi qui restreignait la vente des médicaments avec des sanctions sévères à la clé, le trafic n’a jamais cessé de s’étendre, de se diversifier et de prendre de l’ampleur. La Mauritanie commençait à trainer la vilaine réputation de plaque tournante des faux médicaments en Afrique de l’Ouest, menaçant dangereusement d’inonder les pays voisins. L’image des autorités politiques en prenait un sacré coup, elles qui étaient de plus en plus accusées de laxisme dans leur couverture de la forfaiture.
En quelques années, quelques 29 grossistes de médicaments et 700 pharmacies étaient décomptés pour une population de 3 million d’habitants. Au Sénégal, et avec 14 millions d’habitants, on ne compte qu’environ 6 grossistes, 5 en Côte d’Ivoire (19 millions d’habitants), 6 au Mali (14 millions). Dans les pays européens avec 50 millions d’habitants, on ne dénombre guère plus de 5 à 10 grossistes.
L’arsenal juridique et institutionnel mis en place semble avoir été conçu juste pour la décoration, avec un Laboratoire national de contrôle de la qualité des médicaments impuissant face aux lobbies des commerçants souvent couverts par des personnages clés de l’Etat, ainsi que la démission de la Direction des Pharmacies et des Laboratoires et la Direction des Douanes. Et Le reste de la chaîne semble tout aussi gangrénée, en l’occurrence la Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels et Consommables (CAMEC) ainsi que les autres officines agrées.
Les causes du mal et ses racines
Sont mis en cause, l’absence de contrôle aux frontières, la persistance de lacunes dans la législation, la faiblesse des services de contrôle sanitaire, la porosité des points de passage aux frontières et l’impunité qui couvre les trafiquants.
Les faux médicaments proviennent essentiellement de Chine, Inde, Emirats Arabes Unis. Mais la Mauritanie n’est pas le seul pays touché par le mal. C’est tout le continent africain qui a été transformé en un énorme dépotoir de faux médicaments. Mais la Mauritanie semble prendre la tête du lot. Les pharmacies à ciel ouvert y ont pignon sur rue. Ce sont de véritables réseaux qui se sont créés et développés tels une gangrène, en partant des gros importateurs, en passant par les grossistes, les détaillants et les ambulants. Pratiquement, tous les médicaments semblent être touchés par le phénomène, des antalgiques aux antipaludéens, en passant par les dermocorticoïdes, les sildenafil (viagra), etc.
Des milliards d’UM de chiffres d’affaires sont en jeu et aucune ligne de la loi de 2010 n’est respectée, malgré les protestations des professionnels de la santé et des médicaments qui, voient les ravages que ce trafic de la mort exercent sur les patients mauritaniens. Beaucoup mettent en cause la complicité du ministère de la Santé et ses démembrements. « L’Etat mauritanien néglige la santé des Mauritaniens » déplorent certains d’entre eux. Ils vont plus loin et accusent les autorités de parrainer un trafic qui se déroule sous leurs yeux.
Moins chers, plus nocifs
Au lieu de vendre des médicaments homologués et prescrits par les médecins, les pharmaciens proposent en général leur équivalent, moins cher, donc un faux. Les pauvres sont les principales victimes. Résultat, les malades mauritaniens ne guérissent jamais et risquent même d’attraper des maladies plus graves, dont le cancer.
Qu’il est loin le temps où les acteurs félicitaient le gouvernement mauritanien pour les mesures prises pour lutter contre les faux médicaments. C’était en 2008, à la création du laboratoire contrôle-qualité. Quelle euphorie avait aussi accompagné la fermeture en 2015 de 3 grands distributeurs, accusés de vente de faux médicaments, en l’occurrence, Amal Pharma de Mohamed Ould Ebnou, député influent de l’UPR (parti au pouvoir), Origine Pharma et El Mina-Pharma de Dahah Ould Isselmou et de Maouloud Ould Mah. Un simple coup d’épée dans l’eau. Un répit. Puis, le commerce de la mort a repris depuis lors son silencieux et sombre cours.
Cheikh Aidara
source aidara.mondoblog.org