En 2011, Yargue et Saïd, deux enfants mauritaniens asservis depuis leur naissance, osaient briser la loi du silence en attaquant leurs anciens maîtres en justice. Histoire d’un combat pour la liberté et de l'expulsion de notre journaliste. Il ne fait pas bon enquêter dans ce pays de l'Ouest de l’Afrique.
Tiphaine Gosse · 28 minutes de lecture
Saïd a l’œil vif et la détermination du boxeur qui s’apprête à monter sur le ring. Tête haute, l’adolescent de 16 ans à la silhouette filiforme traverse la salle d’audience d’une démarche assurée. Son cadet, Yargue, 13 ans, une frimousse de poupon, lui emboîte le pas. Les deux frères se placent côte à côte au premier rang, silencieux.
Cela fait longtemps que la peur que leur inspiraient leurs maîtres a disparu. En 2011, lors du procès en première instance, les esclavagistes inculpés, sept au total, avaient tous nié les connaître. Une fois à la barre, les enfants ne s’étaient pas laissé démonter pour autant et avaient, tour à tour, énuméré les noms de leurs bourreaux en les pointant du doigt. Cinq ans plus tard, leur ardeur est restée la même. Lorsque les prévenus prennent place dans le box des accusés, les garçons restent droits comme des piquets, le visage de marbre, prêts à encaisser. C’était le 24 novembre 2016.
Depuis une semaine, l’aîné ne pensait plus qu’au verdict. Réveillé aux aurores, Saïd s'est aspergé le visage d’un peu d’eau avant d’enfiler sa plus belle chemise. Dehors, il fait déjà chaud. En ce mois de novembre, Nouakchott, capitale poussiéreuse de la Mauritanie, est étouffante. Les rues de Péka, quartier pauvre situé en périphérie de la ville, sont désertes. Seules quelques chèvres vagabondent au milieu de vieilles bâtisses.
Accroupi dans la cour de sa maison, une modeste baraque en pierres posée sur le sable, ses yeux noirs perdus dans le vide, les traits tirés vers le bas, le jeune homme trempe machinalement ses lèvres dans son verre de thé à la menthe encore brûlant. Ses joues, plus creusées que d’ordinaire par la fatigue, accentuent la maigreur de son visage.
- Tu as bien dormi? lui demandé-je en m’asseyant à ses côtés.
- Je n’ai pas fermé l’œil. Tout tournait en boucle dans ma tête, me répond-il en mettant une poignée de feuilles séchées à infuser sur un vieux réchaud.
Saïd fait partie des rares anciens esclaves à avoir accepté de me parler. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, l’omerta qui entoure l’esclavage est telle que, même une fois libérés, la plupart des affranchis gardent le silence, craignant de se voir emprisonner s’ils venaient à témoigner. Si l’adolescent s’est montré quelque peu craintif au début, au fil des semaines, une véritable confiance a fini par s’installer entre nous. «Je suis né sous un arbre, je n’avais aucun papier et j’ignorais mon nom, me livre-t-il. Lorsque que l’on m’appelait esclave, cela me faisait plaisir, je pensais cela était écrit par Dieu, que c'était donc normal. Il marque un silence, lève les yeux vers le ciel, puis ajoute d’un ton sec: J’étais dans l’obscurité, mais maintenant j’en suis sorti.»
Fils d’une esclave, son avenir était tracé avant même sa naissance. Comme des milliers de Mauritaniens, lui et son cadet sont nés captifs. Bien qu'aboli depuis 1981, l'esclavage par ascendance (l'enfant d'une esclave «hérite» de sa condition) perdure dans le pays. De nombreux Haratines (descendants d’affranchis noirs africains, soit 40% de la population) conservent le statut d’esclave et, à ce titre, sont toujours considérés inférieurs à leurs maîtres, issus quant à eux de la communauté maure (descendants de conquérants arabo-berbères, 30% de la population).
La suite de cette histoire est payante.
La suite de cette histoire est payante.