Sur toutes les plateformes des réseaux sociaux, le débat national semble se concentrer sur un seul homme, celui qui tient depuis des années le haut du pavé de l’actualité politique et sociale. Il s’appelle Birame Dah Abeid et sa percée politique toujours ascendante, selon ses partisans, constituerait une véritable menace à la pérennité du système militaire de 1978, système qui s’est toujours déguisé sous des oripeaux civils depuis la Constitution de 1991, mis à part la courte parenthèse du défunt Sidi Ould Cheikh Abdallahi (2006-2008) dont le bref passage au palais brun serait aussi intimement lié aux militaires.
La virulence des attaques personnelles, presqu’au bout de l’insulte, s’accélère au fur et à mesure que la fièvre pré-électorale enflamme les rangs des partisans du camp présidentiel, l’œil rivé sur les joutes en vue en 2023 et en 2024. Et les coups viennent de partout, même de ceux qui semblent partager avec lui le même combat au sein de l’opposition. S’il était une statue, soutient ses partisans, il serait couvert de vomissure
La guéguerre entre ses partisans et ses détracteurs anime les débats et déchaîne les passions. Birame Dah Abeid, c’est le politique qui fait actuellement le buzz et ses sorties médiatiques via les réseaux sociaux, ainsi que ses déplacements populaires à travers le pays, constituent le nerf névralgique d’une opposition qualifiée de « debout » par ses militants, face à la classique opposition rendue aphone, selon les mêmes sources, depuis l’accession au pouvoir en 2019 de l’actuel président de la République, Mohamed Cheikh Ghazouani. D’ailleurs, ils soutiennent que ce dernier est tout simplement l’héritier d’une succession de palais, ayant profité d’un fauteuil présidentiel qui lui fut offert sur un plateau d’argent par Mohamed Ould Abdel Aziz, l’ami de quarante ans.
L’ami Ghazouani et le démenti d’une promesse
Depuis la dernière présidentielle de 2019 dont le dernier acte a été marqué par le déploiement de l’armée, de ses chars de combat et de ses unités spéciales dans les quartiers de Nouakchott, la jeunesse des banlieues n’a cessé d’en vouloir à Birame Dah Abeid. Le deal que le leader abolitionniste et candidat malheureux de ces élections, aurait noué avec le nouveau président élu et son régime, a été jugé comme une trahison par des milliers de jeunes qui semblaient n’attendre qu’un signal de sa part pour aller au charbon. Par la suite, ses sorties « élogieuses » envers le régime en place, allant jusqu’à déclarer qu’il a trouvé son ami, en la personne de Mohamed Cheikh Ghazouani, selon une certaine opinion, aurait eu pour effet de faire baisser sa côte de popularité auprès d’une jeunesse assoiffée de changement et qui voyait en lui le leader qui allait les conduire vers le sacrifice suprême pour la refondation de la Mauritanie. Cette jeunesse désabusée se trouvait ainsi conforter dans chaque sortie où Birame Dah Abeid « chantait les louanges de l’homme fort du pays et des ministres de son gouvernement », notent en substance ses détracteurs.
En effet selon cette opinion, un bon mariage de raison s’était tissé entre le régime de Ghazouani et Birame qui s’accrochait à l’idée qu’il allait enfin recevoir la reconnaissance de son organisation droit de l’hommiste, l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) et son bras droit politique, le parti pour la Réforme et l’Action Globale (RAG).
Cette connivence, selon les détracteurs de Birame, aurait été marquée par d’incessantes audiences que lui accorda Ould Ghazouani au Palais présidentiel, alors que ses rendez-vous avec son prédécesseur, Mohamed Abdel Aziz, s’est résumé pendant une décennie en une série de confrontations dans les ruelles enfumées de gaz lacrymogènes à Nouakchott, et dans les salles d’audience des palais de justice.
Certes, Mohamed Cheikh Ghazouani respecta l’une de ses promesses, puisque le mouvement IRA sera reconnu et son récépissé délivré au cours d’une cérémonie solennelle présidée par le ministre commissaire aux droits de l’homme en janvier 2022. Une certaine opinion soutient en outre que Birame est parvenu même à faire recruter plusieurs jeunes de son mouvement dans divers organismes publics, comme l’Agence Taaazour, et eu même le plaisir de voir certains fonctionnaires de son directoire, promus à des postes supérieurs. Mais pour la deuxième promesse relative à la reconnaissance du parti RAG, elle restera en suspens.
Les Faucons du régime prennent la main
Le rapprochement entre Birame Dah Abeid et le président de la République, Mohamed Cheikh Ghazouani ne plut guère aux faucons du régime, d’après certaines analyses. Il s’agit principalement de Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, cousin, ami d’enfance, confident et surtout disciple de la famille Ghazouani, pointé du doigt par le courant IRA/RAG. Sur la page de l’Agence Mauritanienne d’Information (https://www.interieur.gov.mr/fr/node/26) la biographie du ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation reste cependant tristement vide. Cet administrateur civil qui avait occupé ce même poste du temps du Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) sous feu le président Ely Mohamed Vall, avait alors disparu de la circulation en 2007. Dès sa prise de pouvoir, Ghazouani le rappelle et le nomme Directeur de cabinet à la Présidence de la République. D’ailleurs, les mauvaises langues disent que c’est le véritable détenteur du pouvoir et qu’aucun ministre du gouvernement n’ose aller contre sa volonté. En avril 2022, il prend les commandes du Ministère de l’Intérieur pour organiser les futures échéances électorales.
Ses détracteurs le qualifient d’autoritaire, imbu de sa personne et surtout foncièrement suprématiste et unilingue, un arabisant pur et dur qui mépriserait la langue française et ses locuteurs. Ses amis le décrivent comme un administrateur hors pair, un véritable renard politique.
Birame et ses militants considèrent cependant l’actuel ministre de l’Intérieur comme un ennemi juré du mouvement IRA et du parti RAG. Ils lui prêtent l’idée qu’un « descendant d’esclaves » ne doit pas croiser le fer avec un « chef spirituel ». Son objectif, selon eux, écarter Birame Dah Abeid des prochaines consultations électorales.
Plusieurs faits confirmeraient ces propos, d’après leur analyse. Premier acte, l’incident d’Atar où la police arracha la banderole du parti RAG en plein meeting populaire de Birame. Deuxième acte, l’interruption du dialogue politique inclusif où le parti RAG et le parti des Forces Progressistes du Changement (FPC) étaient conviés. D’ailleurs, des rumeurs ont circulé sur la grogne de quelques leaders de l’opposition qui se seraient mal vu en présence de Oumar Ould Yali et de Samba Thiam, dont les partis ne seraient pas officiellement reconnus. Certains auraient même lié la présence des deux leaders au dialogue politique et le boycott des assises par l’emblématique leader harratine Messaoud Boulkheir. Troisième acte, l’arrestation et la déportation en fin septembre 2022 de cinq militants de IRA/RAG dont deux dames à Kiffa sur une plainte déposée par un homme tabassé au cours d’un meeting animé par Birame et au cours duquel il aurait copieusement insulté le leader au milieu de ses partisans. Devant le tribunal de Kiffa, l’homme retira sa plainte unilatéralement. Il aurait été manipulé par les barons locaux qui voulaient en découdre judiciairement avec Birame, selon la version des soutiens de ce dernier.
S’agissant du dialogue politique initié sous la houlette de l’ancien Secrétaire général à la Présidence de la République et actuel ministre de l’Agriculture, Yahya Waguev, des partis dits de l’opposition auraient décrié la rupture d’un dialogue politique qui se voulait inclusif sous sa conduite. Mais lorsque ce dialogue politique qui voulait remettre sur la table les grandes questions nationales, telles que l’esclavage, l’éducation et le Passif Humanitaire, entre autres, se mua sous la baguette magique de Mohamed Ahmed Mohamed Lemine en un banquet autour de la question électorale, les dissensions se turent, parce qu’entre autres, Birame et son clan ont été mis à l’écart, ainsi que le président Samba Thiam. Seul déserteur dans les rangs des partis politiques conviés, l’Alliance pour la Justice et la Démocratie-Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) d’Ibrahima Moctar Sarr selon qui de simples ententes électoralistes ne sauraient remplacer un véritable débat national.
Mais Birame et ses partisans estiment qu’ils n’ont pas seulement le ministre de l’Intérieur sur leur dos, ils accusent aussi le Premier Ministre, Mohamed Bilal Messaoud, de faire partie des faucons qui cherchent la mise à mort politique de Birame. Ce dernier verrait dans la montée populaire du leader abolitionniste, un réel danger pour la reconduite de Mohamed Cheikh Ghazouani pour un second mandat.
Sur le dos des faucons, les partisans de Birame citent la campagne de diabolisation dont il fait l’objet et où l’ennemi a jeté toutes ses forces et tous ses moyens, utilisant les manipulations vidéos pour déformer ses propos, payant des mercenaires de la plume pour l’attaquer sur toutes les plateformes et les médias, ressusciter ses vieilles recrues de la cinquième colonne, en l’occurrence les anciens transfuges d’IRA, et même des vieilleries politiques du troisième âge.
Mais tout cela, n’augure-t-il pas d’un retour de Aziz au pouvoir ?
Tout ce remue-ménage ne serait-il pas le prélude à un retour de Mohamed Abdel Aziz au pouvoir, sinon l’accomplissement d’un deal entre celui qui tenait à respecter sa promesse de ne pas briguer un 3ème mandat et son successeur déclaré ?
Une certaine analyse penche sur la non disponibilité de Mohamed Ould Ghazouani à briguer un second mandat, malgré les apparences. Cette vision évoquerait un accord passé entre lui et Mohamed Abdel Aziz, si l’on sait que l’élection de Ghazouani en 2019 a été préparée, planifiée et organisée par ce dernier. Sinon, personne ne pouvait parier un sou sur un inconnu du sérail sans assise populaire et sans aucune expérience politique. Le deal serait « je te fais président en 2019, et en 2024, je reviens au pouvoir ». Ainsi, tout aurait été minutieusement préparé, le dossier de la décennie, lâcher un peu de lest à Birame, faire croire à une inimitié entre les deux hommes, les tracasseries administratives et judiciaires. Tout serait pure mascarade visant à installer une inimitié qui n’a jamais existé. Sinon, la brutale rupture entre deux hommes liés par quarante ans de pouvoir, le discours d’investiture de Ghazouani et ses louanges dithyrambiques à l’endroit de Aziz, le fait que Aziz lui ait préparé le fauteuil présidentiel en le désignant comme son dauphin…Et puis, brusquement une guerre fratricide sans raison. Tout cela aurait dû mettre la puce à l’oreille des observateurs les plus avertis.
Aujourd’hui, Mohamed Abdel Aziz jouit de toute sa liberté et ne court aucun risque d’être traîné devant les tribunaux. Il se repose à Paris, se promène entre les restaurants chics de la capitale française et se ballade entre deux examens médicaux. A l’approche des échéances électorales, il retournera tranquillement en Mauritanie et se présentera à la prochaine présidentielle. Il trouvera un terrain tout préparé, avec un bilan catastrophique de Ghazouani sous l’ère de qui les Mauritaniens se sont massivement appauvris et où les détournements des deniers publics et les injustices sociales se sont accumulées sans aucun bilan à défendre. D’ailleurs, de plus en plus de personnes n’hésitent plus à regretter son époque, pourtant l’un des pires épisodes de la Mauritanie contemporaine.
Entre les jeux yoyo du système à vase clos où des militaires à la retraite se passent le relais au-dessus des souffrances des Mauritaniens, les partisans de Birame soutiennent qu’une personne est désignée à la vindicte populaire, comme un os que l’on jetterait à la postérité pour les détourner du grand cirque qui se prépare. Pour eux, Birame est cet os sur lequel se jettent des meutes incultes et éborgnées.
Cheikh Aïdara
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