Le Calame : Vous venez de mettre sur pied un comité regroupant les usiniers et les exportateurs de poissons de la zone Sud. Pourquoi cette nouvelle structure ? N’existait-il pas déjà une section de la Fédération nationale des pêches regroupant ces opérateurs ?
Béchir Hassena : D’abord, permettez-moi de remercier Le Calame pour cette opportunité et l’intérêt accordé à notre secteur ainsi qu’à notre Fédération. Vous avez raison de dire que le comité existait déjà et regroupait en son sein ces deux grands acteurs du secteur. Mais notre nouvelle approche, aujourd’hui, est de doter ce comité – très particulier en ce qu’il allie l’artisanal à l’industriel, en passant par la commercialisation – d’une autonomie administrative et financière vis-à-vis de la section Sud de la Fédération Nationale des Pêches (FNP) à laquelle il est affilié. Cela devrait lui permettre de travailler de manière plus efficace et d’optimiser son impact socioéconomique. On peut dire que ce comité est aujourd’hui la colonne vertébrale de la filière artisanale de cette zone Sud et nous devons donc essayer d’en faire une véritable locomotive de la croissance économique et la base de l’émancipation du secteur artisanal.
- La pêche connaît depuis quelques années une véritable crise qu’est venue accentuer une surexploitation attribuée à la flotte étrangère. Pouvez-vous nous résumer brièvement les principaux problèmes auxquels fait face le secteur artisanal dont votre comité est l’émanation ?
- Cela fait en effet quelques années que le secteur traverse une crise sans précédent. À tous les niveaux. Vous avez bien raison de dire que la surexploitation dont on accuse, et pas tout-à-fait tort, une certaine flotte étrangère en est un facteur aggravant, tout comme la crise sanitaire qui terrasse le monde aujourd‘hui. Mais ce ne sont malheureusement que des points qui viennent s’ajouter à la multitude d’autres problèmes dont souffre notre secteur et ce depuis bien plus longtemps.
Prenez l’exemple de la production artisanale actuellement quasiment inexistante. Les usines en souffrent tout comme le marche local. Ce n’est pas seulement dû à la surexploitation de la ressource par une quelconque flotte étrangère. À mon avis, il s’agit plutôt d’une absence de flotte artisanale capable de ravitailler régulièrement le marché. Jusque là, ce service était assuré par des pirogues sénégalaises affrétées par des opérateurs mauritaniens. Elles se sont vu chassées, du jour au lendemain, sans vraies raisons, sinon purement politiques et en tout cas pas techniques.
Notre flotte artisanale nationale ne peut, à elle seule, assurer l’approvisionnement du marché. Mais, comme je l’ai dit tantôt, la production n’est pas le seul problème. Nous en éprouvons également au niveau de la commercialisation de nos produits sur le marché international. Le produit mauritanien est aujourd’hui loin d’être compétitif par rapport à celui de nos voisins comme le Maroc ou le Sénégal. Pour la simple raison qu’il supporte beaucoup trop de charges, entre surtaxations fiscale et douanière, en passant par des taxes fixes astronomiques liées à l’énergie dont le coût de consommation est déjà très élevé dans un pays pourtant aujourd’hui prétendument exportateur de son électricité vers les pays voisins. A cela vient s’ajouter le problème de la SMCP en déphasage total avec la réalité des marchés internationaux.
En quelque sorte, le secteur supporte beaucoup plus qu’il ne le peut. À chaque fois que des problèmes ou manques budgétaires se font sentir, on compense immédiatement en augmentant les taxes sur la pêche. Prenez par exemple la dernière augmentation de la commission prélevée par la SMCP sur les exportations : elle a bondi de 7%, pour arriver à environ 12.5%, tout simplement parce que les prix du fer avaient, à l’époque, baissé de manière brutale et qu’il fallait compenser les pertes.
Je rappelle au passage que, si les prix du fer sont aujourd‘hui revenus à la normale, l’administration n’a pas reconsidéré cette commission qui n’existe, notons-le également, qu’en Mauritanie. Tout ceci fait qu’aujourd’hui que nos usines ne tournent qu’à environ 15% de leur capacité et que les prix, très élevés, du poisson sur le marché ont atteint un niveau inégalé. Autre résultat des courses, les exportations attribuables à la filière artisanale ont baissé de plus de la moitié.
En fait, il faudrait, pour faire le tour de tous les problèmes auxquels fait face le secteur, bien plus qu’un seul entretien, tant en est malheureusement longue la liste, impossible à évoquer brièvement.
Mais ce que je peux vous dire avec certitude en peu de mots, c’est que le secteur est globalement en grand danger, si des mesures rapides et efficaces ne sont pas prises dans l’immédiat et, surtout, en concertation avec les opérateurs.
- Parmi ces problèmes, vous avez cité la surtaxation imposée par l’État. Pouvez-vous nous donner plus d’indications sur les impôts et taxes que tout opérateur est sommé de payer ?
- Il y en a trop, surtout pour les produits destinés à l’exportation. Comme je vous l’ai dit, en plus de la SMCP qui prélève à la base environ 12.5% de la valeur de nos produits, nous payons des redevances à quasiment toutes les institutions du secteur, comme le port artisanal à qui nous versons une redevance de 1.5% de la valeur de nos produits, ou le marché aux poissons de Nouakchott qui en perçoit également 1.5 %, sans compter les taxes infligées à l’établissement de chaque document nécessaire à nos exportations, qu’il soit sanitaire ou autre.
Les taxes douanières appliquées aux exportateurs de poisson frais atteignent 6.5% et sont accompagnées, elles aussi, d’une multitude d’autres taxes, au prétexte que le poisson frais ne passe pas par la SMCP, chose absolument unique car, des taxes douanières à l’export, j’en ai rarement vues.
Vous pouvez ajouter à cela tout ce qui relève des impôts courants : IMF, BIC, TA, ITS, patente, etc. ; et je pense en avoir oublié pas mal. Ces taxes plombent vraiment le secteur et réduisent beaucoup notre champ d’activité. Alors que nos côtes regorgent de poissons, avec plus de trois cents espèces sur lesquelles nous pouvons travailler, nous en exploitons actuellement à peine trente car les autres ne sont pas rentables en raison du poids des taxes.
- Comme vous l’avez signalé, la SMCP vous prélève 12,5 % de la valeur des produits exportés, alors que dans les pays voisins et concurrents sur les mêmes marchés, les exportations sont, soit complètement exonérées, soit légèrement taxées. Trouvez-nous normal qu’on continue à traîner ce boulet qui date de la période d’exception ?
- Comme vous le savez, la SMCP a pour mission de commercialiser les produits mauritaniens et de contrôler les entrées de devises du secteur. Ce sont à ces fins qu’elle perçoit ladite commission. En ce qui concerne la commercialisation, elle n’intervient que dans la fixation des prix de référence : la commercialisation est en réalité assurée par les producteurs eux-mêmes qui se débrouillent tant bien que mal, malgré des prix de référence toujours en déphasage total avec les réalités du marché international – jusqu’avec même l’élémentaire loi de l’offre et de la demande ! – bien entendu sans tenir compte des voisins que nous sommes supposés concurrencer. En réalité, la seule chose qui motive la SMCP, c’est de préserver un certain niveau d’entrée de devises, quel que soit le prix à payer, commercialement parlant.
Opérateurs, nous trouvons normal que le rapatriement de devises soit assuré et que le pays puisse aussi bénéficier des retombées de ce secteur, en appliquant des prélèvements et des redevances… mais en tenant bien évidemment compte des intérêts commerciaux de nos entreprises ! Si l’administration juge que la SMCP doit être maintenue – et quoique ce système n’existe que dans notre pays, je vous le rappelle – nous pouvons le comprendre mais il faudrait entièrement le réactualiser, pour qu’il n’handicape plus le secteur.
- Vous arrive-t-il de vous concerter avec les pouvoirs publics sur la conjoncture ? Les différents ministres sont-ils conscients des véritables enjeux et du danger de la situation présente ?
- Il y a lieu de souligner que les autorités en place sont disponibles et ouvertes aux échanges, le dialogue passe bien, nous apprécions beaucoup ce climat et, surtout, le sens de la collaboration. Mais le secteur est complexe ; la crise, principalement due à un passif difficile à résoudre rapidement ; nous sommes donc dans une démarche graduelle, en prenant avec patience la lenteur des réformes car nous mesurons la difficulté à laquelle font face les autorités. Le ministre de tutelle soutient et assure le leadership de cette démarche de transformation progressive que nous voulons tous.
Quant à nous, nous faisons tout pour montrer aux autorités notre volonté d’appuyer leurs efforts. Certes, les opérateurs, y compris moi-même, voulons que les choses aillent plus vite et pensons que, seul, le ministre ne pourra pas faire des miracles. Le problème est réellement national et les autorités au plus haut niveau doivent apporter leur soutien aux actions entreprises par le ministre.
- Le gouvernement vient de lancer un fonds d’appui à l’élevage, après celui consacré à l’agriculture qui existe depuis quelques décennies… avec le résultat qu’on sait. Pourquoi n’y en a-t-il pas un pour la pêche dont l’impact sur l’économie est connu ?
- La pêche fait en effet face au manque de financement et, surtout, à l’inadéquation de l’offre financière nationale aux particularités du secteur. Oui, le retard infrastructurel et les enjeux de normalisation nécessitent la mise en place d’un fonds d’appui. Cela dit, je pense que nous devons assainir le secteur et travailler à améliorer son cadre de gestion pour viabiliser tout potentiel fonds. Je veux dire par là que si nous arrivons à trouver et arrêter des solutions pour la valorisation, la commercialisation, la fiscalité et l’organisation interne du secteur, le financement sera plus utile et l’argent public soumis à un cadre plus efficace. Nous devons apprendre du passé et veiller à ne pas commettre les mêmes erreurs qu’en d’autres secteurs économiques.
Propos recueillis par AOC