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« The cancel culture », à l’assaut du racisme contemporain.Par maître Taleb Khyar Mohamed Mouloud*

Jeudi 27 Juillet 2023 - 08:36

« The cancel culture », à l’assaut du racisme contemporain.Par maître Taleb Khyar Mohamed Mouloud*

Admettre par convention ou par construction la contemporanéité du racisme, c’est admettre par extrapolation que le racisme puisse également être post-contemporain ; c’est aussi admettre son existence par le passé ; il y aurait un racisme d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Le racisme serait donc une constante, affectée toutefois d’une variable temps qui permettrait d’en déterminer les principales fonctions, et d’en relativiser les effets, au vu de la période de référence choisie.
Le racisme qui a suscité la révolte des haïtiens contre les armées napoléoniennes, celui qui a provoqué la lutte des peuples d’Afrique Australe contre les régimes ségrégationnistes, sont différents en intensité et en violence de celui contre lequel le pasteur Martin Luther King et le poète Léopold Sédar Senghor prêchaient, pour le premier la non-violence, l’éloge du métissage pour le second.
Tous ces racismes seraient différents du racisme ambiant, celui d’aujourd’hui que dénoncent les militants de la «cancel culture », et qu’ils choisissent de définir sous le vocable de « racisme contemporain », auquel ils opposent dans une dynamique belliqueuse par endroits, « l’antiracisme contemporain » , sans égard pour l’universalisme dont les vertus à leurs yeux n’auraient d’autre valeur qu’incantatoire, comme le suggère dans un langage mesuré, et empreint de modération, l’ex-ministre français de l’éducation nationale et de la jeunesse Pap N'diaye, en ces termes : « l’antiracisme contemporain, dans l’ensemble, ne tourne pas le dos à l’universalisme : il cherche à l’approfondir, en évitant qu’il soit incantatoire, abstrait ou « décharné », selon le mot d’Aimé Césaire. C’est un pragmatisme : faire reculer les discriminations plutôt que s’épuiser à extirper le mal de la tête des racistes ».
 

Un mal systémique

Ce pragmatisme expliquerait la variété des racismes, appelant des solutions différentes les unes des autres, «l’antiracisme contemporain » privilégiant parmi ces solutions : « The cancel culture ».Que signifie cette expression ?
Une traduction littérale nous donne « annulation » pour cancel, et culture pour « culture », une traduction intelligible du tout, étant : « culture de l’effacement » même si la littérature spécialisée fait plutôt usage des termes : « culture de l’annulation » ; il reste à préciser que l’objectif à atteindre par l’effacement (annulation), c’est l’autre, perçu comme raciste aux yeux des militants de la « cancel culture ».
La « cancel culture », est née aux Etats-Unis, à l’aube du nouveau millénaire, dans le sillage du « wokisme », inspiré lui-même des mots : « I staywoke », titre d’une chanson, repris comme slogan inscrit sur les pancartes brandies par le mouvement « Black livesmatter », dans ses manifestations pour l’accès des afro-américains aux droits civiques, ou en réaction aux dérives répressives subies par cette communauté.

Jacques Toubon décrit la représentation que se fait le « wokisme » du racisme, de la manière suivante : « un mal systémique contaminant toutes les institutions des nations ayant pratiqué l’esclavage ou de la colonisation ».
Le « wokisme » se fixe comme objectif stratégique de traquer, débusquer, dénoncer la personne présumée raciste, en utilisant parmi d’autres moyens, l’annulation, l’effacement de l’image du raciste présumé qu’il faut rendre invisible.
Cela se traduit en pratique, par l’usage de moyens de communications dédiés à cet effet, dont l’efficacité relève du partage en temps réel de l’information grâce à l’utilisation généralisée, et en réseaux, de la blockchain, permettant la révélation instantanée des actes présumés racistes, aussi bien sur le plan local qu’international.
Ce droit de révélation, nullement comparable à celui des lanceurs d’alerte, met les militants de la « cancel culture» en position de réclamer que les auteurs de propos ou d’actes perçus comme racistes se voient refuser l’accès aux forums internationaux, qu’ils soient soumis à des représailles pouvant aller jusqu’à leur privation de toute liberté de mouvements à l’extérieur des frontières du pays dont ils sont ressortissants, en passant par des sanctions financières, sans préjudice de poursuites pénales au niveau d’organismes internationaux affectés à cet effet, mais aussi nationaux sur la base de la compétence universelle.
 

La Banque Mondiale s’en mêle
 

Comme l’écrit Laure Murat, professeure à l’UCLA (Européen Langages & Transculturel Studies), la « cancel culture » « ….consiste notamment à révéler des propos ou des actes jugés répréhensibles ou offensants de la part de personnes, d’entreprises et d’institutions, et à leur retirer tout soutien[…..]d’exiger des institutions qu’elles prennent leur responsabilité en cessant d’honorer des personnalités accusées d’actes racistes[……..] »
C’est exactement ce qu’a fait récemment la Banque Mondiale lorsque, rejoignant le mouvement de dénonciation des déclarations du président tunisien à propos de l’immigration illégale, cette prestigieuse institution renonçât à accorder à la Tunisie un financement préalablement convenu.

Les propos du président tunisien, accusant l’immigration illégale de remettre en cause la structure arabo-islamique de la Tunisie, suscitèrent une condamnation unanime par tous les pays dont les ressortissants sont concernés par les expulsions, avant d’être rejoints par les militants afro-américains de la « cancel culture », puis par les instances onusiennes affectées à la défense des droits de l’homme, suivies par l’Union Européenne, à laquelle la banque mondiale va emboiter le pas, annulant le financement préalablement proposé par cette institution à la Tunisie pour lui permettre de surmonter les chocs monétaires subis, du fait de la crise engendrée par la covid, aux effets amplifiés par le conflit Russo-Ukrainien.

Curieusement, et dans le même temps, les expulsions en masse de « Wuambuchu » faites à grand renfort de forces de l’ordre, à coups de démantèlements d’habitats, certes précaires, mais servant de lieu de vie à des familles en détresse, dont des femmes enceintes, des nourrissons, des mineurs en âge de scolarisation, ne suscitèrent aucune indignation, alors que des centaines de familles sont concernées, vivant pour l’essentiel depuis des décennies sur l’île d’Anjouan dont elles se feront expulser manu-militari ; pas plus que ne suscitèrent un quelconque tollé, les sollicitations du président tunisien par la plupart des chefs d’Etat européens, pour faire de la Tunisie un rempart contre la même immigration dont ces chefs d’Etat se faisaient les défenseurs quelques jours auparavant. Les crimes de masse contre les rohingyas se passent en catimini, sous silence, loin des regards ; ils ne suscitent ni émoi, ni condamnation, encore moins les lynchages publics des musulmans, un peu partout dans les pays asiatiques où le bouddhisme est religion d’Etat, non plus, les centaines de candidats à l’immigration qui se noient quotidiennement dans la méditerranée, au vu et au su de la communauté internationale qui assiste les bras croisés au chavirement des embarcations de fortune empruntées par les immigrants.
 

Un hymne à la renaissance
 

Parmi les moyens les plus en vue pour rendre invisible la culture du raciste présumé, on retiendra le démantèlement de l’effigie construite à sa mémoire ; on pourrait citer à titre d’exemples, le démantèlement à Fort- de - France de la statue de Joséphine de Beauharnais, perçue par les militants de la « cancel culture » comme l’incarnation du racisme, le retrait de la salle du conseil de la ville de New York de la statue de Jefferson, troisième président des Etats-Unis au motif qu’il aurait un passé esclavagiste, le déboulonnage de la statue de Winston Churchill, celle d’Abraham Lincoln………etc.

En sens inverse, la « cancel culture » incite également ses militants à s’ériger en gardiens de la mémoire des militants noirs des droits civiques, comme ce fut le cas lorsqu’il s’est agi en banlieue parisienne de changer le nom d’un lycée à Saint Denis, baptisé de manière non officielle du nom de l’héroïne afro-américaine des droits civiques, Angela Davis ; il s’en suivra une vive opposition de la part de militants de la « Cancel culture », alors même que le nom nouvellement proposé par le conseil régional d’île de France, n’était ni plus ni moins que celui d’une autre militante des droits civiques, afro-américaine de surcroît, mais perçue comme moins extrémiste ; s’agissant de Rosa Parks.

Les moyens préconisés par « la cancel culture » ne se limitent pas au démantèlement des statues de personnages perçus comme racistes, ni à leur lynchage médiatique en vue d’attirer contre eux les foudres de la communauté internationale ; la volonté de rendre invisible la culture du raciste présumé, par son effacement, va concerner toute son œuvre, qu’elle soit à caractère littéraire, artistique ou scientifique ; un spectacle sera violemment interrompu au motif que son metteur en scène peint les visages de ses acteurs, les militants de la «cancel culture » s’opposant de la sorte à ce qu’ils considèrent comme une pratique comparable à celle du «blackface » ; le personnage représentant Othello dans la pièce de Shakespeare ne sera plus joué que par un noir, alors même que ce personnage est présenté par l’auteur comme étant un maure asservi puis émancipé, et que la pièce se rapporte à des intrigues de cour où se mêlent passions, jalousies et autres histoires de cœurs enflammés ; toujours dans la même veine, les militants de la « cancel culture » s’opposeront à ce que la traduction de poèmes écrits par un noir ne puissent se faire que par un noir ; les autodafés qui symbolisent l’inculture au plus fort de son expression sont légion, y compris dans les espaces publics, et les auteurs des livres ainsi brulés, présentés comme des personnes racistes.

Dans ces conditions, il est permis de penser que la « cancel culture » n’est rien d’autre qu’un hymne à la renaissance des nationalités, du communautarisme qui exalte l’ethnicité, fait fi de la citoyenneté, présente l’autre à travers son appartenance à une race, une communauté ; or comme l’écrit Colette Guillaumin :« Le racisme débute lorsque l’on perçoit un individu comme le petit bout d’une communauté ».

* Avocat à la Cour

*Ancien membre du Conseil de l’Ordre.

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