C’est en bon connaisseur de la région que l’ancien représentant spécial du S.G. de l’ONU en Afrique de l’Ouest tire la sonnette d’alarme. Ahmedou Ould Abdallah décrit la situation de détresse des populations prêtes à s’allier avec le diable. Il dénonce la politique démagogique de certains pouvoirs qui entretiennent «des ententes occultes» avec les mouvements djihadistes. Il s'est confié à Géopolis
Dans certains pays du Sahel, «on veut le beurre et l’argent du beurre», observe Ahmedou Ould Abdallah. L’ancien chef de la diplomatie mauritanienne explique à Géopolis Afrique comment certains gouvernements diffusent une campagne insidieuse contre les forces étrangères qui leur viennent en aide. C’est l’une des aberrations les plus étonnantes que j’ai rencontrées au cours de ma longue carrière internationale, confie-t-il à Géopolis.
«Il y a plusieurs raisons à cela. Il y a la survie de certains régimes qui sous-tend une politique démagogique. C’est-à-dire qu’on veut une présence extérieure pour renforcer le régime en place et lui donner du prestige, et en même temps on mène une campagne insidieuse qui encourage et renforce les adversaires de cette présence extérieure. Il y a aussi, et je le pense sincèrement, des ententes occultes entre les mouvements djihadistes et certains gouvernements ou certains groupes de pression autour de ces gouvernements.»
«Un terrain de prédilection pour tous les trafics»
Ahmed Ould Abdallah fait remarquer que le Sahel est devenu un terrain de prédilection pour tous les trafics. Ce qui contribue à maintenir l’insécurité et l’instabilité. Une situation qui profite à certains régimes coupés des réalités de leurs populations abandonnées à elles-mêmes.
«Malheureusement, ça permet de se servir sans le moindre contrôle dans les fonds publics. C’est-à-dire qu’on détourne sous prétexte de lutter contre le terrorisme. On recycle les fonds de défense, les fonds destinés au renseignement ou les aides consenties par les partenaires extérieurs, que ce soit les pays du golfe, les Etats Unis, l’Union européenne ou la France.»
Un soldat français de l'opération antiterroriste Barkhane en patrouille près de Tombouctou au Mali, le 9 mars 2016. © Photo AFP/Pascal Guyot
Des populations prêtes «à s’allier avec le diable»
Comment dès lors s’étonner que les populations se détournent de ces pouvoirs corrompus et de ces opérations extérieures déclenchées à leur demande?, s’interroge Ahmedou Ould Abdallah.
«Il y a un rejet total des populations du monde rural contre les pouvoirs centraux dans certains pays du Sahel. Et elles sont prêtes à s’allier avec le diable pour ne pas accepter la pérennité de ces gouvernements. C’est triste à dire, mais les populations attendent les bras ouverts ce qu’elles considèrent comme une libération vis-à-vis des pouvoirs centraux qu’elles ne connaissent pas, qu’elles ne voient pas. Des pouvoirs qui s’engagent dans des opérations de prestige qu’elles ne comprennent pas», explique-t-il.
Pour lui, la militarisation croissante à laquelle on assiste dans l’espace-sahélo-saharien ne viendra jamais à bout du terrorisme dans la région, tant que les opinions publiques locales ne seront pas associées à la lutte.
«Un corps expéditionnaire ne peut réussir que si l’opinion locale lui apporte son soutien. Si celle-ci est montée à blanc contre lui, je ne vois pas comment une telle opération peut durer. Et on le voit aujourd’hui au Mali. La présence française qui a permis de stabiliser le Mali se trouve en très grande difficulté. Parce qu’elle n’est pas appuyée par l’opinion publique malienne», observe-t-il.
«La balle est dans le camp des pays du Sahel»
Ahmedou Ould Abdallah appelle les pays de la région à un examen de conscience pour mieux combattre une menace qui se renforce chaque jour davantage et qui s’enracine. Dans une région où les jeunes sont devenus, malheureusement, une bombe à retardement.
«Pourquoi les jeunes du Sahel ont rejoint Daech? Parce qu’ils n’ont pas de perspective. Ils sont éliminés du système scolaire, non pas parce qu’ils sont de mauvais élèves, mais parce qu’ils ne sont pas de la famille ou de la tribu qu’il faut. Tout comme ces diplômés à qui on ne donne pas de travail parce qu’ils ne sont pas de l’ethnie qu’il faut ou de la religion qu’il faut. Avant de se prémunir contre les dangers hypothétiques et qui sont crédibles, il faut aussi se prémunir contre les dangers créés par nous-mêmes dans nos pays», plaide-t-il.
L’ancien représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour l'Afrique de l’Ouest estime que le continent a les moyens de combattre le terrorisme, «parce que les pays sont relativement peu peuplés. Que tout le monde se connaît et que les connexions familiales et tribales sont très fortes», explique-t-il à Géopolis.
Nous sommes indépendants depuis 60 ans, rappelle-t-il, et on veut que ce soit toujours l’Europe qui résolve nos problèmes. Que c’est toujours la faute à elle. Il est grand temps de nous assumer, sans démagogie et sans slogans, conclut-il.
source geopolis