La bataille de leadership de ce 21ème siècle entre les USA et la Chine, sur fond de tensions géopolitiques actuelles et de crise économique mondiale peut être une opportunité inespérée de sortir l’Afrique du sous-développement.
L’Union Africaine pourrait par mise en concurrence, proposer à l’Europe, aux USA et à la Chine, une nouvelle politique de coopération permettant à l’Afrique de déverrouiller les vannes du barrage des financements nécessaires à l’émergence du Continent et au partenaire qui l’accepte de seller son avenir de leadership du monde de ce 21ième siècle.
Pour rappel, les avantages de leadership pour un pays sont énormes en termes d’influence et de pouvoir considérables : sur les décisions politiques, économiques et sociales à l'échelle mondiale, sur la promotion de son économie nationale et son attrait pour les investissements étrangers, sur la coopération internationale et la résolution de problèmes mondiaux tels que la pauvreté, les conflits armés et les changements climatiques.
Le tunnel du sous-développement
Depuis les indépendances des pays africains, les difficultés des populations et leurs besoins n’ont cessé de s’amplifier. Aucune stratégie de développement n’a permis à un pays africain de se hisser véritablement au rang des émergents. La réalité sur le continent, c’est la régularité implacable des échecs des différentes politiques de développement.
Partout sur le continent le bon sens a prouvé ses limites.
Il y a un sentiment de malaise voire de rupture vis-à-vis de tous les modèles et stratégies de développement recommandés à l’Afrique. Certes il y a un consensus sur certains mécanismes, mais la crédibilité des modèles dépend des résultats réels et force est de constater qu’ils ont été catastrophiques pour l’Afrique. Les hypothèses de rationalité et de normalité sous-jacentes de ces modèles doivent être reformées. Leur critique reste la meilleure voie de leur amélioration.
Ces échecs répétés de stratégies individuelles renforcent nos croyances qu’aucun état seul ne peut émerger et que l’application de stratégies « bonnes » sur une échelle plus importante, c’est-à-dire à toute l’Afrique, serait de nature à sortir notre continent du sous-développement et du statut de minorité géopolitique.
L’ordre international et les règles des institutions qui le sous-tendent ont été conçus et mis en place, durant la période coloniale donc sans l’Afrique. Le prisme de lecture juridique de cet ordre, à cette époque, s’est paradoxalement accommodé de l’injustice de la domination coloniale, du pillage des ressources de l’Afrique et du fait que les colonisés ne peuvent naitre ni libres, ni égaux avec les colons.
Aujourd’hui la jeunesse africaine a des rêves et des espérances dont manifestement les réalisations sont incertaines dans cet ordre international et avec des voix africaines disparates. Cet ordre n’a d’ailleurs, et c’est un euphémisme, cessé de s’écarter de son objectif principal de promotion de la paix, de la sécurité, de la coopération et de la prospérité dans le monde.
Mais comme les crises offrent parfois des moments d’opportunité, avec la sidérante montée en puissance de la Chine et sa volonté affichée de prendre le leadership du monde, la réalisation collective des rêves et espérances de tous les africains devient, autrement possible. Rêve de ne plus voir nos jeunes mourir en traversant la Méditerranée sur des embarcations de fortune, à la recherche d’une vie meilleure, fuyant la misère et le désespoir. Rêve de pouvoir sur le continent vivre en paix, s’éduquer, se soigner, travailler dans un pays de liberté, de justice, d’égalité et de solidarité.
Proposition d’une nouvelle coopération
L’Afrique regorge de métaux stratégiques (Cobalt, Lithium, Coltran, Cuivre, …), vitaux pour l’industrie de haute technologie. Ces métaux sont utilisés dans la fabrication de composants électroniques, centrales nucléaires, superalliages, satellites, missiles, avions, lasers, blindages militaires, … etc. Un petit nombre de pays dans le monde dispose de ces métaux. Ceux-ci jouent un rôle crucial dans plusieurs secteurs stratégiques et sont donc essentiels pour la sécurité nationale des grandes puissances, la production d'énergie propre, le développement de technologies de pointe et l'innovation. Une demande mondiale exponentielle et des restrictions à l’exportation sont attendues pour les prochaines années.
Le contrôle des approvisionnements de ces métaux est un avantage géostratégique sans équivalent.
Forts des richesses stratégiques du continent, les chefs d’Etats africains pourraient confier à l’Union Africaine la négociation et la gestion d’un plan global de sortie du sous-développement.
Ce plan pourrait porter sur un financement de 560 milliards USD (soit seulement l’équivalent du montant des échanges durant 30 minutes sur le marché des devises, …) destinés à la construction d’industries de transformation et d’infrastructures de qualité, entre autres, infrastructures de transport, énergétiques, sanitaires, éducatives et de télécommunications, ….
La demande de ce financement, par concours directs du partenaire et/ou mécanisme de garantie de celui-ci pour les emprunts ou émissions obligataires de l’Union Africaine, pourrait être faite à chacune des parties : Union Européenne, USA, Chine.
En contrepartie de ce financement et jusqu’au remboursement de sa totalité, les états africains pourraient s’engager vis-à-vis du partenaire choisi, à :
- Lui vendre prioritairement leurs métaux stratégiques,
- Faire bénéficier ses entreprises des préférences nationales légales relatives à l’attribution de tout marché public, notamment ceux liés à la construction d’infrastructures,
- Lui importer les biens d’équipement et services à concurrence du montant du financement
- Libeller leurs exportations dans sa monnaie et ne s’endetter que dans sa monnaie
- maintenir dans les réserves de change de chaque banque centrale africaine un seul minimal de 60% dans sa monnaie.
Un partenaire pourrait être privilégié
Dans ce nouveau schéma de coopération, l’Union Européenne qui a toujours été et est actuellement le principal bailleur de fonds du continent, eu égard à sa proximité historique, géographique, linguistique, sa protection des droits de l’homme et le niveau de qualité élevée de ses normes, apparait comme le partenaire idéal. Le marché africain deviendrait pour l’Europe, celui du Mexique pour les USA.
Dans le contexte de tensions géopolitiques actuelles, la naissance d’une telle alliance, Europe-Afrique, serait incontestablement un facteur de paix, de prospérité et de stabilité du monde. Une évolution favorable vers la construction d’un nouvel ordre international qui serait plus juste, plus solidaire, plus protecteur des droits humains et des libertés individuelles afin de rendre inutiles et impossibles les guerres, renforçant les rapports géoéconomiques et affaiblissant la géopolitique.
Cette alliance permettrait :
- à l’Afrique d’émerger, d’accélérer sa croissance économique et la convergence de ses économies pour accompagner la création de sa monnaie et de ses marchés financiers, de s’assurer l’attractivité de l’investissement étranger, de devenir un acteur majeur de l’économie mondiale, de peser sur les décisions relatives aux grands défis mondiaux, de ne plus être le continent du chaos et de la misère,
- à l’Europe de renforcer durablement sa croissance, la compétitivité de son économie, ses intérêts sur son flanc sud, le rôle de l’Euro comme monnaie de référence, de réserve, d’échange et de règlement, de prendre immanquablement le leadership du monde de ce 21ième siècle.
Une non adhésion occidentale à cette proposition de coopération et son acceptation par la Chine ouvrirait, sans nul doute, à cette dernière la porte du leadership mondial.
Dispositif africain d’accompagnement
L’accompagnement de cette nouvelle politique de coopération nécessiterait :
- La création par l’Union Africaine d’un organisme de gestion et de suivi de ces financements, ainsi que de promotion des échanges avec le partenaire choisi
- La mise en place d’un cadre juridique et règlementaire relatif aux emprunts et émissions obligataires de l’Union Africaine ainsi qu’une coordination entre les membres de l’Union Africaine : sur la ventilation des financements entre les pays, sur la répartition des risques afin d’éviter que les pays les plus solides aient à devoir supporter une partie des risques des pays plus faibles, sur l’indemnisation des pays les plus solides liée au surcout des emprunts (taux d’intérêt) conséquence de la présence dans l’Union de pays plus faibles.
L’opportunité est historique et tout ce qui précède est à la portée de nos chefs d’Etats africains. Le réveil de l’Afrique pourrait provoquer des débats passionnés, des oppositions, des pressions étrangères, rendant nécessaire une dose de courage et de convictions pour la prise de telles grandes décisions.
Ould Amar Yahya
Economiste, Banquier, Financier