Une certaine presse francophone, qui traduit régulièrement ce qui se passe dans le monde arabisant, déforme souvent les propos des uns et des autres. Encore une fois, on a pu lire qu’après le ministre des finances, voilà que le ministre de la justice, monsieur Brahim Ould Daddah aurait demandé aux députés de réclamer au chef de l’état qu’il augmente « mandatou », aveu, soit dit en passant, qu’Aziz fait ce qu’il veut, seul, de la constitution bien qu’il ait juré sur le Coran de respecter ce qu’elle prévoit à propos du mandat présidentiel renouvelable qu’une fois, comme on le voit dans cette vidéo à partir de la 26ème seconde...
En vérité, le ministre de la justice n’a pas dit cela dans les termes rapportés par la presse francophone. Il a parlé en hassanya marquant une pause avant de se lancer…Il a semblé d’abord très mal à l’aise en prononçant ses mots sur le ton de la plaisanterie comme s’il craignait de déclencher une bombe dans l’assemblée. Preuve que le monsieur n’est pas complétement atteint par la saffaguite anticonstitutionnelle et l’incitation au parjure face au serment islamique du président de ne jamais soutenir ni directement ni indirectement toute initiative de cet acabit.
De toute façon le coran prévoit la note en cas de serment brisé.
Verset 89, sourate 5 : " Dieu ne s’en prend pas à vous pour la frivolité de vos serments, mais Il s’en prend à vous pour les serments que vous contractez délibérément. L’expiation en sera de nourrir dix pauvres, de ce dont vous nourrissez normalement vos familles, ou de les habiller, ou de libérer un esclave. Et pour quiconque ne le peut, alors, trois jours de jeûne. Voilà l’expiation de vos serments lorsque vous avez juré. Mais tenez vos serments ! "
Donc pour s’affranchir de son serment qu’il n’a pas contracté délibérément car il n’avait pas le choix, il était comme qui dirait « otage » des circonstances, il n’aura qu’à inviter à manger dix pauvres à la présidence ou les habiller de façon chic ou libérer un esclave. Pour l’esclave, à croire la propagande, il aura un problème avec les séquelles qui ne vont pas lui arranger la trouvaille sinon il devra jeûner 3 jours pour le troisième mandat halal...
On en avait déjà parlé…
Revenons à notre Daddah…
Le ministre de la justice a dit en plaisantant que face aux réalisations du chef de l’état le peuple mauritanien devrait tout entier avec l’opposition demander au chef de l’état d’augmenter ses mandats. Puis il s’est mis à rire d’un rire assez indécent dans l’assemblée à propos d’un sujet pareil surtout venant d’un ministre de la justice mais il faut dire aussi que l’assemblée vaut ce qu’elle vaut et certains députés de la majorité ont applaudi comme des soldats du rang à qui il est interdit de penser mais juste de répondre aux ordres. Ce n’était là qu’un exercice…
Le vice-président de l’assemblée indigné, monsieur Ghoulam de Tawassoul s’est levé et a dit quelque chose d’inaudible sinon que le ministre devrait retirer ses propos. Devant la faiblesse de l’indignation dans l’assemblée, le ministre de la justice a dit qu’en tant que ministre, ses propos sont des propos à caractère politique sous-entendu qu’il a le droit de les tenir au nom de ses convictions aussi a-t-il refusé de retirer ce trait d’humour lui donnant finalement un caractère autrement plus sérieux voire officiel... Le ministre a fini ses propos en menaçant le vice-président pour lui dire qu’il finirait par retirer lui-même tout à fait autre chose… Comprenne qui pourra…
Après la sortie du ministre des finances dont nous avons pas eu de traces directes, le chef de l’état semble prendre tout cela à la légère comme si finalement il ne s’agissait que d’un ballon d’essai pour voir ce que produira le sujet. Avoir un Daddah, ministre de la justice qui tient de tels propos, c’est du petit lait pour le pouvoir militaire civilisé face auquel le dernier opposant radical est l’incorruptible maître Ahmed Daddah, vieil allié du mouvement rectificatif pour se débarrasser du président militairement élu.
Pour ma part, je n’y vois que de l’humour militaire face à cette scène où les civils sont de plus en plus humiliés par leur impuissance et leurs incantations.
Aziz va-t-il se représenter ? Avant la réélection de quelques fameux dictateurs africains en place depuis plus longtemps que lui, avec la bénédiction silencieuse des sorciers blancs de la fameuse communauté internationale, on pouvait en douter et laisser plutôt la place à un scénario quelconque faisant quitter le pouvoir à Aziz par la fenêtre pour qu’il puisse revenir par la porte.
Aujourd’hui, tout cela est à revoir. Le pouvoir surtout sous nos cieux est une drogue dure, l’addiction est titanesque et le danger à s’arrêter grandit proportionnellement au temps de la consommation. On finit par être plus en danger en quittant le pouvoir qu’en y restant à la tête d’une armée et d’une administration au pas…
Qui peut imaginer Aziz dans sa maison comme Ely à côté de la présidence, la retraite politique en plus ? Avec tant d’ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ce n’est plus possible à moins d’être protégé par le futur occupant des lieux. Pendant longtemps le plus désigné semblait être Ghazouani dont on entend partout des chants vantant son esprit éclairé et ouvert, son sens de la diplomatie et du tact. D’ailleurs à ce jour, son nom n’est sorti nulle part dans une de ces affaires scabreuses qui ont secoué la république ; ce qui déjà en soi ressemble à un miracle dans ce milieu quand on a autant de pouvoir…
Aujourd’hui, le dernier soutien de taille d’Aziz dès la prise de pouvoir en 2005, le puissant dernier qui ne soit pas allé à la retraite, militaire ou civil, le dernier à ne pas avoir été trahi, c’est Ghazouani. Quel sort va-t-il subir ? Voudra-t-il aller plus loin et essayer de prendre le relai ?
Cela pourrait le tenter mais Aziz, son caractère, et le cynisme qui lui ont permis d’en arriver là, laisseront-ils la place à la voie de la loyauté ou au contraire Ghazouani devra-t-il comme d’autres, tôt ou tard, prendre sa retraite et laisser Aziz continuer seul cette incroyable aventure pour un homme sorti de nulle part et qui aura réussi à rouler dans la farine toute la république pacifiquement et se mettre dans la poche les alliés occidentaux, saoudiens et les oulémas ?
Personne ne peut dire ce qui arrivera mais il faut bien essayer de donner un pronostic quand on est un observateur. Pour ma part, je crois qu’Aziz, après la balle reçue, après la perte de son fils yarahmou, après la dimension politique et financière qui est désormais la sienne, je pense que, sauf accident, liquidation, il mourra de vieillesse dans son lit de président ou il finira en exil en Arabie Saoudite si entre-temps la monarchie n’a pas implosé.
Avec Aziz, l’armée a pris un autre visage dont l’équilibre est taillé à la mesure de l’architecte. Plus personne à part lui ne peut en prendre le contrôle sans sa bénédiction.
Quand on peut diriger un pays de cette façon pacifique, c’est-à-dire tout réduire à une vie de caserne sous contrôle, sans rien qui bouge vraiment, sans opposants inquiétants jusqu’à persuader tout le monde que tout changement de régime est un rêve d’enfant, quand on peut verrouiller la mécanique de l’armée et plaire à l’étranger, rien ne peut vous pousser à partir quand vous êtes animé par la passion de diriger et de faire plier en douceur vos adversaires.
Je l’ai dit le premier jour de la prise de pouvoir d’Aziz, que j’appelais alors l’homme du 18, tandis qu’on le prenait pour un simple bidasse borné selon les termes de ses détracteurs : Aziz est un génie de la manipulation et quand on le découvre, c’est trop tard, il est passé devant et vous restez derrière plombé par la stupeur, ruminant une vengeance hors de portée. Aujourd’hui, tout le monde de l’intérieur et de l’extérieur sait à qui il a affaire et quelque chose reste mystérieux chez ce monsieur. Cette faculté à encaisser les tempêtes politiques, familiales sans broncher jusque cela passe. De là que plus personne ne l’attaque vraiment verbalement car en plus cela fait le jeu de cette liberté d’expression unique sous les régimes autoritaires.
Le destin lui a mis dans les mains une configuration politique et militaire digne d’occuper son imaginaire et de quoi le garder alerte pendant encore très longtemps or Aziz n’est tranquille qu’au milieu de la tension politique qu’il crée quand le calme s’installe. Rien ne l’inquiète plus que le silence de la scène politique. De là certainement cette sortie des ministres à propos du mandat à renouveler.
Que fait-il de tant de pouvoir ? Il le fait tourner à la vitesse de gestion d’un esprit humain voulant tout contrôler avec le complexe de l’autodidacte longtemps humilié, anesthésiant les forces vives sans lesquelles tout projet humain à l’échelle d’un état est condamné à l’échec.
Cela dit, Aziz n’a pas une monarchie pour le soutenir. Il est à la tête d’un système précaire qui amène au pouvoir toujours, pour un temps, un groupe de fauchés déterminés à se faire une solide santé économique. Tôt ou tard, certains voudront tenter leur chance et les mauritaniens sont très forts pour comprendre le maître du moment. Quand ils veulent en finir, il se passe quelque chose de quasi-inconscient dans l’esprit de tous que sent le cœur du pouvoir comme un fruit mûr prêt à tomber, alors un mouvement silencieux frétille au cœur du néant, indétectable sinon par la paranoïa. Les jours du maître des lieux deviennent alors comptés…
En attendant, quelle chance chez nous d’avoir une plage déserte à dix minutes du centre…