L’opposition démocratique partie dispersée aux élections locales de Mai dernier risque encore de connaître une rentrée politique mouvementée. Il y a quelques semaines, des divergences sont en effet apparues en son sein. Deux partis, le RFD du président Ahmed ould Daddah et l’UFP de Mohamed Maouloud, ont fait connaître, au sortir d’une audience au Palais, que le président de la République venait d’accepter un document qu’ils étaient venus lui soumettre. Il s’agit d’une charte pouvant servir de plate-forme au dialogue entre l’opposition et le pouvoir. Suffisant pour sortir plusieurs autres acteurs de l’opposition de leur silence.
Le premier à dégainer fut le président d’IRA, Biram Dah Abeïd, qui a accusé, dans une conférence de presse tenue le lendemain de l’audience, les deux susdits responsables de rouler pour le pouvoir, en tentant de diviser davantage l’opposition. Puis ce sont les responsables de la coalition « Espoir Mauritanie »qui ont exprimé leur surprise. Les uns et les autres indiquant que le contenu de ladite charte ne les engage pas.
Dans une interview accordée au Calame (à paraitre dans cette édition), le porte-parole de cette coalition, le député Mohamed Lemine Sidi Maouloud, indique que chaque parti politique est certes libre de se positionner par rapport au pouvoir mais cette démarche n’engage pas toute l’opposition, faute d’une consultation et d’un accord préalable entre tous ses membres.
L’initiative des deux partis reçus au Palais ne peut donc pas être considérée comme une «concertation entre le pouvoir et l’opposition ». Pour un responsable de l’UFP cependant, le document en question est une actualisation de l’essentiel de la feuille de route du dialogue dont le processus avait été interrompu unilatéralement par le pouvoir en été dernier. Même si les deux partis n’ont pas révélé le contenu précis du document, il recense l’ensemble des problèmes du pays afin de proposer des solutions : l’unité nationale, la cohésion sociale, la gouvernance, entre autres… Pour ce responsable, les dernières élections ont montré l’urgence de se retrouver autour d’une table pour évacuer ces questions avant la présidentielle de 2024.
D’une certaine manière, c’est ici donner raison à certains partis opposés au «système » – en l’occurrence, le RAG, AJD/MR et les FPC – qui clamaient, au lendemain du scrutin du 13 Mai dernier, que les élections ne réglaient pas les problèmes du pays : il fallait que les acteurs politiques se décident à débattre pour parvenir à une charte consensuelle autour des questions qui crispent la vie des citoyens. On se rappelle qu’un processus de dialogue/concertation avait été initié entre la majorité et l’opposition en été dernier. Tout était quasiment fin prêt mais les réticences de plusieurs partis – APP, AJD et RAG – avaient poussé le pouvoir à interrompre le processus. L’absence de ces trois-là donnait le sentiment d’un dialogue au rabais. Une décision qui arrangeait au demeurant certains faucons de la majorité, hostiles à toute concertation avec l’opposition, surtout en ce qui concerne l’unité nationale : passif humanitaire, cohabitation, langues nationales pulaar, soninké et wolof, esclavage et séquelles.
Le dialogue, véritable enjeu ou peau de banane ?
« L’attitude des responsables du RFD et de l’UFP révèle leur volonté de faire cavalier seul », jugent en substance ses détracteurs. Et d’accuser ces deux partis laminés lors des dernières élections locales de tenter de reprendre la main, voire de se rapprocher du pouvoir qui pourrait peut-être, grince-t-on, leur ouvrir les portes du gouvernement. Le RFD et l’UFP seraient, à leurs yeux, désormais très mal placés pour parler au nom de l’opposition mauritanienne. En aucun cas négocier les conditions de reprise du processus de dialogue inclusif susceptible de résoudre les problèmes du pays. Alors, jusqu’où ces deux partis sont-ils prêts à aller avec le pouvoir ? Le gouvernement accepterait-il de signer la fameuse charte et d’enclencher un dialogue politique sur cette seule base ? « Questions à mille francs » comme naguère Lucien Jeunesse sur France inter.
Il faut rappeler que l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président avait décrispé la tension entre le pouvoir et l’opposition. La COVID 19 permit dans la foulée d’établir une sorte de consensus. Profitant de cette atmosphère, les partis de l’opposition alors représentés à l’Assemblée nationale – RFD, UFP, Tawassoul et AJD – poussèrent le pouvoir à accepter de lancer, à l’été 2023, un processus de dialogue… qui fut stoppé net par le gouvernement à la veille de son lancement, prétextant des divergences, non seulement au sein de l’opposition mais aussi de celui de la majorité. La première discutait de la nature du dialogue inclusif, franc et sincère, autour de toutes les questions, surtout celles qui fâchent, alors que la seconde peinait à définir les limites de ce qui devait en tous les cas rester de simples concertations. Le président de la République aurait-il plus de chances, aujourd’hui, d’ordonner ses troupes autour de cette charte que le RFD et l’UFP de convaincre leurs homologues de l’opposition du bien-fondé de leur démarche ? Si le doute est permis dans les deux cas, l’espérance n’en reste pas moins une vertu éminemment musulmane…
Dalay Lam
lecalame