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un grain de sable pour secouer la poussière...

Nana mint Cheikhna, membre du comité permanent du RFD, Présidente de la commission nationale des femmes, ex-députée à l’Assemblée Nationale : ‘’La CENI a définitivement montré ses limites quant à l'organisation d'élections transparentes et crédibles’

Jeudi 6 Juillet 2023 - 12:38

Le Calame : Les mauritaniens viennent d’élire leurs conseils municipaux, régionaux et  leurs représentants au Parlement. Quels enseignements avez-vous tirés de ce triple scrutin ?

Nana Cheikhna : Les dernières élections me paraissent être, sous beaucoup d'aspects uniques en leur genre depuis que le pays s'est réclamé de la démocratie. Tant au niveau de la CENI qu'au niveau du contexte général certains points méritent d'être soulignés :

1/ La CENI a définitivement montré ses limites quant à l'organisation d'élections transparentes et crédibles. La corruption ainsi que la qualité brouillonne du travail ont fortement entaché ses procédures et comme par le passé les dispositions pénales de la loi électorale sont demeurées lettre morte.

De plus les termes de l'accord signé entre la C.E.N.I, l'ensemble des partis politiques et le ministère de l'Intérieur prévoyant une supervision conjointe du processus ont été simplement mis en veilleuse en dépit de nombreuses réclamations  et plaintes formulées par les partis.

2/  La compétition s'est complètement limitée à l'émulation traditionnelle entre tribus et fractions en présence de hauts commis de l'Etat obstinés à maintenir et utiliser le créneau tribal comme tremplin d'accession aux fonctions et faveurs sans mérite. Ceci du fait que ce créneau est privilégié par l'administration comme intermédiation politique de premier ordre aux dépens de partis politiques en dépit du fait qu'au sens traditionnel du terme, la tribu n'est plus que l'ombre d'elle-même en raison de la progression vertigineuse de la sédentarisation et l'effritement des solidarités y afférentes. Bien que déstructurée et affaiblie, elle est utilisée par ceux qui, pour la plupart ne l'ont jamais engagée ni servi et sont en fait au service d'un système mis en place depuis des décennies pour contourner l'institutionnalisation de la vie politique du pays au profit d'un clientélisme d'un autre  âge.

3/ Pour la première fois, l'ensemble des membres du gouvernement (y compris le premier d'entre eux ) s'est mis en branle au côté des candidats du parti-Etat.

L'administration n'est pas non plus demeurée en reste. Elle s'est pratiquement mise en congé à tous ses niveaux s'impliquant au vu et au su de tous dans le jeu électoral, usant de l'imperium et sans doute des biens de l'Etat auprès des populations et ce au mépris de la règle sacro-sainte de l'obligation de neutralité de l'administration dans un Etat qui se revendique démocratique.

4/ La corruption à ciel ouvert donnant lieu à des scandales demeurés impunis et dans l'indifférence totale des autorités. Tout ceci rend ce scrutin très peu crédible aux yeux de tous les observateurs avisés.

Encore plus que par le passé récent, le  Parti du pouvoir a fait figure de démembrements de l'administration. Une stature plus que jamais assumée au grand jour.

Ces pratiques montrent de manière évidente que les méthodes depuis longtemps décriées demeurent en vigueur et que le passé persiste à survivre dans tous ses éclats en dépit des discours d'ouverture. Or, il me semble que le pouvoir avait lui- même intérêt plus que tout autre à rectifier la trajectoire et explorer l'orientation d'écoute, et de dialogue avec les protagonistes politiques.

Il aurait ainsi pu entamer la résolution des problèmes du pays demeurés depuis longtemps en suspens et permettre au pays de se préserver des défis et dangers qui minent la plupart des pays de la sous-région. Il aurait pu ainsi entrer dans l'Histoire par la grande porte et assurer après soi la stabilité du pays. Privilégier le surplace veut dire s'embourber dans le présent, c'est continuer à braver la destinée humaine qui, elle, ne connaît de forme de permanence que le changement, lequel est toujours meilleur si, au lieu de s'imposer au pays, se déroule dans la cohésion.

 

- Votre parti, le RFD sera absent de la prochaine Assemblée Nationale. Comment   ce grand parti traditionnel en est-il arrivé là ? La fraude que l’opposition a dénoncée justifierait-elle  à elle seule, ce résultat catastrophique ?

- En fait, les partis d'opposition avaient par le passé mis des années avant de parvenir au parlement et s'ils ont tenu durant des décennies, je crois qu'il en faut beaucoup plus pour perturber la lutte pacifique à laquelle ils se sont engagés. Quant à notre parti, il a toujours été dans la ligne de mire des pouvoirs qui se sont succédé et a l'habitude d'être exclu par le biais de manipulations électorales frauduleuses. Je n'exclus cependant pas que la trêve observée avec le pouvoir en vue de donner toutes ses chances à la résolution  des questions nationales essentielles et la normalisation de la vie politique du pays aient été mal comprises.

Vous savez, dans un contexte de crise exacerbée, les nuances sont souvent très mal perçues.

 

- Pour bon nombre d’observateurs, le RFD, l’UFP et APP paient de leur proximité avec le pouvoir de Ghazwani. Ils auraient oublié leur rôle d’opposants  au gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

On oublie souvent que l'opposition est en droit de discuter, de dialoguer avec le pouvoir en vue d'obtenir dans un cadre non conflictuel des reformes et une normalisation des rapports gouvernement /opposition. Ces rapports sont perçus dans notre microcosme politique comme devant toujours relever d'un esprit d'hostilité irréductible et de perpétuelles guéguerres.

Il convient de rappeler qu'au RFD, notre engagement politique relève d'une croyance non pas en un système d'idées préconçues généralement formulées en "ismes" ni en calculs bassement nombrilistes braqués exclusivement sur les intérêts stricto sensu du parti.

Notre credo relève d'une foi en la Mauritanie. De la possibilité d'une Mauritanie résolument engagée dans la voie du développement et du progrès. Une Mauritanie unie sur l'essentiel, respectueuse de sa diversité, de l'esprit et des lois démocratiques et gérée dans une option d'intérêt général.

Certes est-il loisible pour certains de juger ces propos de démagogiques ou de n'être que de la langue de bois tant les principes et l'éthique politiques ont été bafoués sous nos cieux.

Mais si l'on se réfère à la constance de notre engagement sur près d'un quart de siècle dans des conditions pour le moins inconfortables, nous sommes en droit de réfuter ce genre d'accusations simplistes. D'ailleurs cette constance dans l'engagement nous a souvent valu l'étiquette du parti le plus radical  constamment érigé en ennemi public à abattre par les pouvoirs qui se sont succédé.

Mais aussi et a contrario, à chaque fois que nous avons approché un dirigeant à son accession au pouvoir en vue de le convaincre de la nécessité d'engager des concertations sincères sur des questions essentielles qui menacent l'avenir du pays, une partie de l'opinion nous accuse ipso facto de proximité avec le pouvoir. C'est ici le lieu de rappeler que depuis 2005, le président Ahmed Ould Daddah, dans sa quête de réformes et de progrès a été reçu à plusieurs reprises par le président Ely Ould Mohamed Vall Rahimehoullah, par le Président Sidi ould Cheikh Abdallahi Rahimehoullah ainsi que par le président Aziz afin de poser les problèmes qui entravent la normalisation du processus démocratique ainsi que pour remettre les militants de l'opposition dans leurs droits de citoyens à part  entière et convaincre de résoudre les questions essentielles demeurées en suspens.

C'est aussi le lieu de rappeler que le RFD avait décliné l'invitation adressée par le président Sidi Rahimehoullah nous demandant d'entrer au gouvernement sans discussion préalable du programme de ce dernier, puis nous avions rejeté plus tard l'offre de plusieurs portefeuilles proposés par le président  Aziz. Ceci pour vous dire qu'il relève de l'absurde et même du ridicule de penser un instant que le RFD puisse changer d'option au détriment de ses principes et de son engagement politique en faveur de la justice et du progrès dans notre pays.
 

En conclusion, au sein de notre parti, il nous a toujours paru et aujourd'hui plus que jamais que le pays a besoin de l'édification d'un front intérieur basé sur la résolution consensuelle des problèmes essentiels portant sur la gouvernance, le fonctionnement d'un Etat de droit, la  démocratie et la cohésion nationale.

En effet et au regard de multiples défis auxquels nous sommes confrontés : Environnement géopolitique tombé en grande partie dans l'anarchie, une économie mondiale en pleine crise, une unité nationale profondément atteinte, un chômage des jeunes arrivé à son paroxysme, l'exploitation prochaines de nouvelles ressources toujours porteuse de risques, ce front fait figure de priorité. Dans ce contexte intérieur et extérieur critique, la moindre prudence consistait à tenir, dans un climat apaisé, un dialogue global, cette fois-ci sincère, en vue de faire prendre à la Mauritanie un nouveau départ prometteur et sécurisé.

Le RFD ainsi d'ailleurs que les partis de l'opposition démocratique dans leur ensemble auront souscrit à cette sagesse en prenant, probablement aux dépens de leurs intérêts étroits, l'optique de créer un climat apaisé, favorable au dialogue.

L'échec maintes fois affirmé par les voix les plus autorisées de l'Etat, ajouté au maintien à tous les niveaux du statu quo ante est aujourd'hui exclusivement imputable au pouvoir.
 

À ce sujet, je souhaiterais humblement rappeler que le fait de continuer à s'enfoncer dans l'écoulement répétitif d'étapes agencées en cercles vicieux est une provocation de l'avenir au lieu de le ménager, un défi au genre de fracas à mèches longues que nous observons autour de nous et qu'ignorent généralement tous les adeptes du présent, d'autant que ce dernier se présente commode.

 

- En acceptant la proportionnelle pour les municipales, l’opposition ne s’est-elle pas trompée, comme quand elle a couru  pour participer aux concertations avec le ministère de l’Intérieur, sans  réelles garanties ?
 

-Quand les dés sont pipés, le mode de scrutin ne me paraît pas déterminant. D'ailleurs la proportionnelle m'a toujours paru plus équitable même si elle a de cette orientation d'ouverture, tendance à émietter la représentation nationale. Quant  à courir aux concertations auxquelles a convié  le ministère de l'Intérieur, je tiens à préciser que le RFD avait décliné l'invitation du ministère à la suite de la suspension unilatérale du dialogue mais que la totalité des partis politiques y avaient répondu. Le RFD ne s'y est rendu que plus tard. Cependant, je crois pour ma part que la posture de la chaise vide n'est pas à suivre car nous devons tirer des leçons du passé et des différents boycotts de l'opposition qui se sont avérés incompris et stériles dans notre contexte social.

 

- Au lendemain des élections, l’opposition a dénoncé une « mascarade » et exigé l’annulation des résultats – elle est quand même allée au 2e tour des législatives. Récemment, elle a exigé la dissolution de la CENI. Quelle chance ces exigences ont-elles de trouver une oreille attentive du côté du pouvoir ?

Si nous avions attendu par le passé que les élections ne soient plus dévoyées, il y aurait longtemps que nous aurions adopté la politique du boycott systématique de toutes les échéances électorales.

En prenant l'option de participer en dépit de toutes les injustices et les irrégularités, nous mettons à nu les pratiques illégales et le dévoiement de la démocratie et pour peu que des candidats arrivent à passer le barrage, la voix de l'opposition se fait entendre aux quatre coins du pays. Ce n'est pas négligeable !

Vous savez, même si nous ne sommes pas parvenus au pouvoir, nous avons réussi à faire avancer la liberté de parole, à obtenir la baisse de la tendance des années 90 qui permet l'emprisonnement à tout bout de champs des opposants, à obtenir des sièges au parlement et faire connaître notre vision autrefois cantonnée aux meetings organisés rarement, par manque de moyens. C'est cet engagement et notre participation qui ont fait, que notre discours est aujourd'hui adopté par la classe politique dans sa quasi-totalité et tout cela évidemment au prix de grands  sacrifices moraux et mêmes physiques. Le chemin de l'opposition n'est pas de tout repos mais il a servi et continuera son chemin. Un chemin qui sera, je n'en doute pas un instant, corroboré de succès à plus ou moins brève échéance.

Comme on le dit si bien en arabe : "On ne triomphe jamais de la justice car elle finit toujours par prendre le dessus." Peut-être une naïveté, dira-t-on, mais même si cela paraît être une naïveté, vous conviendrez, qu'il s'agit là d'une naïveté indispensable au progrès du monde car elle évite l'écroulement des utopies qui sont à la base de toutes les grandes victoires de l'Homme le long de son histoire.

 

- L’opposition est allée aux élections très divisée, elle en a certainement payé le prix. Pensez-vous qu’après son meeting unitaire réussi, elle pourrait retrouver son unité avant la présidentielle ?

Les partis politiques ne sont pas des organisations syndicales et ne sont donc pas nécessairement voués à ce genre de solidarité. D'ailleurs chacun de ces partis détient son programme retraçant ses priorités et sa vision. Ils sont censés entrer en compétition ou en alliances selon la proximité des vues et la stratégie adoptée.

Il me semble dans ce cadre que, pour les questions essentielles et, s'agissant de notre contexte particulier où le processus démocratique est loin d'être assis, souvent heurté par ceux qui sont censés en être les garants, les partis d'opposition auraient dû unir leurs positions et leurs efforts pour les questions qui me paraissent essentielles et notamment celles relatives à la souveraineté nationale, à l'unité nationale, aux libertés garanties par la loi et tout ce qui touche à la soupente d'un véritable Etat de droit. Malheureusement les contingences politiques ont par le passé empêché certaines tentatives visant à créer ce genre d'alliance globale.

 Je me félicite toutefois de la position unanime que l'opposition a exprimée vis à vis de la dernière mascarade électorale, unique en son genre.

 

- Quelle est votre réaction par rapport à la mort des jeunes Oumar Diop à Nouakchott  et Mohamed Lemine à Boghé  et la réaction des autorités mauritaniennes?
 

-N'ayant pas eu accès aux données de ces dossiers ayant fait l'objet de contradictions entre les propos tenus parles familles des victimes et les déclarations officielles, je me limiterais à certaines remarques:

1-mourir dans les geôles de la police ou dans une manifestation pacifique est un évènement d'une extrême gravité qui doit faire l'objet d'enquête transparente opérée en étroite coordination avec les familles des victimes ou leurs représentants et doit être suivie d'effets pertinents selon ses résultats.
 

2-Nos forces de sécurité ont besoin de  formation adéquate, d'encadrement étroit et permanent leur enjoignant, aux risques de fortes sanctions disciplinaires et/ou pénales, le respect des libertés garanties par la loi ainsi que celui de l'intégrité corporelle des citoyens indifféremment à leur appartenance ethnique ou tribale.

3- Enfin ces drames sont intervenus dans un contexte de profonde crise de notre unité nationale. Une crise qui perdure depuis des lustres allant aujourd'hui jusqu'à polluer les rapports quotidiens des citoyens. C'est pour cette raison que nous n'avons cessé et continuons à ce jour de souligner l'urgence de la tenue d'un dialogue inclusif sous-tendu par une volonté affirmée de poser les jalons d'un vivre ensemble apaisé pour prendre le chemin de l'édification d'une nation mauritanienne fondée sur la citoyenneté.

 

- Que pensez-vous de la lutte contre la gabegie et le procès de l'ancien président ? On a comme l'impression que ce procès ne préoccupe pas les citoyens, qu'il est en train de se banaliser quelque peu. Partagez-vous ce sentiment ? 
         

-Ce procès qui procède des travaux de la commission d'enquête proposée et impulsée par le groupe parlementaire RFD/ UFP et adoptée par l'assemblée dans sa mouture 2018-2023 est une première qui mérite d'être saluée dans le contexte d'impunité chronique constatée au sein de l'Etat.

Cependant la lenteur du déroulement du procès ainsi que l'amalgame politique qui l'a accompagné sèment un grand doute dans l'esprit des citoyens quant à la volonté réelle de l'Etat visant à mettre fin à l'impunité des présumés auteurs et complices de détournement des deniers publics.

En effet, la grande confiance octroyée à des personnes citées dans le dossier et leur mise sur selle politique alors qu'elles sont entachées de fortes présomptions d'implication eu égard aux fonctions qu'elles ont exercées au cours de la période de référence du dossier, enlève toute crédibilité à une éventuelle politique de lutte contre l'impunité qui gangrène la gestion de la chose publique.

 

- En Mauritanie,  les prix ne font que monter,  pesant lourdement sur le panier des plus démunis surtout. Pourquoi,  à votre avis, le gouvernement ne réussit pas à endiguer cette spirale? Que faudrait-il faire pour y parvenir?   
               

Le problème récurrent de la hausse des prix est intimement lié à l'orientation de notre économie quasi-exclusivement basée sur le produit de l'exportation de nos matières premières lesquelles sont évidemment tributaires des prix à l'échelle internationale.

Ainsi sommes-nous en permanence exposés aux crises cycliques et partant, à l'endettement excessif.

De plus, la rente engrangée de l'exportation de nos matières premières fait l'objet d'une gestion caractérisée par l'improvisation et les pratiques les plus malsaines anéantissant toute réserve ou résultat obtenu d'un effet d'aubaine en période de hausse des prix de nos ressources.

 Ce mode de gestion intervient en l'absence totale de conception et de mise en œuvre d'une stratégie en mesure de sortir le secteur industriel de sa situation demeurée embryonnaire depuis des lustres.
 

En effet notre tissu économique est composé essentiellement d'entreprises commerciales et de services qui ne créent pas de valeur ajoutée. Elles ne font qu'importer des produits sur lesquels elles appliquent leurs marges bénéficiaires et les charges fiscales, le tout supporté en définitive par les ménages. Il en résulte une flambée de prix permanente qui exclut toute forme d'épargne et accentue de jour en jour la pauvreté et met en relief l'extrême fragilité de l'économie. Une fragilité qui transparait clairement des ressources du budget de l'Etat constitué pour près de sa moitié de recettes fiscales prélevées sur les biens et services, les bénéfices, les  revenus nets et pour l'autre moitié de ressources non fiscales résultant de la rente issue de nos ressources naturelles essentiellement minières et donc non renouvelables.

Sans tenter de pallier cet état de fait, nous continuons à inventer chaque fois des structures de sauvetage, des béquilles pour soulager de manière superficielle et stérile la pauvreté (Tadhamoun, Taazour etc.) imposant à l'Etat un rôle impossible à tenir sur le long terme et aux populations le confinement dans la mendicité.
 

Ainsi ne prend-t-on pas la peine de penser à concevoir un cadre multidimensionnel adéquat susceptible de produire à terme une croissance effective. Un cadre qui prévoirait des réformes à moyen et long termes en vue d'implanter les infrastructures nécessaires, d'adapter un système éducatif idoine, d'édifier un Etat de droit rassurant pour tous, de procéder à une affectation et une gouvernance pertinentes des ressources et ce, pour réussir un minimum de productivité de l'économie et de création d'emplois.

À défaut d'une telle orientation posant les jalons d'une économie productive, le PIB demeurera théorique, la pauvreté, le chômage continueront de sévir et nous continuerons à publier des taux de croissance sans impact réel sur le niveau et la qualité de vie des populations en dépit de toutes les ressources actuelles et à venir. L'actuelle vague déferlante d'émigration des jeunes n'en est que la preuve ostentatoire.

 

- La Mauritanie va entrer,  sous peu,  dans le cercle fermé des pays producteurs de pétrole et de gaz. Pensez-vous que les profits qui en seront tirés pourraient être mieux gérés que ceux du poisson, de l'or, du fer et du cuivre et donc améliorer les conditions de vie des mauritaniens?  Que doivent faire les autorités pour éviter la malédiction liée à ses ressources? 

À priori, il me semble que la principale précaution à prendre pour l'exploitation de toute richesse nationale et en particulier pour parer aux effets pervers éventuels de l'exploitation des nouvelles ressources gazières, réside dans le développement de mécanismes de transparence sur tout le circuit qu'emprunte la chaîne de valeur, les revenus parvenus à l'Etat ainsi que leur contribution à l'économie et aux besoins de la société dans son ensemble.
 

Dans un contexte d'inégalité, ces nouvelles richesses ne peuvent se gérer normalement ni constituer un vecteur de développement à moins que soit menée une lutte déterminée contre la corruption et la captation privée de la rente incluant des organes de contrôle crédibles. De plus, l'allocation des revenus doit être faite sur la base d'une vision et une stratégie de développement préétablie.

 

La question de l'unité nationale est toujours agitée par les pouvoirs sans jamais lui trouver des solutions efficaces. Qu'en pensez-vous?   
 

-L'Histoire et la géographie ont légué à la Mauritanie, à l'instar de beaucoup d'autres pays une grande diversité ethnique. Une diversité qui peut muer selon le mode qui lui est assigné en   formidable richesse culturelle, donnant l'image d'une heureuse mosaïque qui nous sera enviée et un brassage susceptible de produire les plus grands génies. Elle peut aussi, qu'à Dieu ne plaise, muer en cauchemar si l'Etat et les acteurs politiques exploitent les différences en les confrontant, privilégient la dictature de la majorité et attisent l'esprit d'hostilité.
 

En tant que partis politiques toutes obédiences confondues, il me semble que notre devoir est d'œuvrer dans un élan patriotique à l'effet d'asseoir une diversité assumée par tous, y compris par l'Etat et l'administration sur la base de la citoyenneté et l'égalité des chances. Ce sont là les seuls piliers sur lesquels le gouvernement mauritanien pourrait conduire le pays au développement à travers la contribution de tous, dans la cohésion et l'esprit patriotique.
 

C'est seulement ainsi, qu'à terme, l'Etat mauritanien assurera définitivement sa pérennité. Ceci d'autant plus que notre pays est de création récente et a connu des évènements graves (89-91) qui ont lourdement contribué à faire voler en éclat la confiance entre l'Etat et les victimes, évoluant vers une rupture de toute la convivialité autrefois si présente entre nos différentes composantes nationales.

En plus de cela, l'esprit tribaliste est aujourd'hui monté en puissance, impliquant les fractions des tribus, exprimé à travers une grande violence verbale tout en s'incrustant au sein de l'administration. En effet, de hauts fonctionnaires se réclament aujourd'hui de cet esprit en prenant part au grand jour à ces antagonismes. De même, cette explosion des antagonismes tribaux a été mise en exergue constituant la base fondamentale des débats au cours des dernières élections battant ainsi en brèche tout esprit citoyen et toute intermédiation politique des partis, pourtant expressément prévue par la constitution.
 

La Mauritanie a besoin d'actes forts rétablissant l'égalité des chances et qui règlent définitivement le passé douloureux des années 89/ 91.

D'actes forts réhabilitant l'esprit citoyen mettant un frein aux égoïsmes issus d'un autre âge, superficiellement maintenus comme instrument de division et de clientélisme politique.

 

- Vous êtes députée sortante  de la dernière législature. Avec l'expérience,  diriez-vous que l'assemblée Nationale joue pleinement et efficacement son rôle ? Sinon, que faudrait-il faire pour en faire un véritable espace d'interpellations démocratiques et de contrôle de l'action du gouvernement ?

Le fonctionnement de l'assemblée auquel j'ai eu à participer au cours de deux mandats m’inspire quelques remarques en dehors de celles déjà exprimées, relatives à l'opération électorale proprement dite.
 

1 - Le nombre de députés me paraît pléthorique empêchant tout débat approfondi car le temps imparti à chaque député ne saurait dépasser 3 à 4 minutes sauf pour les députés du Parti au pouvoir.

En effet, par le jeu du nombre, ces derniers se répartissent le temps global confinant l'opposition à la portion congrue à tel point qu'elle devient à peine audible.

Une solution doit être conçue au niveau du règlement intérieur en vue de permettre à tous d'avoir le temps de s'exprimer suffisamment sur les textes présentés.
 

2-La plupart des députés ne sont pas censés avoir reçu une formation juridique leur permettant une bonne lecture des projets de loi et d'avoir la capacité de produire des propositions de lois ou des amendements.

Ils doivent donc être dotés d'assistants pour chaque groupe parlementaire en mesure d'aider à comprendre et analyser les textes et éventuellement de rédiger des propositions ou des amendements tout en  leur assurant une formation leur permettant de sortir de la posture de représentants locaux qu'ils ont tendance à revendiquer.
 

3 -  Je crois que la dissolution du Sénat est une grande atteinte portée au pouvoir législatif.

Cette chambre constitue en effet une garantie importante de la séparation des pouvoirs car elle n'est pas susceptible de dissolution par le président de la République et peut jouer librement et pleinement son rôle de contrôle parlementaire, sans être soumise à la menace de dissolution, véritable épée de Damoclès qui pèse sur l'assemblée nationale.
 

Propos recueillis par Dalay Lam

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