Cher ami
Il y a un peu plus de deux semaines, j’avais promis de revenir sur ton dernier message pour continuer la discussion. Me voilà donc aujourd’hui – après ce silence dû à un voyage imprévu – décidé à me libérer de la prégnance de cette promesse, afin de poursuivre la réflexion sur la mal-gouvernance dont souffre le pays et que nous avions constatée tous les deux mais de manière un peu ‘’aérienne’’ à mon avis.
Toutefois, tu conviendras que l’exigence d’une telle réflexion, ramassée au gré de quelques temps libres entre différentes préoccupations de la journée, ne saurait traiter la question à travers un format aussi réduit que le Whatsapp.
Dès lors, ma tâche ici se limiterait seulement à brosser à petits traits cette problématique dirimante qui s’est transformée, au fil du temps, en handicap systémique dans la gouvernance du pays. Il s’agit d’y mettre le doigt aussi schématiquement que possible, en évitant de faire recours à des chiffres ou taux d’indice pertinents pour appuyer mon argumentaire. Il s’agira donc d’une esquisse introductive ou plutôt d’une brève tentative d’éclairage sur l’origine du mal dans la perspective de proposer ultérieurement une piste ou un choix de remèdes possibles.
Economie ‘’tertiarisée’’
En attendant, il faut d’abord préciser que l’handicap en question se manifeste à travers :
1. Un Secteur primaire encore à l’état presque primitif par endroits et qui reste globalement toujours en situation de survie, englué dans des problèmes de financement, de volume de production, d’infrastructures adaptées et soutenues par une politique de transformation avec un tissu industriel diversifié. Tout cela explique la tertiarisation avant l’heure de notre économie, dans laquelle l’activité de production est tout simplement insignifiante, d’où l’insécurité alimentaire persistante et qui touche toutes les régions du pays ;
2. Un endettement public qui augmente annuellement de façon inquiétante, auquel s’ajoute un service de la dette non moins inquiétant, parce qu’il n’a pas servi et ne sert pas à financer des investissements destinés, par exemple, à assurer notre souveraineté alimentaire en sucre, en riz, en légumes et autres produits de consommation courante mais souvent à des projets dont la durabilité des effets induits est toujours ductile au point de finir tout simplement par disparaître ;
3. Un front social qui va crescendo en ébullition et en violence, porté par une jeunesse en désarroi, symptôme d’une série d’échecs dans le domaine primordial de l’éducation et de la formation technique ;
4. Un taux de chômage plus que préoccupant, en croissance perpétuelle et affectant particulièrement les jeunes diplômés qui arrivent tous les ans sur un marché du travail atone et qui ne leur offre aucun débouché, aucune perspective, ce qui explique leur émigration massive qui se déploie en ce moment vers les Etats-Unis et ailleurs dans l’espoir d’une vie meilleure ;
5. Une gestion infamante et prébendière de nos ressources halieutiques et autres, sans parler du domaine foncier qui fut un marqueur parmi les scandales du régime précédent ;
6. Une séparation des pouvoirs formelle mais n’ayant aucune substance réelle, parce que soumise à la seule volonté du pouvoir exécutif; d’où cette gouvernance autour de laquelle bruissent des rumeurs sur un niveau de corruption exceptionnel à tous les niveaux de l’Etat...
Handicap systémique
Voilà quelques éléments constitutifs de l’handicap systémique dans lequel on semble se complaire sous une forme de banalité, depuis plusieurs décennies.
Mais il reste encore d’autres éléments sur lesquels je voudrais revenir prochainement pour compléter le tableau de cet état d’involution globale qui ressemble à un gouffre profond, quand bien même la situation n’est pas fatale car d’autres pays l’ont traversée et ont fini par trouver les ressorts nécessaires pour s’en sortir.
Il s’agit d’une situation fondée sur ce qu’on peut appeler des contre-valeurs de bonne gouvernance, tels que : (i) le clientélisme déraisonnable qui est ici marqué du sceau de la préférence des relations sociales – à travers la famille, la tribu ou le clan politique – pour les nominations aux postes de responsabilité, au détriment des critères de compétence et d’expérience ; (ii) la démagogie flatteuse qui traduit une pitoyable démission intellectuelle et morale ; (iii) le tout sous-tendu par une ambition obsessionnelle d’enrichissement illicite et rapide qui est facilité ici par un brevet de bonne conduite sociale à coups de largesses sonnantes et trébuchantes, en particulier lors des campagnes électorales.
Cette situation est à l’origine des causes rationnelles de l’échec répétitif des différents programmes de développement généralement mis en œuvre par le biais d’un financement extérieur, avec ce qu’il comporte de conditionnalités contraignantes, reproduisant toujours les mêmes schémas qui n’ont jamais sorti un pays du sous-développement et de la pauvreté.
Et pourtant, avec une conviction toujours renouvelée, qui amuse sans doute les « partenaires », nos dirigeants continuent d’y croire, alors qu’il s’agit de schémas génériques qui ont partout échoué et n’ont jamais abouti à autre chose que le contraire des résultats escomptés. Parce que leur cynique finalité est d’étouffer des pays comme le nôtre par un surendettement, afin de les maintenir dans la pauvreté et préparer ainsi l’environnement économique et institutionnel pour les entreprises occidentales, en mettant à leur disposition toutes les conditions favorables à l’exploitation des matières premières desdits pays au moindre coût...
Pour dire que tout cela continue à paralyser le pays et tient d’une entreprise de rupture qui peut se faire de manière graduelle ou radicale. Encore qu’ici, comme déjà souligné auparavant, l’exercice intellectuel est nécessaire en ce qu’il replace la boussole indiquant la voie qui pourrait conduire à un autre modèle de développement plus pertinent et surtout plus vertueux, avec d’autres cadres de partenariat et sources de financement...
Autrement, il sera sans doute plus difficile de réaliser des progrès significatifs au cours des prochaines décennies. Et comme pour nous y préparer, il y a deux mois, la Banque Mondiale elle-même a tiré la sonnette d’alarme sur les perspectives économiques du pays, en annonçant que « la Mauritanie pourrait connaître un ralentissement économique et une augmentation de la pauvreté dans les années à venir ».
C’est tout de même désespérant, voire paradoxal, venant d’une institution dont la mission principale était « d’aider les pays sous-développés à mettre fin à la pauvreté et de promouvoir une prospérité partagée dans le monde ».
Mais comme l’a dit le président brésilien, Lula, en début d’aout passé : « au lieu de sauver les pays du sous-développement, le FMI et la Banque Mondiale sont plutôt là pour les couler et les maintenir dans la pauvreté ».
On peut en déduire qu’il y a effectivement urgence à changer de paradigmes ou plutôt de modèle de développement et surtout de mécanismes de partenariat avec ces institutions financières ...
Mais encore une fois, cher ami, n’est-ce pas là un profond débat qui ne saurait être engagé dans le cadre si limité de cet échange ?
Ahmedou Ould Moustapha
lecalame