Le Calame: Dans moins d’un mois, les mauritaniens iront aux urnes pour élire leurs conseils municipaux, leurs conseils régionaux et leurs députés à l'assemblée nationale. Quelle évaluation vous faites de la mise en œuvre de l'accord entre les partis politiques et le ministère de l’intérieur, signé en septembre dernier et le déroulement du chronogramme de la CENI ?
Mohamed Aabed : L’Accord des concertations entre le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation et les partis politiques préparant les élections communales, régionales et législatives de 2023, signé le 26 septembre dernier, me semble connaître une mise en œuvre satisfaisante qui aura un impact significatif en termes de parachèvement de la pacification des rapports entre les différents acteurs politiques. En effet, il permettra, à travers la proportionnelle, l’élargissement du champ de participation et de représentation de ces acteurs au niveau local et national et le renforcement du contrôle citoyen des conseils régionaux et municipaux. Il permettra également d’assurer une plus grande participation des jeunes et des femmes à la gestion du quotidien de nos concitoyens et au façonnement de leur avenir, grâce au renforcement de leur présence à l’Assemblée nationale, et une amélioration de la transparence dans le financement des campagnes électorales.
Par ailleurs, le recensement administratif à vocation électorale s’est bien déroulé alors que la CENI semble piloter le processus qui relève de sa responsabilité sans anicroches.
Au rythme où vont les choses, pensez-vous que la CENI réussira à relever le challenge en organisant des élections consensuelles, transparentes et donc crédibles ?
-A priori, la CENI devrait pouvoir s’acquitter honorablement des missions qui sont les siennes dans la conduite du processus électoral et, comme tout citoyen mauritanien, je lui souhaite plein succès. Toutefois, le caractère consensuel, transparent et donc crédible des élections dépend de l’ensemble des acteurs de la scène politique et de la compétition électorale qui doivent s’abstenir de tout comportement qui pourrait porter préjudice à liberté des choix de nos concitoyens et à la sincérité des résultats de leurs votes.
- L’opposition mauritanienne va aux élections plus que divisée. Certains des partis traditionnels ont peiné à déposer des listes sur l'essentiel des circonscriptions du pays. Partagez-vous l’avis de ceux qui redoutent la disparition d’une grande partie de cette opposition au sortir du scrutin du 13 mai prochain ?
-L’opposition mauritanienne a joué un rôle déterminant dans toutes les réformes politiques que la Mauritanie a connues depuis 1991 et auparavant et qui ont conduit à des avancées en termes de démocratisation de la vie politique et de gouvernance globale de notre pays. C’est l’occasion pour moi de témoigner de mon profond respect pour les différents leaders de cette opposition et l’ensemble des militant(e)s des partis qui la composent.
Comme dans tous les pays du monde, les paysages et les classes politiques se renouvellent, mais il restera toujours des femmes et des hommes fidèles à leurs principes. Quel que soit leur degré de représentation dans les nouveaux conseils municipaux et régionaux et à l’Assemblée nationale à l’issue des scrutins de mai et juin 2023, les partis d’opposition traditionnelle continueront à bénéficier de l’estime et de la reconnaissance de tout mauritanien patriote pour les sacrifices qu’ils ont consentis pour promouvoir l’unité nationale, la démocratie et la bonne gestion dans notre pays.
-Pendant que les anciens grands partis peinent à exister, d’autres, jusqu'ici peu connus et sans ancrage, ont réussi à présenter des listes jusque dans des communes les plus reculées du pays. Qu'est-ce qui explique, à votre avis, cette situation ?
-A mon sens, cette situation s’explique par deux principaux facteurs. Le premier facteur, spécifique aux partis dits de la majorité, tient à l’importance numérique des candidats à la candidature sous les couleurs du parti au pouvoir, El Insav. Les prétendants qui ont été éconduits ont eu recours à d’autres partis, parfois juste titulaires de récépissés, pour se présenter aux scrutions municipaux, régionaux et législatif. Le second facteur, propre aux partis dits d’opposition, réside dans le fait que ces partis ont eu à faire face durant la période 2008-2019 à un ensemble de mesures punitives destinées à limiter leurs capacités d’action et de manœuvres visant à susciter des dissensions en leur sein. Cette situation, couplée aux antagonismes nés des ambitions personnelles de certains des cadres de ces partis, a obéré leur capacité de présentation de candidats aux différents scrutins.
-Le procès dit de la décennie tient les mauritaniens en haleine. Les débats de fond ont commencé. Avez-vous le sentiment que les mauritaniens sauront la vérité sur le pillage de leurs ressources dix ans durant ? Ce procès pourrait-il sonner le glas de la corruption dans notre pays ?
-J’ai toujours dit que l’ampleur de la prédation des ressources du pays durant la période 2008-2019 est bien plus importante que tout ce que l’on peut imaginer. Le slogan, en langue arabe, de l’une de nos compagnies de télécommunications traduit parfaitement cette ampleur : « Plus que vous ne pouvez imaginer » ! Je ne crois donc pas que le procès en cours permettra de savoir la vérité sur le pillage érigé en système de gouvernement durant plus de dix ans et qui n’a épargné aucun secteur.
Le procès en cours constitue une première dans notre pays et je me félicite, comme la plupart des mauritaniens, qu’un concours de circonstances l’ait rendu possible. Toutefois, je ne crois pas qu’il sonnera le glas de la corruption dans notre pays car celle-ci s’est profondément enracinée et les habitudes consolidées des décennies durant ne peuvent être abandonnées du jour au lendemain ! Tout au mieux, ce procès incitera certains gestionnaires publics à être plus « prudents » !
Propos recueillis par Dalay Lam
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