Chinguetti, Ouadane, Tidjikja… Ces perles du Sahara mauritanien ont longtemps été délaissées. Et si un tourisme raisonné permettait leur renaissance ?
On se colle contre le mur de la ruelle pour céder le passage au petit âne et à sa carriole brinquebalante. On longe le joli minaret de pierres sèches de la mosquée (XIIIe siècle) de Chinguetti et on plonge dans un escalier un tantinet raide au bas duquel un panneau proclame : « Le savoir est la seule richesse que l’on peut distribuer sans risquer de se ruiner. »
Chinguetti, septième ville sainte de l’islam
Pour le démontrer, Seif Islam, de la vieille famille Al Ahmed Mahmoud, fait visiter sa « bibliothèque », où il conserve dans de simples boîtes en carton quelque 7 000 trésors manuscrits parfois enluminés – comme ce Coran de 1439 – et parfois en lambeaux.
À Chinguetti, une douzaine de familles conservent pieusement les mêmes reliques écrites par des astronomes, des théologiens, des juristes ou des marchands depuis sept siècles, avec pour plume l’herbe à chameau et pour encre des mélanges de gomme arabique, d’oxyde de fer et de charbon.
La cité était la septième ville sainte de l’islam. S’y rassemblaient les pèlerins en partance pour La Mecque. L’azalaï, ce regroupement de milliers de dromadaires de bât, descendait de Marrakech, transportant métaux et verroteries. Les montures se chargeaient de sel à Idjil, non loin de là, et reprenaient, d’ergs en regs, la piste du sud vers Tichitt et Oualata en direction de Tombouctou. Quelques mois plus tard, ils étaient de retour avec l’or et l’ivoire venus d’Afrique subsaharienne et destinés à Marrakech.
Ce lent ressac des caravanes n’était pas seulement commercial. D’oasis en oasis s’échangeaient ainsi les sciences, les poèmes et cet islam malékite instillé au cœur du Sahara par des prédicateurs venus du nord. Pas étonnant que Chinguetti y ait gagné le surnom de « Sorbonne du désert » et que la Mauritanie ait été appelée, un temps, « Bilad Chinguitti » ou « le pays de Chinguetti ».
Murs de pierre
Aujourd’hui, Chinguetti, Ouadane ou Tidjikja, ces ksour orgueilleux et leurs palmeraies qui jalonnent le Sahara mauritanien, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Leurs beaux murs de pierres taillées s’écroulent, le sable engloutit leurs ruines. Au XXe siècle, la colonisation française a détourné les courants commerciaux vers la côte et les caravanes se sont évanouies.
La sécheresse qui a sévi au cours des années 1970 leur a porté le coup de grâce en décimant les troupeaux et en raréfiant les récoltes. Les habitants ont fui vers Nouakchott, la capitale. Le nombre de nomades en a été divisé par deux et celui des habitants de ces perles du désert, plus encore. La fière Chinguetti compterait moins de 5 000 habitants.
Depuis 2003, un plan de sauvegarde épaulé par l’Unesco et la Banque mondiale est en application
Le jeune État mauritanien a réagi comme il a pu. Depuis 2003, un plan de sauvegarde épaulé par l’Unesco et la Banque mondiale est en application. « Pour sauvegarder, il faut impliquer les populations, explique Nami Salihy, conservateur national du patrimoine. Ce sont elles qui reconstruisent. Nous avons commencé les chantiers par le centre du village et par la mosquée. Il faut négocier avec les habitants pour qu’ils ne mettent pas des paraboles ou des câbles électriques n’importe où. Nous pouvons conserver les documents, mais pas les restaurer, faute de moyens. » Quand il fait humide, on les protège avec du sel, et quand il fait trop sec, on les humidifie. Un procédé sommaire.
Le tourisme comme solution
C’est là que le bât blesse. « Nous travaillons avec l’Unesco, mais les financements n’arrivent pas vite et les procédures sont compliquées », regrettait le président Mohamed Ould Abdelaziz, le 2 décembre 2017 à Tichitt, lors de la septième édition du Festival des villes anciennes.
« Nous essayons de garder en vie ces cités qui ont peu de ressources, poursuivait-il. Ce festival financé par l’État à tour de rôle à Chinguetti, Ouadane, Oualata et Tichitt est au cœur de notre projet socioculturel ambitieux qui revivifie notre patrimoine arabe et africain, et qui renforce notre unité nationale. »
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Mohamed Lemine Ould Cheikh, ministre de la Culture et de l’Artisanat, estime que ces festivals ont fait progresser de 15 % l’activité de Tichitt, de 20 % celle de Oualata, de 30 % celle de Chinguetti et de 45 % celle de Ouadane. Mais deux ou trois jours de festivités par an ne permettent ni de pérenniser des emplois ni d’assurer la renaissance de ces cités.
Le tourisme, voilà la solution. Dans ces dunes blondes ou ocre et ces petits villages de nomades à la limite de la survie, n’est-il pas – à condition d’y être introduit à petite dose – le modeste succédané des caravanes qui y apportaient jadis culture et activité économique ?
Surgie comme par magie du sable de l’Adrar, une femme toute de bleu voilée a étalé à côté du puits ensablé bijoux, théières colorées, boîtes à khôl, chèches et foulards à l’intention des randonneurs remontant l’oued El-Abiod, la « vallée blanche ».
Nous sommes les ambassadeurs de notre pays et de notre culture
La nouvelle lui est parvenue dans son campement, ainsi qu’à ses sœurs de Meidan et de Terjit, que l’« avion » était de retour à Atar et, avec lui, les acheteurs de babioles pour quelques milliers d’ouguiyas « anciens » (quelques euros) qui permettront à la famille de mieux vivre la « soudure » de la saison chaude.
Absents depuis l’assassinat de quatre Français en 2007 près d’Aleg, les touristes sont de nouveau autorisés par le ministère des Affaires étrangères à embarquer chaque semaine sur un charter affrété par les voyagistes Point-Afrique et Terres d’aventure. Une bénédiction pour les hommes qui avaient dû s’expatrier pour trouver du travail, la culture des 167 variétés de palmiers dattiers ne suffisant pas à nourrir leur progéniture.
À l’appel de Kadi, le maître en logistique saharienne, Mohamed vient de rentrer au pays après avoir fait de la comptabilité à la Snim, la société productrice de fer à Zouérate, puis embarqué comme mécanicien sur les bateaux de pêche de Nouadhibou. Quel est de tous ces métiers celui qu’il préfère ? « Guide », répond-il avec un sourire. « Nous sommes les ambassadeurs de notre pays et de notre culture », ajoute-t‑il.
Sous sa houlette et sa protection (il a un téléphone satellitaire dans son sac, au cas où), on peut pénétrer à pied dans ce Sahara enchanteur où une sorte de myosotis bleu lavande résiste envers et contre tous les sables. On rêve aux millénaires où les antilopes et les girafes gravées dans la roche du Châtou es Seghir paissaient dans la vallée où l’eau ne s’était pas encore dérobée.
Précieuses retombées
Combien le tourisme rapporte-t‑il aux populations sahariennes ? En l’absence de statistiques précises, voici le témoignage de Lionel Habasque, PDG de Terres d’aventure : « Sur les 12 vols prévus cette saison [décembre 2017-avril 2018] avec un avion de 140 passagers et si l’on considère que le vol est rempli à 80 % en moyenne, les retombées directes sont de 600 000 euros environ, soit 50 % du prix d’un voyage oscillant entre 1 000 et 1 300 euros.
Si l’on passe à une saison complète l’année prochaine, soit de mi-octobre 2018 à fin mars 2019, les retombées seront doublées à 1,2 million d’euros. Il y a dix ans, avec trois vols hebdomadaires, nous apportions 3,6 millions d’euros. » Le tourisme saharien ne sera jamais un tourisme de masse, mais il a des répercussions bénéfiques dans cette région où bien des habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de deux euros par jour.
Alain Faujas
source jeuneafrique.com