Dans ces contrées perdues entre les dunes du Draa et les gerçures de la Chemama ainsi que ses innombrables cours d’eau, dont le célèbre Lac R’Kiz, prolifèrent des villages d’agriculteurs, descendants d’esclaves vivant les pires séquelles du fléau. La propriété foncière, celle des terres cultivables, y constitue le plus épineux dossier, là où les séquelles de l’esclavage sont prégnantes et la compromission des administrations locales, flagrante.
Un contrôle des naissances dicté par la vie
«Nous avons perdu le goût de l’enfantement » lance Mabrouka Mint Imijine, l’échine courbée sous 49° de chaleur, comme un défi. Ses mains rugueuses ont du mal à attraper la manche chaude de la houe avec laquelle elle tente péniblement de retourner la terre durcie par des années de sécheresse. Une dizaine d’autres silhouettes aux habits en loque s’échinent aux alentours, dans un immense champ à labourer par la main. Nous sommes à Naçra, commune de Tekane, un hameau de 600 familles, aux abords du lac du même nom qui tire sa source de Sekan, aux confins du département.
Mabrouka n’a que 18 ans, mais on lui en donnerait le triple, tellement son corps a été émacié par des années de labeur et la douleur des enfantements. «J’ai 4 enfants, et je n’en veux plus» ajoute-t-elle, debout sur ses 1,80 m. Mariée à l’âge de 13 ans, elle a aligné les grossesses comme une pondeuse. «Nous retournons le soir fourbues par le travail et dormons pratiquement debout». Pour elle, et pour nombre de ses compagnes, les méthodes contraceptives qu’elles suivent auprès du centre de santé de R’Kiz, sont une aubaine.
«Nous n’avons même pas un poste de santé, et quand une femme va accoucher, on l’amène par charrette vers le centre le plus proche, le village Douze-Douze à 15 kilomètres de là. En cas de complication, on l’amène à R’Kiz. Les femmes qui saignent meurent souvent en cours de route» ajoute-t-elle
«Des équipes de santé passent souvent pour parler d’espacement des naissances », reconnaît Zeynabou, la vingtaine. «Beaucoup utilisent ici la pilule » jette-t-elle en boutade, provoquant l’hilarité générale. «Mais ces pullules n’ont provoqué que des saignements et des avortements, moi je ne m’y aventurerais pas. D’ailleurs, Allah garantit la nourriture à tout être » ajoute-t-elle, le corps disparaissant sous une bourka noir, celle des islamistes nourris aux idées radicales, le bébé sous la hanche.
Beaucoup ne sont pas de son avis. Pour Aïcha Mint Mandaw, 2 garçons et 1 fille, «moi j’ai accepté de rester à 3 ans sans enfant. On m’a placé un objet sous le coude et je suis tranquille ». Mawa Mint Jibril elle, s’approche de la trentaine. Mariée depuis quinze ans, elle n’a pas d’enfants.
L’autonomisation agricole
«Nous n’avons que ces terres comme sources de revenus, mais nous en tirons rarement profit à cause des animaux errants qui viennent tout dévorer la nuit, si ce ne sont les eaux que l’Etat déverse sur nos cultures » se plaint la doyenne, Mouya Mint Imijine, à peine 35 ans, presqu’une grand-mère. Les femmes en veulent aux services qui contrôlent les vannes du cours Naçra. «Jamais d’appui de la part de l’Etat, ni en semences ou engrais. Si au moins, on nous avait donné un engin pour défricher la terre » soupire-t-elle.
Bien que ne détenant pas la propriété des terres, celle-ci étant l’apanage des hommes, les femmes de Naçracomme toutes les femmes rurales, sont les principales agricultrices du village. Avec les maigres revenus qu’elles tirent de leur travail, elles participent en grande partie aux dépenses courantes de leurs familles, nourriture, habillement et scolarité des enfants.
«Et les hommes, que font-ils ? » Une question qui provoque une hilarité générale. «Ils ne font rien, sinon nous attendre au pas du crépuscule» glousse Marième Mint Ijiwene. «Nous finirons par nous révolter et refuser de rentrer » s’esclaffe-t-elle, déclenchant des fous rires.
Partout ailleurs, dans ces vastes étendues du département de R’Kiz, que cela soit à Tachtaya, à Adala, à Douze-Douze, à Bougamoun, Mou Sleymane, Lemhariya, Awleig, Nkhayla, pour ne citer que ces villages des communes de R’Kiz, de Tekane ou de Lexeiba, les femmes sont regroupées en coopératives maraîchères ou cultivent le riz. Le dénuement est partout le même, les complaintes aussi. A côté des ennemis de la culture qui détruisent les récoltes d’une saison, l’action prédatrice des services publics régionaux et départementaux est également citée comme la principale cause qui freine le développement socioéconomique au niveau local.
Mais la révolution sociale est en route, car l’espacement des naissances, jusque-là confrontées aux pesanteurs socioreligieuses, fait des progrès, selon Khady Mint Mohamed, sage-femme, responsable du Service SR/PF au Centre de santé de R’Kiz. Un tableau des utilisatrices de la Planification Familiale au niveau départemental renseigne sur l’engouement de plus en plus fort des femmes rurales pour la contraception (Voir Tableau).