Le Calame : En Mauritanie, on reproche à la presse son manque de professionnalisme : n’importe qui peut s’ériger en journaliste, fonder son journal, ouvrir un site web ou lancer une chaîne de télé. L’image est si dégradée qu’on traite les journalistes de peshmergas. Comment en est-on arrivé là ? Que faire pour assainir cette situation ?
Houssein ould Meddou : L'histoire de la presse dans le monde connaît des périodes de balbutiements, caractérisées par des insuffisances qui finissent par des ruptures avec certaines pratiques, à mesure que les exigences de changement imposent de nouvelles règles et de nouveaux paradigmes. Des efforts ont été déployés ces dernières années dans le domaine de la formation professionnelle des journalistes en vue de renforcer la qualité de leur production et remettre à niveau les bonnes pratiques en thermes de respect des règles de l’éthique, de la déontologie, du traitement de l'information en toute liberté et responsabilité. Ces formations continues ont eu un impact positif sur leur travail.
La HAPA veille strictement au respect de la liberté d'expression et au pluralisme médiatique, des principes consacrés par la loi sur la presse. Le président de la République, son Excellence Mohamed Ould Cheikh Ghazwani, accorde une attention particulière au rôle de la presse dans l'accompagnement de la démocratie et de la bonne gouvernance. Grâce à sa volonté et avec l’implication des différents acteurs de la presse, la réforme du secteur a connu des avancées considérables.
-Dans cette perspective, le président de la République a institué une Commission nationale de réforme de la presse et des media qui a rendu son rapport il y a des mois déjà. Quelle a été la contribution de la HAPA dans ce travail ? Comment avez-vous trouvé ses recommandations ? Sont-elles de nature à sortir la presse mauritanienne de sa léthargie ?
-Bien entendu, ce travail a réuni tous les acteurs impliqués dans le processus. La HAPA apprécie à sa juste valeur le contenu du rapport en phase avec les efforts déployés par notre instance pour réguler l'écosystème médiatique et promouvoir le droit des citoyens à l'information. Une feuille de route a été tracée et nous travaillons en synergie avec les acteurs publics et privés pour la réalisation des objectifs fixés.
-Pouvez-vous nous dire ce que la HAPA a fait de son côté pour assainir le secteur ? Considère-t-elle la mise en œuvre de la Commission de réforme de la presse comme une réelle volonté politique en ce sens ?
-La HAPA est une institution de régulation à vocation de faire respecter les lois, conformément à ses missions régaliennes. La promotion de la presse dont vous parlez est au cœur de son travail, en ce que notre institution œuvre à la préservation de la liberté d'expression, au pluralisme médiatique et à la diversité culturelle. La fondation par le président de la République de la commission en charge de la réforme du secteur de la presse était cruciale pour concrétiser la volonté d’ouvrir l’espace des libertés en impliquant directement les journalistes dans le processus. La commission a travaillé dans un cadre inclusif de manière consensuelle. Elle a rédigé son rapport pour le soumettre à l’approbation du gouvernement et la HAPA était impliquée du début à la fin du processus. Dans ce cadre de réforme, des actions importantes ont été déployées pour renforcer l’arsenal juridique, notamment la loi constitutive de la HAPA qui a vu élargir les prérogatives de celle-ci ;consolider la représentativité du corps journalistique ; impliquer le genre ; établir un projet de loi sur le journalisme professionnel, celui de l’appui intégré en faveur de la presse privée, la carte de presse, la fondation de radios associatives en phase avancée qui s’inscrit dans la promotion de la diversité et du pluralisme médiatique.
La HAPA veille par des règles et des lois à réguler les media et à contenir les dérives. Un des moyens les plus appropriés pour éviter de tels dérapages est de remettre à niveau les journalistes sur le plan professionnel, éthique et déontologique, grâce à des formations de qualité et au renforcement des connaissances des textes juridiques en vigueur. L'aide publique à la presse permet de venir en appoint aux problèmes structurels que rencontrent les media privés. La HAPA a accompli plusieurs actions en ce sens et continue à y agir, conformément à ses missions.
- Il y a bientôt plus d’une année, vous avez interpellé les responsables des media publics sur le déficit de représentativité de certaines communautés dans leurs grilles de programmes. Avez-vous été entendu ?
-La radio et la télévision publique sont des services publics. À ce titre, elles doivent consacrer le droit à une information de qualité pluraliste et crédible reflétant la diversité culturelle du pays. La loi est claire là-dessus et l'application de cette disposition est sans appel. Car elle fait partie du travail que mène la HAPA au service de la cohésion sociale et de la promotion du pluralisme médiatique. Les langues nationales sont un patrimoine national valeureux qui a sa place dans les grilles des programmes. Ce souci de promouvoir celles-là est d’autant plus clair dans les enquêtes et rapports annuels de la HAPA. Nous apportons les améliorations nécessaires aux media publics et engageons les media privés à respecter les cahiers de charges, en accordant aux langues nationales la place qu’il faut. La HAPA veille à l’observation de la diversité culturelle et au pluralisme médiatique. La promotion des langues nationales est un axe prioritaire, tant dans le domaine de la formation que nous apportons aux journalistes en langues nationales, qu’en leur implication dans les prix d’excellence organisés au profit des media.
-Que vous inspire l’absence en Mauritanie de ministère de l’Information ou de la communication ?
-Fonder tel ou tel département relève de décisions politiques. Selon les priorités et les orientations, l'architecture gouvernementale peut être déterminée par des choix et des recadrages dictés par des orientations stratégiques. Si l’absence, en d’autres pays, d’un ministère de l’Information relève d’une posture révolutionnaire, chez nous, cette absence n’est pas prégnante car les prérogatives de la communication sont gérées par le ministère de la Culture, de la jeunesse et des sports et des relations avec le Parlement.
-Il est rare de trouver dans une famille ses membres suivre les programmes de la télévision nationale ou de Radio-Mauritanie et même des autres chaînes privées mauritaniennes. Nos concitoyens optent dans leur écrasante majorité pour les chaînes étrangères pour s’informer ou se distraire. Qu'est-ce qui explique, selon vous, cette espèce de désamour pour ne pas dire défiance ?
-Dans un monde qui se globalise et où l'évolution technologique s’accomplit à un rythme fulgurant, les réseaux sociaux ont une forte influence sur leurs homologues publics. La diversité des media pousse les auditeurs et les téléspectateurs à zapper en tous sens. La situation en Mauritanie n'est pas une exception. En dépit de cette déferlante informationnelle, la radio et la télévision nationales ont cependant une audience appréciable dans le pays et des efforts se poursuivent afin de porter plus loin la voix de ces media.
Mais il faut, pour fidéliser davantage le public, apporter de l'innovation et de la diversité dans les contenus des programmes. Car une information de qualité est un droit pour les citoyens. Nous avons constaté lors de nos enquêtes que les media publics exploitent de plus en plus les canaux numériques.
-Certains acteurs politiques et de la Société civile considèrent que la loi protégeant les symboles de l'État comme un recul des libertés. Qu’en pense la HAPA ?
-Dans un environnement où prolifèrent les rumeurs et où l'atteinte aux fondamentaux de la presse constitue un énorme défi, les media doivent éviter de verser dans l'excès, en respectant les règles et normes en matière de liberté. Qu'il s'agisse des symboles de l'État ou de la préservation de l'unité nationale, des droits citoyens ou autres, les media ont une grande responsabilité à assumer. L'autorégulation est un moyen efficace et responsable pour éviter les dérives. Être libre ne signifie pas dire ce qu'on veut au mépris des règles morales et professionnelles. Si la maxime juridique « nul n'est censé ignorer la loi » inspire au respect des règles édictées par l'esprit des lois, la liberté de la presse a aussi des limites à ne pas franchir. La protection des libertés n’a d’égal que leur respect.
-Quels sont vos rapports avec les différents syndicats de la presse mauritanienne ?
-Nous entretenons des relations étroites avec les journalistes, leurs associations et organisons des rencontres régulières, non seulement avec les acteurs de media mais aussi avec les politiques que nous impliquons dans nos activités en tant que parties prenantes, notamment durant les processus des élections, dans le cadre de la régulation et du monitoring de celles-ci. Nous travaillons ensemble en toute confiance. La HAPA est une pierre angulaire dans la dynamique globale de la réforme.
Ces relations nous ont permis de signer une convention avec ARCOM dans le domaine de la régulation des media, ainsi qu’un projet, avec d’autres partenaires comme l’UE, pour lutter contre le discours haineux, ou encore le projet RIM-media avec l’ambassade de France et l’école de Tours pour la formation des media mauritaniens dans le domaine de la prévention contre les fake-news. En plus d’un partenariat avec le PNUD, pour une convention dans le cadre des processus électoraux, nous allons accueillir les 16 et 17 Novembre prochains une rencontre internationale du REFRAM :« l’audiovisuel à l’ère du numérique » ; ainsi que d’autres, comme celle de RIARAC sur la régulation des élections…
-Les acteurs des media postulent depuis quelques jours au fonds d’appui à la presse. Quels sont les critères d’éligibilité à ce fonds ? À combien s’élève-t-il cette année ?
-Les critères d'éligibilité au fonds d'aide à la presse en Mauritanie peuvent varier d'une année à l'autre. Cependant, les media doivent généralement répondre à certains critères de base pour postuler. Entre autres : être enregistré légalement en tant que media (journal, site web, station de radio ou de télévision, etc.) en Mauritanie ; avoir une activité régulière et continue dans la production de contenus journalistiques ; disposer d’une équipe de journalistes compétents dans la rédaction ; être en conformité avec les lois et réglementations mauritaniennes en matière de presse ; présenter un dossier de demande dûment rempli avec les informations requises. Cette année, seule une demande tient lieu d'acte de candidature.
-Le fonds d’appui à la presse était destiné à la presse écrite ; il a été élargi, sans qu’on sache pourquoi, aux autres media : radio, télé et sites électroniques. Il toucherait désormais plus de deux cents organes. Cet élargissement a porté préjudice à la presse écrite mais ne profite pas de manière significative aux autres media. La HAPA ne peut-elle pas revoir la manière dont est réparti ce fonds afin d’en faire mieux en profiter le secteur ?
-Effectivement : au départ, le fonds d'aide public à la presse était destiné à la presse écrite privée. Dans sa politique de promouvoir le droit à l'information libre et crédible tel que consacré par la loi, l'État a par la suite alloué un montant destiné à renforcer les capacités des autres media.Avec l'élargissement de l'espace médiatique, grâce à la libéralisation de l'audiovisuel qui a vu l'arrivée de radios et de télévisions à vocation privée et commerciale, en plus de la presse en ligne, ce sont donc toutes les catégories médiatiques qui expriment le besoin d’être soutenues. Pour assurer une meilleure répartition de ce montant annuel, les autorités compétentes, notamment la tutelle, ont mis en place une commission composée des représentants des différentes organisations professionnelles des media ainsi que de ceux désignés par l'administration publique, sous la supervision de la HAPA qui en facilite les processus d'accès. La gestion est donc collégiale. Tout media qui répond aux critères d'éligibilité bénéficie de cet appui sans aucun préjudice à l'égard de tel ou tel organe. La commission fixe des critères objectifs pour assurer le maximum de transparence. Chaque année, on tire les leçons des expériences passées pour apporter des améliorations. Il faut préciser que le nombre de postulants n'est pas figé et varie d'une année à une autre. Cette année il est en hausse pour certaines catégories de media.
-Merci, monsieur le président, de nous avoir exposé toutes ces explications.
-C’est moi qui vous remercie de nous en avoir accordé l’opportunité.
Propos recueillis par Dalay Lam
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