Logée au rez-de-chaussée de l’Immeuble El Mami, sur l’Avenue Kennedy, l’une des plus achalandées de Nouakchott, la « Librairie 15/21 » constitue aujourd’hui l’un des temples du savoir le plus fréquenté de la capitale mauritanienne. Créée en 2002 par le défunt Tidjani Ahmed Meki, journaliste chevronné disparu en 2004 dans un accident de circulation, la « Librairie 15/21 » est aussi une maison d’édition, avec à son actif 50 parutions dont 20 en français.
« Sans fournitures scolaires, pas de librairies »
Selon Marième Mint Dahi, épouse de Feu Tidjani Ahmed Meki qui gère aujourd’hui la maison avec ses enfants, la « Librairie 15/21 » repose essentiellement sur la vente des fournitures scolaires. « Il s’agit de fournitures de qualité, donc un peu plus chères à cause des droits de douane, que celles que l’on trouve sur le marché aujourd’hui inondé par les produits chinois bon marché mais de mauvaise qualité. La vente de ces fournitures constitue notre principale source de revenus » a-t-elle soutenu.
Elle a déploré l’absence de toute subvention de l’Etat, même sous les effets dévastateurs de la pandémie Covid-19. « Non seulement, l’Etat mauritanien n’encourage pas les librairies en leur achetant des lots de livres pour les établissements scolaires, mais il leur interdit de vendre ou de réimprimer les ouvrages de l’Institut Pédagogique National (IPN) que l’on vend pourtant sous forme de polycopiés dans les nombreuses librairies par terre ou au marché de la Capitale » a-t-elle regretté.
Même son de cloche du côté de Sellami Ahmed Meki, grand-frère de Tidjani qui a géré pendant plus de seize années la « Librairie 15/21 ». Depuis 2010, il s’est mis à son propre compte en ouvrant les librairies, « Joussour Abdel Aziz. Selon lui, « aucune librairie ne peut survivre en Mauritanie sans les fournitures scolaires qui constituent la première rentrée de revenus ». Les romans et livres qu’il vend, attirent peu de clientèles, d’après ses aveux. « La faible affluence s’explique par la rareté des amoureux du livre et le prix élevé des ouvrages que nous commandons des maisons d’édition. Les Mauritaniens ne lisent plus » a-t-il regretté. A part certaines chancelleries et les anciennes générations qui continuent de s’attacher aux livres, la jeune génération est très loin du livre, a-t-il fait remarquer en substance.
Sellami Ahmed Meki, membre de l’Association Internationale des Editeurs (IPA) dont le siège est à Genève (Suisse), explique que « les librairies dans le monde entier sont subventionnées par l’Etat, particulièrement en cette période de Covid-19 qui a lourdement impacté le secteur ». En Mauritanie, poursuit-il en substance, les librairies ne bénéficient d’aucune subvention publique et l’Etat n’encourage pas le développement du secteur, en achetant au moins les romans d’écrivains mauritaniens pour les besoins de l’éducation nationale. « Aucune bibliothèque n’existe dans les régions. Aucune bibliothèque dans les communes, ni dans les administrations, ce qui pourrait encourager les populations à lire et aux éditeurs de se développer et de créer des emplois » argue-t-il.
Il a salué dans ce cadre l’initiative prise sous le règne de l’ancien Chef de l’Etat, Maaouiya Sid’Ahmed Taya, qui avait lancé à son époque une vaste opération autour du livre, suscitant même une chanson devenue un véritable cri à la lecture, « Kitabou ». C’est l’époque où plusieurs « Maisons du Livre » ont été ouvertes dans toutes les régions et départements du pays. « C’était une opération de politique politicienne, mais une politique positive en faveur du livre qui a beaucoup profité aux librairies » a-t-il reconnu.
Logé aux rez-de-chaussée du même immeuble El Mami, à côté de « 15/21 » et de « Joussour Abdel Aziz », la librairie « Vents du Sud » n’en mène pas plus large que ses deux concurrents.
Créé il y a près de trois décennies, la librairie gérée par la jeune Khadijetou Sidibé, offre une panoplie d’ouvrages dans toutes les disciplines, en plus du roman mauritanien et la presse nationale. A la fois maison du livre et de l’édition, la librairie « Vents du Sud » dispose elle-aussi de sa propre clientèle. « Nous avons différents profils de clients, selon leurs goûts de lecture et de leur pouvoir d’achat » déclare Khadijetou derrière son modeste pupitre. Quelques chancelleries, des hommes politiques, universitaires, étudiants, élèves, écrivains, fréquentent la librairie, dont les ventes ont connu une chute drastique, explique-t-elle en substance.
« Livres par terre »
A part ces trois temples du savoir à Nouakchott, en plus de l’extension « Joussour » en face de l’ambassade tunisienne, plusieurs points de vente par terre encerclent le centre-ville, aux alentours du « Marché de la Capitale ».
Ibrahima Diallo entretient depuis près de 20 ans, des lots d’ouvrages de seconde main, au bas de la Banque Nationale de Mauritanie (BNM). Perdu entre livres scolaires français, dont de vieux « Syllabaires », du « Fleuve au marigot », entremêlés avec d’anciens classique, comme Sembène Ousmane, et des livres en arabe, Coran, traduction d’exégèses musulmans, sous une forêt de chapelets. « Ce secteur était très porteur, mais depuis quelques années, il y a peu de gens qui viennent chercher des livres. La vente des chapelets constitue ma principale source de revenus » a-t-il déclaré.
Ibrahima Diallo déclare ne soutirer de son activité que peu de bénéfices, et joue souvent à cache-cache avec les services de la commune, entre taxes exorbitantes et délogements intempestifs.
Plusieurs autres vendeurs de « livres par terre » jonchent les rues sinueuses à l’entrée du grand marché. Tous vivent les mêmes calvaires, face à la rareté des lecteurs. « Les livres scolaires sont les plus sollicités » avance Malik Bâ, la soixantaine.
Des librairies de quartier commencent à fleurir sous des initiatives individuelles, comme la librairie « Je Lis » ouvert il y a quelques années à Sebkha par l’écrivain Bâ Amadou Demba pour rapprocher le livre des populations excentrées de Nouakchott, comme il l’explique dans le site « Traversées Mauritanides ». « Nous avons constaté, souligne son promoteur, que pendant les rentrées scolaires beaucoup de parents éprouvaient d’énormes difficultés à se rendre jusqu’à la capitale. Tout comme d’aucuns peinent avec leurs calendriers de travail, pendant que d’autres manquent tout simplement de moyens de locomotion. Nouakchott est devenue une grande ville, avec les contraintes qui vont avec. En installant la librairie dans ce quartier populaire, nous espérons épargner à ces habitants certaines déconvenues. »
Des bibliothèques familiales sont également entretenues par de nombreux amoureux de la lecture. C’est le cas de la célèbre bibliothèque de Feu Mohamed Said Homody, véritable encyclopédie de l’histoire pré et postcolonial jusqu’à l’époque moderne. Un lieu privilégié du savoir que coopérant, ambassadeur ou résident d’organismes internationaux affectés à Nouakchott ne manque de visiter. C’est également le cas de la riche bibliothèque de Ahmed Mahmoud Mohamed dit Jemal. L’Association « Traversées Mauritanides » entretient également une grande bibliothèque à son siège à la Cité Plage où figurent des ouvrages dans tous les domaines, en particulier la littérature française, africaine et surtout mauritanienne, avec l’ensemble des livres édités par des auteurs mauritaniens.
Ladji Traoré, l’un des vétérans de la librairie
Député à l’Assemblée Nationale, Ladji Traoré qui vient d’éditer ses mémoires, « Mon combat pour la Liberté-La démocratie-les droits Humains » aux édition « Muse », fut l’un des premiers libraires de Nouakchott, à côté de la célèbre maison « Gralicoma ». En effet, la « Société Nationale de Diffusion SONADI » qu’il avait créée en 1987, en face de l’actuel BCI (Banque pour le Commerce et l’Industrie) ne dura que deux ans. C’était dans le sillage du congrès des libraires et éditeurs africains, tenu en marge de la Foire d’exposition du livre à Moscou. Ladj Traoré y a été nommé représentant en Mauritanie, à côté de ses activités de pharmacien et gérant sa propre officine au Ksar, la « Pharmacie Comaphar ».
A la suite des évènements de 1989 et de sa farouche dénonciation du pogrom, il fut emprisonné pendant 13 mois, sa pharmacie et sa librairie fermées. Plus tard, il déposera la clé sous le paillasson pour des raisons économiques.
Selon lui, le livre se vendait très bien à Nouakchott, sous l’engouement d’une jeunesse avide de connaissances et de lectures et d’un système scolaire qui l’encourageait.
Plusieurs observateurs ont lié la chute du goût à la lecture à plusieurs facteurs, dont le développement des réseaux sociaux et de l’Internet, mais surtout d’un système scolaire en déliquescence, et peu tourné vers la culture de la lecture, ni chez les élèves du secondaire ni chez les étudiants au niveau universitaire.
Pour la renaissance de la librairie en Mauritanie, tous les acteurs sont unanimes. Le sort du secteur est lié à la volonté politique. « L’Etat doit encourager l’édition et la lecture, par une réforme réelle du système scolaire et universitaire, et par l’ouverture de bibliothèque dans toutes les institutions et dans tous les départements », soutiennent-ils. Sans cela, la crise actuelle risque de faire de la Mauritanie, d’après eux, l’unique pays au monde, où il n’existe ni lieu de vente du livre, ni maison d’édition.
Cheikh Aïdara
aidara.mondoblog.org