La campagne électorale en vue du scrutin du 13 Mai a démarré le 28 Avril 2023 en Mauritanie. Vingt-cinq partis politiques partent à la conquête des urnes pour les conseils municipaux qui seront élus à la proportionnelle, les conseils régionaux et enfin pour les cent-soixante-seize sièges de députés à l’Assemblée nationale qui seront distribués par scrutin majoritaire à deux tours. De l’avis des observateurs, le scrutin reste ouvert, même si une partie de l’opposition – mais également de l’opinion – doutent de sa fiabilité. Le parti du pouvoir est toujours suspecté d’user de ses moyens et son administration pour peser sur le bon déroulement du vote.
En attendant le jour J, les candidats des deux mille soixante-et-onze listes jettent leurs forces et leurs moyens pour séduire le million sept cent soixante-dix-sept mille cinquante électeurs dont 52,5 % de femmes, répartis sur quatre mille sept cent vingt-neuf bureaux de vote pour gagner deux cent trente-huit communes et treize conseils régionaux. Un nombre non encore clos d’électeurs avancé par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) il y a quelques jours. Précisions supplémentaires fournies par ladite commission, mille trois cent soixante-dix-huit listes de candidats pour les municipalités, avec 32,57% de femmes, cent quarante-cinq listes pour les élections régionales, avec 35,10% de femmes, et cinq cent cinquante-neuf listes pour la députation à l’Assemblée, avec 36,73% de femmes.
Les concurrents se battront à armes et chances inégales, dans la mesure où certains sont rompus à la manœuvre quand d’autres l’abordent pour la première fois. Certains partis ont pu présenter beaucoup de candidats, INSAF en tête, suivi de Tawassoul, puis de l’UDP et de la coalition Sawab–RAG…Quelques autres partis et coalitions jusque-là peu connus ont tout de même réussi à tirer leur épingle du jeu et espèrent glaner quelques conseillers, voire députés. Dans tous les cas, on voudrait disposer, au sortir des élections du 13 Mai, d’une assemblée beaucoup plus « représentative » du point de vue « couleurs ». L’INSAF a choisi cette fois de miser sur des personnes en ce sens (liste nationale mixte, liste des femmes, listes des jeunes).
Même si ce choix et la composition de ces listes nationales INSAF ne risquent pas de peser sur le vote des lois qu’aura à présenter le futur gouvernement, force est de souligner ce geste. Accompli à dessein ? Traduit-il une volonté politique du président de la République ? La question mérite d’être posée, surtout quand on la met en rapport avec l’appel de Djéol dont on nous rabâche les oreilles depuis quelques semaines. Le choix du timing ou la concomitance des faits (appel et campagne) ne paraissent pas anodins. Il s’agit, soulignent certains, d’inciter les Mauritaniens à voter pour la diversité, à œuvrer pour la discrimination positive qui a tout de même encore un très long chemin à parcourir, au vu ce qui se pratique et se vit au quotidien au sein de l’administration et des corps habillés. La CENI n’a pas manqué de relever que les jeunes et les personnes aux besoins spécifiques ont bénéficié eux aussi d’une analogue discrimination positive dans la constitution des listes candidates…
En dépit de ces efforts, il ne fait cependant aucun doute que l’INSAF – le parti du pouvoir – sortira vainqueur de ces élections : il en a les moyens, tous les moyens. Les autres partis – surtout de l’opposition – semblent avoir perdu du terrain. Certains pourraient se maintenir dans le pôle de la majorité, d’autres émergeront…
Et les soucis des citoyens ?
Les campagnes électorales chez nous sont ordinairement synonymes de flux soudains et significatifs d’argent. « Ils vont sortir les billets », entend-on déjà dire. Qui, pour sa garde-robe et sa logistique, qui pour soudoyer les potentiels électeurs… et ceux-ci attendent bien évidemment de profiter de cette formidable occasion. Dans les grandes villes comme Nouakchott, les infographistes, les vendeurs de tentes, les agences de voyages, les vendeurs de carburant, les standardistes sont sollicités, tout comme les artistes. À l’intérieur du pays, l’arrivée des équipes de campagne et des cadres donne un bol d’air au commerce local. Les quelques billets distribués aux proches, à quelques notables et griots, aux troubadours et aux courtiers soulagent surtout les familles démunies mais peuvent aussi influencer le choix des électeurs. Achat de conscience...
Mais on observe depuis quelque temps un changement d’attitude des gens dont certains n’hésitent pas dire, devant l’arrogance des candidats et cadres et l’absence d’impacts, sur leurs conditions d’existence, des mandats de leur maire ou député : « Prenez leur argent – c’est le nôtre ! – et votez contre eux ! » Pouvoir suprême de l’isoloir particulièrement perceptible dans la région du Fleuve où les cadres et élus du pouvoir se démènent beaucoup pour éviter un tel vote-sanction. Les élections sont bel et bien l’occasion pour les populations de juger le bilan de ceux qui dirigent leurs communes ou les représentent à l’Assemblée nationale…
Avec partout les mêmes questions : « Qu’ont-ils fait pour nous depuis qu’ils sont là ? Ne s’occupent-ils que de leurs poches et de leur famille ? »Des questions existentielles en ce qu’elles touchent au quotidien des citoyens : école, santé, état-civil, exploitation ou expropriation des terres, désenclavement, emploi…Peu de candidats évoqueront la hausse récurrente des prix, l’insécurité qui repart de plus belle à Nouakchott, l’usage des produits psychotropes par nos jeunes, la corruption qui s’acharne à dévorer nos ressources, les inégalités criantes entre les composantes nationales, le fossé qui ne cesse de se creuser entre certains mauritaniens qui s’enrichissent de manière illégale, éhontée et frustrante pour leurs concitoyens, et d’autres dont la descente aux enfers est devenue presque irréversible… Mais ces faits n’en sont pas moins réels et les maires qui ont pu tirer vers le haut leur commune sont rares. Parmi ceux-ci, on peut citer Ghassem Bellali de Nouadhibou, Mint Abdel Maleck (Tevragh Zeïna et région de Nouakchott), Bâ Adama de Boghé, Mohamed Biha de Tidjikja, Athié Abdoul de Néré Walo, Sy Moussa d’Aéré M’Bar, Mohamed Lemine Chouaïbou de Toujounine, Sidi Diara de Rosso…
Pendant les campagnes, rares sont les candidats qui concoctent des programmes fiables, réalisables et profitables aux populations. Ils se contentent de canevas et de généralités, de caravanes et rassemblements festifs, repas gargantuesques, soirées artistiques et folkloriques pour occuper les gens qu’ils considèrent trop souvent comme des ignorants, des naïfs, des poulets à plumer… Ils se contentent, au mieux, de gérer le quotidien et le Fonds Régional de Développement (FRD). Des décennies de décentralisation sacrifiées ! Ils justifient leur incapacité par le manque de moyens des communes. Et ce qui arrivera avec la prochaine législature risque d’être encore plus décevant : nombre de prétendants ne sont pas outillés pour diriger une collectivité locale, une région, ou représenter dignement une circonscription à l’Assemblée nationale. Dans la majorité des cas, la désignation des candidats s’est faite suivant des critères subjectifs et partisans, l’argent a trop souvent pesé.
La campagne électorale est donc loin d’être une occasion pour les candidats d’offrir aux électeurs un embarras de choix sur les programmes, de se montrer pédagogues pour les convaincre : elle demeure hélas un folklore. Nous vivrons, comme par le passé, quinze jours de récréation et de distraction. Au détriment du service public dont les responsables, à commencer par nos ministres, ont été parachutés dans les régions pour diriger la campagne du parti du pouvoir. Trafic d’influence et délit d’initié ? On en est là, encore et toujours, selon toute vraisemblance…
Dalay Lam
lecalame