« La Mauritanie, où nous sommes nés, où nous vivons, nous prive de nos papiers d’état civil. Et le Mali ne nous reconnaît pas», se désole Karomokho Fofana du village soninké de « Mint Ahmeidett », situé dans la moughata de Djigenni (Hod el-Chargui / Est - Mauritanie).
Mint Ahmeidett, avec ses maisons en banco et le bétail errant, est un des villages mauritaniens, situés près de la frontière avec le Mali, dont une grande partie des habitants n’a pas été recensée à l’état civil mauritanien. Alakhbar s’est rendu sur place.
« Nous ne réclamons pas de service de santé, d’éducation ou de denrées alimentaires subventionnées. Notre principal souci c’est comment obtenir nos papiers d’état civil, dit Karomokho Fofana. Sans ces papiers nous n’existerons pas et aucun autre service n’aura pas de valeur à nos yeux. ».
"Il faut avoir 100 ans pour se faire recenser"
Nous retrouvons Fofana à la Place Djenki, le lieu de rencontre des personnes âgées pour discuter des affaires du village. Il poursuit: « Prenez 100 habitants de chaque village et vous verrez que seuls 20 parmi eux ont été recensés (à l’état civil). Pour les autres, on leur exige des conditions impossibles. On demande, par exemple, à une femme d’être âgée de prés de 100 ans et d’avoir vécu depuis 40 ans au village. Pourquoi ne pas établir des conditions raisonnables. On peut vérifier la nationalité de la personne à travers les habitants ou le chef du village».
Un autre vieux, Sidi Ould Cheikh, prend la parole. Il juge « irraisonnables » les conditions d’obtention des papiers d’état civile et s’interroge : « Comment on exige à un vieux, comme moi, de présenter un acte de mariage pour ce faire recenser. Cet acte n’existait pas à notre époque. ».
Sim Mamady, assis à côté de Fofana, est, lui, au bord des larmes. Il dit ne pas comprendre pourquoi il est le seul dans sa famille qui a été recensé. « J’ai vécu ici depuis 65 ans. J’ai cultivé cette terre. Je l’ai labourée. Je ne connais nul par ailleurs. Mais si je demande le recensement de mes enfants, on m’exigera de venir avec les parents de ma femme ». En effet, le village de Mint Ahmeidett compte un grand nombre d'enfants, âgés de moins de 6 ans.
« Donnez-nous nos papiers ou exilez-nous ailleurs »
Mehdi Ould Cheyn renchérit. Dans sa famille, il est le seul qui a été recensé : « Je suis né ici. J’ai vécu ici. Mes parents sont décédés et enterrés ici. J’ai un fils qui travaille à Zoueira (Nord) et deux autres à Nouakchott, la capitale. Ils sont souvent arrêtés par la Police parce qu’ils n’ont pas de papiers.».
Le vieux Mehdi n’hésite pas de lancer aux autorités mauritaniennes : « Donnez-nous des papiers ou exilez-nous ailleurs »
"La Mauritanie ne nous reconnaît pas. Et nous ne sommes pas des Maliens. Qui sommes-nous ?" Sur ce ton interrogatif est terminé notre échange avec les vieux du village de Mint Ahmeidett. Ils espèrent que leurs doléances fassent échos chez les hautes autorités mauritaniennes.
La Mauritanie a lancé le 5 juin 2011 une campagne d'enrôlement biométrique pour mettre en place un système national d’Etat civil et de produire les Titres Sécurisés dénommé "Registre de la Population et des Titres Sécurisés (ANRPTS)"