Dans son rapport général pour les années 2019, 2020 et 2021, la Cour des comptes révèle des déséquilibres fondamentaux dans l’exécution des dépenses du ministère de l’Environnement. Autant de lacunes qui portent globalement atteinte à la transparence de la gestion des deniers publics.
Ces déséquilibres, qualifiés de « fondamentaux », résultent principalement de « l’absence d’un système de gestion et de suivi des stocks, la mauvaise performance du service comptable et matériel, l’absence de suivi technique des travaux et le manque de l’approbation de leur statut par un organisme spécialisé et indépendant ».
Le rapport a également énuméré « l’insuffisance des conditions de livraison et de garantie de l’exécution des contrats de services de conseil, l’irrespect d’une séparation appropriée entre les missions conflictuelles ; le recours excessif, dans la plupart des contrats de travaux, fournitures et services intellectuels, à la livraison et à l’approbation, individuellement décidé par le directeur financier, sans recourir aux comités de livraison ou d’approbation des services compétents ; et la non-adoption du règlement intérieur du comité des achats inférieurs au plafond pour la signature des marchés ». Et de citer encore le décaissement par le ministère de dépenses sur des projets non réalisés, dont le premier relève de l’axe de réduction de l’abattage des arbres forestiers visant à assurer leur réhabilitation et à gérer les zones forestières.
S’adressant aux secrétaires généraux le 21 Août 2023, le président de la République avait brandi la menace : « Il n’y aura désormais plus aucune tolérance de notre part pour tout déséquilibre des pouvoirs et des capacités qui ont été donnés pour servir le citoyen et mener à bien les projets en temps opportun. Ils seront retirés à quiconque les exploite autrement et celui-ci répondra de toute négligence ». La sentence a donc été exécutée. En attendant d’autres mesures, messieurs Barry Mamadou Abdoul et Mohamed Abdallahi Salem Ahmedoua, secrétaires généraux durant les exercices décriés par la Cour des Comptes, viennent d’en payer le prix. Ils ont été limogés le mercredi 18 Octobre en conseil des ministres, des postes qu’ils occupaient respectivement aux ministères du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme et de la Fonction publique et du Travail.
La Cour des Comptes évoque aussi un déficit dans l’achèvement de l’axe de réduction de la pollution et de gestion et de valorisation des déchets solides urbains, estimant que « la couverture financière totale de ce sous-axe s’élève à 361,9 millions d’ouguiyas alloués au programme en cours d’exécution au niveau de trente-trois communes à l’intérieur du pays et prolongé d’un an supplémentaire, alors qu’une partie de ce programme porte sur le développement de la méthode d’extraction artisanale de l’or sans recourir au mercure ».
La Cour estime « ne pas avoir constaté des réalisations concrètes à cet égard, à l’exception de l’étude visant à déterminer l’emplacement de la nouvelle décharge », et insiste sur « la non réalisation des études approfondies, de l’étude de faisabilité technique et économique et de l’étude d’impact environnemental de la nouvelle décharge d’alternance à celle de Tivirit, malgré le caractère urgent du projet et la disponibilité du financement ». Relativement aux pare-feux dans les zones pastorales, le rapport fait état de « décaissement de sommes indues à une société qui n’a pas réalisé les travaux portant sur l’entretien de 4 450 km de nouveaux pare-feux en 2020, pour un coût de 17 355 000 ouguiyas ».
La Cour a également mentionné ce qu’elle a qualifié pêle-mêle de « manque d’engagement sur le programme contractuel, absence de véritable suivi technique, de rapports détaillés d’exécution stipulés dans le contrat et d’un comité de suivi ». Et d’épingler encore « l’absence de rapports de suivi des travaux établis par l’Administration, l’irrespect par la société des spécifications techniques des pare-feu fixées dans le contrat en termes de longueur, largeur et direction », ainsi que « des violations dans le marché d’acquisition d’équipements de contrôle et de moyens de protection, puisque les conditions de réception et de paiement n’ont pas été respectées et que la garantie de bonne exécution d’un montant de 5% n’a pas été saisie ».
Ces violations s’ajoutent, selon le rapport de la Cour des Comptes, à diverses autres « dans les marchés d’acquisition de produits de nutrition, à travers la fragmentation des commandes, l’incapacité d’obtenir la justification de leur utilisation, la présence de preuves sur le caractère utopique de concurrence entre les sociétés pour lesquelles le marché a été attribué ». La Cour fait cas de « décaissement d’énormes sommes d’argent sans aucune atteinte des objectifs fixés, la non-conformité de certains marchés aux normes, des violations des contrats de conseil, les insuffisances dans les marchés de construction de bâtiments et de sièges régionaux affiliés au ministère ».
Ould Ahmedoua se lave à grandes eaux, enfonce Barry et pique Mariem
Évincé de son poste de secrétaire général du ministère de la Fonction publique et du Travail lors du dernier conseil des ministres, Mohamed ould Abdellahi Salem ould Ahmedoua se défend à travers une tribune. Se disant « non concerné » par le rapport de la Cour des comptes qui épingle la gestion désastreuse de ce département durant les exercices 2019, 2020 et 2021, l’ancien SG exclut tout lien avec cette affaire : « je confirme à tous que mon départ de mon poste de secrétaire général n'a rien à voir avec le rapport de la Cour des comptes. Ce qui a circulé à cet égard est une calomnie sans fondement ».
« Le rapport de la Cour des comptes porte sur les années 2019, 2020 et 2021, alors que j'ai pris mes fonctions au Ministère de l'Environnement le 1er Juillet 2021 ; ce qui fait que la période restante de l'année de gestion n'était que de quatre mois et demi, puisque le fonds Rachad est généralement bouclé le 15 Novembre de chaque année », précise-t-il. Pour le maire de R’Kiz, « il est bien connu qu'il n'est pas possible d'évaluer la performance d'un ministère dans un délai aussi court. De plus, j'ai pris le témoin à un moment où tout avait été déjà préparé et décidé : le budget, le plan d’action annuel et ses objectifs, celui de passation des marchés, d'appels d'offres et de signature d'accord dans tous leurs détails ».
Se dédouanant de toute faute grave de gestion, Ould Ahmedoua charge lourdement son prédécesseur Barry Abdoul Mamadou et en profite pour régler ses comptes avec l’ancienne ministre de l’Environnement et du Développement Durable, madame Mariem Bekaye, qui lui avait retiré sa délégation de signature avant d’être éjectée du gouvernement. « Tout cela fut préparé avant ma nomination au ministère ; cela me dégage de toute responsabilité vis-à-vis des manquements relevés en lesquels je n'ai rien à faire. Malgré tout cela, j'avais essayé d'y remédier de mon mieux. J’avais ainsi arrêté le lancement de tout nouveau marché ou dépense qui ne tenaient pas compte des normes de transparence. Ces mesures avaient abouti à la restitution de plus de 33% du budget du ministère, soit environ deux milliards d'ouguiyas, et c'est pour cette raison que je suis entré dans un conflit dont chacun connaît l'issue ».
A noter que le rapport de 251 pages publié en Juillet dernier s’est penché sur le ministère des Affaires islamiques, le ministère de l'Environnement, le fonds Covid 19, le bureau des douanes et celui des conteneurs du port de Nouakchott, en plus des institutions publiques de nature administrative, comme l'Agence nationale du Registre des Populations et des Documents sécurisés, le Commissariat à la sécurité alimentaire, la SOMELEC, la Société de forage et de puits et le projet Dhar. Des lacunes portant atteinte à la transparence de la gestion des deniers publics ont été partout abondamment relevées.
Synthèse Thiam Mamadou
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