Le franco-algérien Ahmed Ait Ouarab est l'entraîneur adjoint de Corentin Martins, sélectionneur de la Mauritanie qui va affronter l'Algérie en match amical le 3 juin prochain. Nous l'avons interviewé sur sa carrière de joueur et d'entraineur pour évoquer l'évolution du football mauritanien.
DZfoot : Bonjour Ahmed. Quel est le programme qui attend la Mauritanie dans les semaines à venir ?
Ahmed Ait Ouarab (AAO) : Nous devons d'abord affronter l'Algérie, bien sûr, et ensuite affronter Djibouti, là encore en amical. Nous préparons la Coupe Arabe des A' comme Majid Bougherra et si l'Algérie est déjà qualifiée, nous, nous devrons affronter le Yémen en barrage.
« J'ai toujours été à la limite d'être sélectionné en Équipe d'Algérie »
DZfoot : Revenons sur ta carrière de joueur. Tu as longtemps évolué en Ligue 2 française, sans malheureusement pouvoir jouer en Ligue 1. Tu as eu l'occasion de croiser quelques noms connus ?
AAO : J'ai côtoyé Ali Meçabih par exemple à Martigues. J’ai aussi été le grand frère de Karim Ziani au Racing à Paris et nous nous sommes re-croisés quand il était à Troyes. Madjid Bougherra, aussi, quand il était à Gueugnon.
En ce qui concerne mon parcours, j’ai fait le centre de formation de l’OGC Nice et j’allais à Cannes voir jouer Belmadi. Après, j’ai signé pro à Martigues avant d'évoluer avec Le Mans, Wasquehal, Valence, Clermont, Sète, en alternant entre Ligue 2 et le National. J’ai notamment été capitaine à Sète, avec Mehdi Mostefa, j'ai connu au Medhi Lacen à Valence. Ils sont restés des amis.
Pour la sélection, J’ai toujours été à la limite des listes de l’Algérie, presque convoqué, mais sans en avoir la chance malheureusement. Le niveau de sélection a fini par monter vers la fin de la carrière et je suis sorti des radars.
DZfoot : En fin de carrière ru as un peu joué ici en Algérie à la JSM Béjaïa.
AAO : Tout à fait, j’y ai évolué un an et demi avec des hauts et des bas comme dans toute carrière de joueur. Nous avons participé à la plus belle période de la JSMB. Nous finissons notamment vice-champion d’Algérie et ils avaient gagné la Coupe juste avant mon arrivée.
Jouer en Algérie, ce pays que j’ai dans le cœur, revenir dans les terres d’origine de mes parents, ça a été génial. Venir pour les vacances et venir pour y vivre, c’est très différent.
« Serge Romano a rejoint Djamel Belmadi et moi Corentin Martins »
DZfoot : Une fois ta carrière de joueur terminée, tu es immédiatement devenu entraîneur à Bergerac.
AAO : Je jouais encore et j’entraînais à côté les jeunes (U14, U17, U19). J’ai passé tous les diplômes français que je pouvais passer à ce moment là. J’ai le DES en France, qui est au dessus du BEF. J’ai donc l’équivalence du diplôme UEFA A.
DZfoot : Comment t’es-tu retrouvé en Mauritanie ?
AAO : En 2018, quand je quitte Lyon La Duchère où j'étais coach en National, j’encadrais pour faire plaisir à mes collègues, le stage UNFP destiné à aux joueurs qui sont en fin de contrat pendant la période estivale. Pascal Bolini (NDLR: directeur du stage UNFP) m'a demandé si je voulais être l’adjoint de Serge Romano qui allait diriger le stage et étant sans club, j’ai accepté avec plaisir.
Avec Serge, nous avons fait toute la campagne, joué des clubs de Ligue 1 comme Strasbourg, des clubs anglais comme Nottingham Forrest et à ce moment là, Corentin Martins cherchait un adjoint. Il a d'abord contacté Serge Romano, qui était déjà en contacts avancés avec Djamel Belmadi pour le rejoindre en Algérie. Il y est finalement allé avec le succès qu’on leur connaît. Pour ma part, j’ai été proposé à Corentin Martins qui a accepté de travailler avec moi et connaître, notamment, ce succès qu’a été notre première participation à la CAN.
« C'est le travail de long terme qui fait la différence en Mauritanie »
DZfoot : Cela fait près de 7 ans que Corentin Martins est sélectionneur, ce qui est peut-être le record de longévité avec Amir Abdou des Comores. En Afrique, c’est vraiment très rare. Le projet était donc prévu pour être du long terme ?
AAO : Tout part du président, Ahmed Yahia, qui est jeune et ambitieux. Il souhaitait que son pays brille sur le terrain du football et cela l’a emmené jusqu’à la vice-présidence de la CAF. Il a voulu avoir un entraîneur qui corresponde à ses valeurs, c’est-à-dire jeune comme lui, ambitieux et honnête.
Ils se sont très bien entendus avec Martins, qui a pu entre-temps bien s’entourer en termes de staff. Nous avons su, en 2018, nous qualifier pour la première fois de l’Histoire de la Mauritanie au CHAN avant de décrocher une première qualification historique en CAN et, depuis, une troisième qualification consécutive en Coupe d’Afrique. C’est la preuve qu’en cas de nomination d’un entraîneur cohérent, il faut savoir travailler sur le long terme.
DZfoot : Le FC Nouadhibou travaille bien sur le plan local puisque c’est le premier club mauritanien qui arrive en phase de poules en Coupe Africaine. Est-ce un modèle intéressant pour vous ?
AAO : C’est un club qui doit être pris en exemple par les autres clubs du championnat pour qu’ils progressent. À l’heure actuelle, il est vrai, c’est encore un cas unique. Il est géré par l'ancien président de la fédération mauritanienne qui est aussi l'ami de Ahmed Yahia. Ils sont entraînés par Amir Abdou, qui est aussi le sélectionneur des Comores. La gestion y est très cohérente.
Le club attire les meilleurs joueurs de Mauritanie, la plus part de nos joueurs A’ y évoluant notamment. La recette sportive après, c’est avant tout le travail de fond mené par le coach.
Ce que l’on va peut-être perdre en qualité intrinsèque de nos joueurs, parce qu’on réalise que nos joueurs sont encore sous-côtés et pas dans des grands clubs, on va le gagner en termes d’équipe, de qualité de groupe et d’ancienneté du sélectionneur qui fait que son apport tactique est réel. Certains joueurs complètent encore en qualité ce groupe, comme Aboubacar Camara et d’autres à l’avenir, mais c’est avant tout ce travail de longue haleine qui fait la différence en Mauritanie.
DZfoot : Qu’est-ce qui fait le style du football mauritanien ?
AAO : Ce que je trouve intéressant chez le Mauritanien, c’est le mélange omniprésent entre Afrique noire et Maghreb. Avec la DTN, nous essayons de travailler sur la formation, et nous avons remarqué que le joueur mauritanien pouvait avoir les qualités de ces deux types de football.
« On se fout du lieu de naissance de Belmadi, il est algérien ! »
DZfoot : En ce qui concerne vos binationaux, tu dis qu’ils sont encore sous-côtés mais il y a-t-il une vraie politique menée en ce sens, pour récupérer des franco-mauritaniens par exemple ?
AAO : Au fur et à mesure que le coach a fait évoluer l’équipe, le changement s'est fait ressentir. Au tout début, il n’y avait quasiment que des joueurs locaux. Aujourd’hui, on voit que les 2/3 de l’équipe sont des expatriés, avec un tiers en Europe et tous les autres dans les pays du Maghreb et du Golfe. Grâce aux résultats de l’EN, les joueurs s’exportent mieux. De notre côté, nous essayons de placer les joueurs dans des clubs étrangers mais c’est notamment par nos résultats qu’ils parviendront à intéresser les meilleurs clubs.
DZfoot : Quel est le regard des Mauritaniens sur le football algérien ?
AAO : Quand l’Algérie a gagné la CAN, j’ai vraiment senti le côté pays frère. Quand l’annonce du match amical a été faite sur les réseaux sociaux, les gens étaient vraiment ravis dans les deux sens. C’est un honneur pour nous de jouer l’Algérie et j’ai été touché par cette proximité humaine entre les deux pays.
DZfoot : En tant qu’entraîneur franco-algérien, le succès de Belmadi doit attirer la lumière et faire plaisir à des gens comme toi.
AAO : C’est une très bonne chose, mais c’est avant tout un algérien. On se fout du lieu de naissance de Belmadi, il est à la tête de l’Algérie et il a ça dans le sang. Moi, je suis à la tête de la Mauritanie sans y être né et je me bats au quotidien pour apporter tout ce que je peux à ce pays.
Ce qui est intéressant avec Djamel, c’est que je l’imagine à la fois très professionnel mais aussi sur-motivé par le fait qu’il porte l’Algérie dans son sang. Même s’il avait été un entraîneur “non immigré”, ça m’aurait fait tout autant plaisir !
« Nos résultats nous permettent de rêver de la qualif' en Coupe du Monde »
DZfoot : Le joueur algérien a longtemps été sous-côté en France. Aujourd’hui, tout a changé. Pour les coaches, en revanche, tu penses qu'il y a encore un plafond de verre ?
AAO : C’est un sujet un peu particulier, nous ne connaissons pas encore les raisons exactes à ça. En France, il faut bien comprendre que l’accès au diplôme professionnel est très difficile. Il y a très peu d’élus chaque saison et je ne suis pas certain que beaucoup de maghrébins aient les pré-dispositions nécessaires et postulent au concours.
Forcément, s’il n’y a pas beaucoup de candidats maghrébins, il n’y en aura pas beaucoup pour entraîner en Ligue 1. Il ne faut pas toujours se victimiser, il faut d'abord penser à faire ses preuves. Pour mon cas personnel, il a fallu que l’on se qualifie à une CAN et que l’on affronte l’Algérie pour que l’on parle de moi par exemple, mais comme on dit en religion, la patience est une vertu et je me réfugie dans le travail.
DZfoot : Tu as parlé de la progression de la Mauritanie. Les éliminatoires de la Coupe du Monde, où vous allez affronter la Tunisie, la Zambie et la Guinée Équatoriale sont un objectif réel ? Affronter l’Algérie vous permet-il d'ailleurs de préparer la Tunisie ?
AAO : Bien sûr, le football tunisien et algérien se ressemble. Après, nous avons très souvent affronté la Tunisie récemment. Ils étaient dans notre poule à la CAN et nous avons fait un match amical contre eux après la compétition. Nous avons d'ailleurs aussi joué le Maroc en phase de qualifications pour la CAN.
Pour l’Algérie, ce choix était avant tout une opportunité. Pouvoir jouer le champion d’Afrique, quand on veut avoir à un moment donné l’espoir de se qualifier pour une Coupe du Monde, c’est nécessaire. Il faut se confronter aux meilleurs pour espérer se rapprocher de leur niveau.
DZfoot : Comment approchez-vous ce deuxième tour de qualification en Coupe du Monde ? Maintenant que la qualification en CAN est assurée, vous jouez comme si vous n'aviez plus rien à perdre.
AAO : Il n’y a rien à perdre parce que l’on sait que la qualification est très compliquée. Pour autant, nos derniers résultats et le travail de scouting que l’on fait nous permet de rêver. Ce n’est pas forcément accessible mais nous savons que nous pouvons produire de grandes performances et c’est donc de cette façon là que nous allons l’aborder.
DZfoot