La Mauritanie organisera, au mois de Mai prochain, des élections législatives, municipales et régionales très spéciales, particulièrement pour les jeunes. Comme vous le savez déjà, une liste leur est effet consacrée. Une très bonne chose pour certains ; d’autres faisant remarquer que la démocratie ne se limite pas à l’introduction d’une telle liste ou à un pourcentage réservé aux femmes. Il est surtout temps que la Mauritanie se remette en question sur ce qu’est réellement la démocratie.
Cela dit et aussi particulières soient-elles, ces élections ont tout d’abord à relever les défis majeurs de l’heure : inscriptions sur la liste électorale, contribution des listes de jeunes et de femmes, contenu du discours et apport de la presse. Mais, avant de nous étaler sur ces défis, il faut parler de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Organisatrice principale des élections en Mauritanie avec l’appui du ministère de l'Intérieur et de la décentralisation, la CENI est, en principe, un organe indépendant. Mais comment une organisation dont les membres sont pour la plupart des représentants de partis politiques peut-elle être véritablement indépendante sans témoins de l’histoire, la Société civile, en l’occurrence, si mal-poliment écartée par l’accord entre ceux-là ?
À tort ou à raison, il faut revoir le fonctionnement de cette CENI, afin qu’elle soit plus représentative de la volonté citoyenne et non pas seulement de nos partis. Si les parties prenantes doivent s’accorder à la voir plus inclusive (personnalités indépendantes, partis politiques et Société civile), l’État doit aller plus loin en termes de transparence, en introduisant notamment la carte électorale biométrique, à l’instar des autres pays. L’inscription sur la liste électorale est en effet primordiale pour tout citoyen désireux de participer au jeu démocratique, en exprimant son point de vue par le vote (sanction, continuité ou changement).
Nomadisme électoral
Pour cette élection, tout citoyen mauritanien peut s’inscrire sur la liste électorale et voter sans tenir compte de son lieu de résidence. Conséquence de cette imprécision, une gabegie s’organise sur les lieux de vote. Toute une armée de « samsaras » (courtiers) politiciens s’emploient à y regrouper, recruter et organiser les citoyens inconscients ou victimes de promesse électoraliste. Comprenons le problème : telle électrice habitant à Nouakchott-Sud, dans la commune d’Arafat par exemple, est naturellement invitée choisir la personne qui va administrer la commune où elle vit avec sa famille. Mais la voici soudain décidée – poussée ? –à aller voter dans une autre commune, Riyadh par exemple. Comment comprendre l’abandon de cette citoyenne laissant sa maison bruler, afin d’aider le voisin à se prémunir contre le feu ?
Une situation qui ne dérange apparemment personne, ni la Société civile, ni les partis politiques, ni la CENI. À quoi donc se résume le jeu démocratique en Mauritanie ? Il est à tout le moins important d’attirer l’attention de nos concitoyens sur le fait que cette élection a pour objectif de désigner des personnes locales conscientes des enjeux des postes qu’ils briguent (maire, conseiller municipal conseil ou régional, député) et nanties des compétences pour mener à bien le développement local. Certes on entend bien, en cette cacophonie, un enjeu de représentativité au niveau gouvernemental. Car l’État central y considère dans ses nominations la représentativité dans les localités d’origine. Si l’on se réfère à ce raisonnement, la « valeur » d’un leader et de sa localité devrait donc dépendre de l’inscription en masse des citoyens dans leur localité d’origine pour aider promouvoir celle-ci et son chef politique.
Revenons aux listes des jeunes et des femmes, une décision politique dont je ne comprends pas la pertinence. C’est quoi l’objectif ? Les promouvoir sur le champ politique ? La question déborde sur la place des femmes dont il convient ici de plaider, auprès de la CENI, des partis politiques, de l’État et des défenseurs des droits des femmes, pour le respect de la loi instituant le quota de 20%accordé à celles-ci. Particulièrement lors des installations des bureaux municipaux où les hommes ont tendance à écarter les femmes, en les reléguant au rang de simple conseillère, voire maire-adjointe pour le prestige mais sans rôle véritable.
Médias absents
Quant aux listes de jeunes, il faut faire attention à ne pas élire que des « haut-parleurs » ou des jeunes de prestige. Nous attendons des jeunes convaincus et engagés qui vont impulser de l’espoir au sein de la génération future, avec une nouvelle approche de l’exercice politique, prenant en compte la réalité du pays dans l’ouverture au monde et conscient des enjeux : changement de mentalité, développement local et paix. Chers jeunes candidats, il ne sert à rien d’avoir des lois fortes s’il n'y a pas d’hommes justes, capables de les appliquer avec discernement. Quand on parle de développement, on parle de l’humain, mais si celui-ci se trouve dans un environnement d’instabilité sociale, il ne peut y connaître de développement et souffre d’incohésion et d’iniquité. En résumé, nous sommes à la recherche d’un nouveau type de politicien proche de son peuple. Comme disait Joseph Joffo, c’est « par la jeunesse [que] vient la promesse d'un avenir meilleur ! »
Mais nous ne pouvons obtenir ce nouveau type de politicien si le discours ne suit pas. Cette élection doit être le point de départ d’une véritable dynamique chez les hommes, les femmes, les jeunes et les leaders d’opinion à élever le niveau du débat républicain. Ce nouvel homme politique doit être responsable, avec des valeurs de moralité irréprochable, des discours de stabilité, de justice, d’équité et de cohésion. Placez le bien-être de l’humain au cœur de toutes vos actions, actuelles et futures ! Il est véritablement temps de tenir un langage de vérité avec la population. Et de placer, en tout cas, des hommes de valeurs dans les mairies, les régions et à l’Assemblée.
Considérés comme le quatrième pouvoir en toute démocratie un tant soit peu efficiente, les media manquent d’effectivité en Mauritanie. Pour différentes raisons : manque de formation et de moyens, loi, protection et ligne éditoriale déficientes, ingérences multiples, etc. ; même si certains font de leur mieux pour rester indépendants. Leur rôle est de sensibiliser et d'informer le grand public à comprendre les procédés et le fonctionnement du gouvernement et comment les décisions prises aux plus hauts niveaux peuvent l’affecter. Droit constitutionnel et donc bien public, l’information est indispensable à la bonne marche de la démocratie. Chers media, la démocratie ne se limite pas à « un homme, une voix ». C’est bien plutôt « un homme informé, une voix ». Votre rôle est extrêmement important comme en d’autres pays, à l’instar du Sénégal où les media suivent de très près le processus des élections avant, pendant et après (pré-campagne, campagne et post-campagne).
Mohamed Sarr
lecalame