Cher ami
De ton commentaire sur l’article de M. Béchir Fall (portant sur l’Education en Mauritanie), il ressort implicitement que tu voulais m’inviter à une réflexion plus exigeante, c’est-à-dire plus profonde en contenu et en allant au-delà de notre système éducatif et de ses manquements sur lesquels l’article a donné une remarquable analyse, mettant en évidence les causes rationnelles des contre-performances de ce secteur. Une analyse dont la pertinence argumentative des chiffres honore l’auteur et que l’on pourrait effectivement appliquer à tous les secteurs ainsi que d’autres sphères d’intérêts essentielles pour les missions régaliennes de l’Etat. Cet article compte parmi ce qu’on peut lire aujourd’hui de plus intéressant sur les défaillances structurelles qui ont annihilé tous les efforts déployés jusqu’à présent pour combattre la pauvreté dont souffre le pays depuis tant d’années.
Changer de paradigmes
J’ai donc relu ton texte et cet exercice a provoqué en moi l’envie de poursuivre la discussion sur la problématique qu’il pose, en ajoutant ceci : pour sortir le pays du sous-développement et entrer dans une ère d’émergence, il faut changer de paradigmes dans la conception et l’exécution des programmes publics, puis penser autrement notre modèle de développement en s’appuyant, par exemple, sur l’agro-industrie comme principal moteur de développement.
L’objectif stratégique de ce choix est d’assurer notre souveraineté alimentaire au moins en sucre, riz, blé et légumes ; ce qui permettrait de créer des milliers d’emplois et de conserver du coup la masse de devises que représente l’importation de ces produits, renforçant ainsi considérablement notre balance commerciale, sans parler d’autres retombées non moins considérables si on venait à en exporter (...). Toutefois, il demeure entendu qu’un tel choix exige, du pouvoir, une vision ambitieuse et une forte volonté politique (nous y reviendrons sûrement).
Mais puisque tu as évoqué la géopolitique internationale actuellement focalisée sur le conflit ukrainien, qui impacte l’Afrique autant que l’Occident, il importe de souligner qu’elle révèle également des prémices de bascule de la face du monde et que ce nouveau contexte constitue en lui-même un terrain fertile pour le changement attendu, au regard notamment de l’ambitieux programme du bloc des BRICS qui cherche à équilibrer l’économie mondiale et à offrir une alternative aux pays du tiers-monde, à travers sa Nouvelle Banque de Développement que dirige l’ancienne présidente du Brésil et dont le siège est déjà opérationnel à Shanghai.
Il s’agit donc d’une nouvelle séquence historique qui se dessine et qui recommande d’en tenir compte dès à présent, par anticipation. C’est l’occasion pour notre direction nationale (comme dirait ton ami VB) de se donner la tâche d’y réfléchir et de prendre des initiatives raisonnables à destination des dirigeants de la sous-région, en vue de coordonner avec eux les voies et moyens à même d’accélérer ou de renforcer ce processus de mutation et de nivellement des équilibres qui ne pourraient être que bénéfiques pour tout le monde, en particulier pour les pays africains.
Une guerre sans mort
Même l’Europe y gagnerait beaucoup plus que ne lui procure la protection de cette belliqueuse alliance qu’est devenue l’OTAN dont le soubassement politique est proprement préjudiciable aux pays européens dans moult domaines essentiels, comme celui, par exemple, de la souveraineté militaire et diplomatique dans les conflits internationaux. Parce que cette alliance n’obéit qu’à la vision géostratégique de l’empire américain, elle est donc soumise à la seule volonté de Washington et à ses intérêts primordiaux qui passent forcément par l’affaiblissement économique de l’Europe et son soutien politique inconditionnel dans l’échiquier mondial.
En atteste l’effet boomerang des sanctions de l’Union Européenne contre la Russie, aux fins de ‘’mettre l’économie russe à genoux’’, pour obliger le président Poutine à retirer ses troupes du territoire ukrainien ; sanctions prises, comme on le sait, dans un élan de docilité très versatile par rapport aux directives américaines, sans tenir compte des conséquences dévastatrices sur les économies européennes, dont singulièrement celle de l’Allemagne qui en souffre terriblement à présent, selon plusieurs experts européens.
Le président Mitterrand ne s’y trompait guère, lui qui disait : « La France ne le sait pas mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. C’est une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique. Oui ils sont très durs les américains : ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde, c’est une guerre inconnue, une guerre sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort ! ».
Par contre, ses prédécesseurs, à commencer par Sarkozy, ont fait comme s’ils n’en étaient pas conscients, en laissant volontiers les attaques américaines atteindre leurs objectifs contre l’économie française : ils ont validé avec beaucoup d’enthousiasme, au bénéfice des entreprises et fonds d’investissement américains, la vente de grands groupes français et beaucoup de brevets d’invention qui ont pu porter des entreprises françaises au statut de leader mondial dans certains domaines industriels d’importance stratégique.
J’en parlais tout récemment à notre ami Moctar, pour lui expliquer que le président Macron, quant à lui, avait fait plus que les autres en accélérant ce processus de désindustrialisation de l’économie française avec ce résultat qu’elle s’est financiarisée davantage et s’est ainsi rendue moins productive. D’où le déclassement de la France dans le rang des puissances économiques mondiales, elle se trouvait à la 4ème place du temps de Mitterrand, elle occupe maintenant la 7ème place, derrière le Royaume Uni (6ème) et l’Inde (5ème), selon le dernier classement du FMI. Encore que le risque de perdre les marchés de son pré-carré africain s’élève de jour en jour...
Je te reviendrai demain Inchallah pour te livrer ma pensée sur cette nouvelle donne.
lecalame