Depuis la promulgation de la première loi criminalisant l’esclavage en 2007 (la loi 00/48) et l’adoption de celle qui l’a remplacée (loi 031/2015), seuls quelques procès ont été organisés, malgré les dizaines de dossiers pendants devant par les juridictions ordinaires et les trois tribunaux spéciaux fondés, par l’État, pour juger ces crimes. Le verdict des trois principaux cas en dit long sur la difficulté, pour les juridictions nationales, de dire le droit prévu par les dispositions des deux lois. Premier exemple, le procès « Yarg et Saïd » : alors que la loi prévoit au moins cinq ans d’emprisonnement, le juge n’en a prononcé que deux, avant d’accorder, quelques mois plus tard, la liberté provisoire à Ahmed ould Hassine reconnu coupable de pratiques esclavagistes sur les deux garçons.
Dans l’affaire de Vatme mint Zeïd et de Vatme mint Hemedi, premier procès sur la base de la nouvelle loi « élevant » l’esclavage au rang de crime contre l’humanité, le président de la Cour spéciale n’a condamné les deux inculpés, pourtant accablés de toutes les preuves, que de cinq ans dont un seul ferme et d’une modique somme d’un million de dommages et intérêts à verser à l’une des victimes. Dans la dernière affaire, jugée il ya quelques semaines à Nouadhibou, deux esclavagistes, un homme et une femme ont écopé, respectivement, de dix et vingt ans de prison ferme et été condamnés à verser des montants relativement substantiels à leurs victimes. Le 23 Avril dernier, le tribunal spécial de Nouakchott devait juger une autre affaire d’esclavage qui a finalement été reportée à plus tard.
En rapport du nombre de dossiers pendants encore devant les juridictions ordinaires et les tribunaux spéciaux, la prestation de la justice est, cela va sans dire, encore très en deçà des attentes des organisations des droits de l’homme dont l’ambition est de voir des poursuites systématiques, à l’encontre de toutes les personnes qui continuent encore à pratiquer l’esclavage dont l’élévation en crime contre l’humanité ne permet plus, aux juges, d’accorder ni la liberté provisoire ni la mise sous contrôle judiciaire. Cela ira-t-il mieux en le disant ? Dans toutes ces affaires, de fortes pressions ont été entreprises, par les tribus et les familles des mis en cause, pour les soustraire à la justice. Les organisations comme SOS Esclaves dont l’approche et la méthodologie sont bien connues – elles se limitent à apporter assistance judiciaire et humaine aux victimes qui ont décidé de quitter leurs souffrances et leur calvaire – ont été accusées de mensonge, de manipulation et de fabrication de preuves. Au point que, devant l’Assemblée nationale, le PM actuel a déclaré que des victimes fraîchement sorties de l’esclavage ne seraient que maliennes.
Quand bien même elles appartiennent à des localités comme Outeid Talhaya ou Outeid Lawam, situées dans la commune de Nbeiket Lahwach et que leurs maîtres sont des notables des tribus de la wilaya de ce Premier ministre, condamnés, par la justice en 2016, lors du premier procès organisé, par une Cour spéciale, à Néma. Les responsables de SOS Esclaves ont subi toutes sortes de pressions, pour tenter de leur faire admettre la soustraction des auteurs de pratiques esclavagistes des mains de la justice. Vainement. Des notables tribaux du Hodh ech-Chargui ont fait des pieds et des mains, pour arrêter la procédure. Dans l’affaire de Seh ould Mousse, jeune esclave de vingt-trois ans, qui devait être jugée le 23 Avril 2018, par la Cour spéciale de Nouakchott, les tentatives de ses présumés maitres, à travers des réunions avec ses parents, l’ont amené à retirer sa plainte, sans que cela n’arrête, fort heureusement, l’action en justice comme le prévoient les nouvelles dispositions de la loi 031/2015 qui confèrent, aux organisations de la Société civile, la possibilité de se constituer partie civile.
Dernièrement, après que la cour de Nouadhibou a condamné Rev’a mint Mohamed à dix ans de prison ferme et à verser 250.000 MRU, à ses anciennes esclaves Rabi’a mint Salem et ses deux sœurs, Aminetou mint Salem et Nane mint Lagdaf, le frère de la condamnée a rassemblé, des quatre coins du pays, des personnes prétendues tantes, oncles et cousins de Rabi’a, pour les présenter devant un notaire de Nouadhibou et leur faire signer un document selon lequel cette esclave n’avait jamais porté plainte contre sa sœur qui n’a jamais été, pour elle, qu’un soutien et une bienfaitrice, en l’absence de parents subitement apparus de nulle part, pour soutenir ces allégations, avec apposition de signatures et empreintes digitales. Or, dans le procès de comparution rédigé le 05 septembre 2011, au commissariat de Jadida 1 de Nouadhibou, Rabi’a mint Salem a bien dit, en réponse à la question 1 : « depuis que j’ai cinq ans, je vis avec Rev’a et je m’occupais de tous les travaux domestiques » et dans sa réponse à la question 2, elle déclarait : « effectivement, elle me frappait ».
Plus loin, en réponse à la question 5, elle précise : « dans ses moments de colère, elle me traitait d’esclave (khoueïdem) » ; dans sa réponse à la question 11, Rabi’a reconnaît bien avoir été à l’origine de la plainte déposée contre Rev’a mint Mohamed et, dans sa réponse à la question 15, elle déclare : « je souhaite bien quitter cette famille ». Elle confirme, par ailleurs, avoir commencé les premières démarches de sa libération, avec l’envoi d’une lettre que la sœur du mari de Rev’a mint Mohamed a accepté de lui écrire. Dans cette correspondance dont SOS Esclaves a copie, elle explique sa situation et demande de l’aide pour sortir de son calvaire. C’est aussi elle-même qui s’est déplacée au commissariat de police, pour formuler la plainte contre son ancienne « employée » reconnue, par la justice mauritanienne, d’esclavagiste, dans le cadre de l’affaire 252/2011. Le jugement vient d’être confirmé, par la condamnation de Rev’a mint Mohamed ; un aboutissement encourageant, dans le traitement des affaires d’esclavage. La déclaration des parents de Rev’a mint Mohamed, publiée dans la presse, accusant SOS Esclaves d’avoir obligé Rabi’aà porter plainte n’est pas un acte inédit. Elle relève de la volonté de certains esclavagistes d’intimider les organisations des droits humains, afin de continuer à pratiquer impunément un crime contre l’humanité dont les auteurs ne peuvent plus se prévaloir ni de liberté provisoire ni de mise sous contrôle judiciaire.
le 30 Avril et le 2 Mai 2018, le gouvernement mauritanien a déposé, à Genève, après neuf ans de retard, son rapport sur la situation des droits de l’homme en Mauritanie, devant les experts et le rapporteur pays. Et s’est soumis à l’épreuve des réponses sur la mise en œuvre des cent-six recommandations qui lui avaient été adressées, en 2009, pour la promotion et le respect des droits de l’homme. Composée du commissaire des Droits de l’homme, de la présidente de la Commission nationale des droits de l’homme, du conseiller du Premier ministre chargé des droits de l’homme, de deux cadres du ministère de l’Intérieur et de la décentralisation (directeur de la Surveillance du territoire et celui de la Législation) et d’un responsable de l’agence Tadamoun, la délégation officielle a été dans l’obligation, après la lecture de ses rapports, de demander le report d’une journée, pour répondre au flot de questions que les experts de la commission lui ont adressées, alors que les organisateurs n’avaient prévu qu’une dizaine de concertations à cette fin, entre les membres de la délégation gouvernementale.
En langage diplomatique habituel, les experts ont demandé, à la Mauritanie, de respecter ses engagements internationaux, en mettant concrètement en œuvre les recommandations qui lui sont adressées, lors des examens périodiques. Contrairement au satisfecit annoncé, dans un article publié par l’AMI, la Mauritanie a été interpellée sur tous les dossiers : esclavage, extrême pauvreté, passif humanitaire, partage des ressources nationales, restriction des libertés syndicales et de presse, etc. ; significatifs des violations des droits de l’homme.
Sneiba El Kory
source lecalame.info