Des "bricoleurs" produisant des visières dans leur salon à la start-up de pointe fabriquant des pièces sur mesure à l'hôpital, les initiatives d'impression 3D foisonnent face au Covid-19, mais les degrés de sophistication sont variables et la coordination compliquée.
Ludovic, trentenaire passionné d'aéromodélisme, a imprimé chez lui en Haute-Garonne une centaine de masques en plastique distribués à des caissières, soignants d'Ehpad, gendarmes... qui manquent d'équipements de protection.
Il dit mettre quatre heures à sortir chaque masque sur sa machine de "fabrication additive", à base de filaments de plastique. "J'ai trouvé le fichier (de création) sur internet. Ce n'est pas homologué, c'est du bricolage. C'est mieux que rien", confie-t-il à l'AFP.
En France, plusieurs milliers de particuliers possédant une imprimante 3D s'échangent ainsi conseils et programmes sur les réseaux sociaux, notamment pour produire des serre-tête de visières anti-projection.
Mais les modèles imprimables pullulent et certains bénévoles sont submergés de requêtes.
"Certains médecins de CHU ont officieusement validé certains modèles de visières: on a collecté ces informations pour partager" ces prototypes "fiables", tempère Simon Laurent, président du Réseau français des "Fablabs", des ateliers de fabrication mettant à disposition machines et imprimantes 3D.
Selon lui, au moins 100.000 visières ont été "imprimées" bénévolement.
- des demandes "de partout" -
Au-delà des "+makers+ amateurs, dont le niveau (technique) varie", on trouve des "professionnels, travaillant souvent dans l'industrie" et capables de s'attaquer à des modèles de respirateurs, pousse-seringues et éléments complexes, rappelle M. Laurent.
A Nantes, le collectif "Makers for Life" développe ainsi un respirateur artificiel d'urgence aux composants imprimables, dont il mettrait librement à disposition les plans. A Paris, le projet "MUR" vise un dispositif similaire "reproductible facilement", actuellement testé médicalement.
Des plateformes s'efforcent d'accorder les propositions d'"imprimeurs" de tous niveaux et les besoins parfois pointus du personnel médical: initié par des hospitaliers et universitaires, le consortium 3D4Care associe environ 80 points de fabrication en Île-de-France (particuliers, écoles ou entreprises).
Raccords pour respirateurs, masques personnalisés... mais aussi visières, dont 3D4Care propose des modèles-types validés par des urgentistes. "Des navettes collectent les pièces auprès des +makers+ et entreprises, puis on les décontamine, on fait un contrôle-qualité et on les assemble" avant de les livrer aux hôpitaux, explique Pascal Morenton, enseignant à CentraleSupélec, faisant état de 700 visières produites quotidiennement.
Lui-même reçoit des demandes "de partout", citant un chirurgien en manque de visières juste avant une opération.
Face à une demande immense et désorganisée, il est difficile de discipliner complètement l'offre: "Il est illusoire et peut-être contre-productif de vouloir coordonner des actions basées sur des initiatives personnelles délocalisées. Il faut un juste milieu entre structuration et agilité", fait valoir M. Morenton.
- "gagner en Indépendance" -
Les entreprises spécialisées dans l'impression 3D sont évidemment engagées dans la bataille: en Italie, la start-up Isinnova a modifié un masque de plongée Decathlon pour en faire un appareil respiratoire, grâce à une valve imprimable au modèle aussitôt partagé en ligne et imité partout.
Le fabricant niçois d'imprimantes professionnelles Volumic a obtenu la validation des laboratoires Cerballiance pour imprimer des éprouvettes destinées aux tests de dépistage. Il en produit "quasiment 10.000 par semaine", selon son cofondateur Stéphane Malaussena.
"On dirait de la médecine de guerre! Tout le monde répond à l'urgence. On est quand même prudent, le corps médical doit valider", observe-t-il.
L'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, de son côté, s'est dotée à l'hôpital Cochin d'une mini-usine d'une soixantaine d'imprimantes qui crachent des matériels (pièces pour respirateurs, matériel d'intubation, pousse-seringues...) demandés par les soignants.
La jeune pousse Bone3D, spécialisée dans l'impression 3D médicale, dédie cinq ingénieurs au projet: "Il faut 48 heures pour dessiner une nouvelle pièce, la créer, la mettre à l'épreuve dans un service clinique, avant de pouvoir l'imprimer", décrit son président Jérémy Adam.
Du "sur-mesure" et un meilleur contrôle des dispositifs sensibles: "Pour les visières, il y a très peu de risque à les faire faire par des +makers+, ce n'est pas critique pour le patient. Pour des pièces de respirateurs, il faut encadrer les choses: imaginez qu'un matériau cause du tort à un patient", insiste M. Adam.
En offrant une visibilité accrue à l'impression 3D, la pandémie marquera un tournant, juge Stéphane Malaussena: "Tous les hôpitaux prennent conscience qu'ils peuvent eux-mêmes fabriquer les éléments dont ils ont besoin --et gagner en indépendance."
AFP