Gravissime ! Au moment même où on instruit un procès potentiel pour des faits similaires contre l’ancien chef de l’État, l’ampleur de la corruption sous ses diverses formes a atteint des niveaux vertigineux, à travers notamment les marchés de gré à gré, les projets de convenance, la dilapidation des ressources et des biens publics, l’enrichissement sans cause, le trafic d’influence. Le principal indicateur de cette explosion exponentielle de la corruption est l’enrichissement aussi soudain qu’inexpliqué de certains fonctionnaires et hommes politiques. Un enrichissement qui se fait au détriment du développement du pays, il est surtout corrélatif à l’appauvrissement de la population. Il en est même la principale cause.
Cette situation exige un remède de cheval, compte tenu de son impact dévastateur sur les perspectives de développement et sur les conditions de vie des plus pauvres. Dans ces conditions, la lutte contre la corruption, sous toutes ses formes, doit être érigée en priorité absolue, à travers notamment un vaste programme de moralisation de la vie publique. Sans moralisation de la vie publique et sans la fin de l’impunité, il ne peut y avoir de développement. Nous devons démanteler le système corruptif, qui saigne le pays à petit feu, à travers des mesures de rupture radicales, notamment la mise en place d’un dispositif et de mécanismes anti-corruption efficaces, des sanctions et la diligence dans leur mise en œuvre, mais aussi le choix de personnes décidées et propres. En plus d’instaurer un contrôle a priori des dépenses publiques qui permet de stopper en amont les cas suspects, avant l’engagement de la dépense, nous devons réformer le dispositif de déclaration de patrimoine.
La déclaration de patrimoine : Un mécanisme aujourd’hui fantaisiste
La déclaration de patrimoine est un dispositif important, en matière de transparence de la vie publique et de lutte contre la corruption, mais, en Mauritanie, ce mécanisme ne sert à rien. Juste un papier stocké quelque part. Personne ne le consulte. Dans les faits, il est contourné, faute de mise en œuvre et de suivi sérieux, alors qu’il n’est pas fait pour être rangé dans les tiroirs de la Cour suprême ad vitam aeternam.
L’objectif de la déclaration de patrimoine est de s’assurer que le fonctionnaire ne s’est pas enrichi dans l’exercice de ses fonctions, grâce aux deniers publics ou au trafic d’influence. S’il y a un décalage important entre la déclaration de patrimoine et l’état de sa fortune, il doit pouvoir l’expliquer. A défaut, il devient possible d’engager contre lui des poursuites sur la base de la présomption de corruption.
Or, les responsables, à leur entrée en fonction, ne font pas généralement de déclaration de patrimoine ou ils font des déclarations fantaisistes et personne ne les vérifie. A la sortie de leur fonction, ils ne font pas nécessairement une nouvelle déclaration de patrimoine et il n’y a pas de contrôle non plus.
Elargir la déclaration de patrimoine et la rendre effective
Pour lutter efficacement contre la corruption et le détournement des biens publics, il faudrait mettre en place les garde-fous nécessaires pour contenir un tel phénomène et en finir avec le règne de l’impunité.
Même si tous les niveaux de l’administration sont touchés par la corruption, nous devons commencer par élargir la déclaration de patrimoine à tous les hauts fonctionnaires (ministres, secrétaires généraux, directeurs généraux, directeurs des entreprises publiques…) qui prennent les décisions et qui sont la source de tous nos problèmes, car ils entretiennent la corruption. Nous devons rendre la déclaration de patrimoine effective, à travers les 11 mesures suivantes, naturellement non exhaustives :
1. Vérifier systématiquement la véracité des informations communiquées, pour s'assurer de leur exactitude, leur sincérité et leur exhaustivité, y compris en menant des investigations et faire des recoupements auprès de la direction des domaines, les samsaras, les banques…
2. Procéder systématiquement à des vérifications exhaustives, à Nouakchott, à l’intérieur du pays et à l’étranger, de l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers, les comptes bancaires, les dons, les avoirs bancaires, les cheptels, les héritages, les prêts, les dettes…
3. Élargir l’obligation de déclaration de patrimoine à tous les fonctionnaires qui collectent l’argent (douanes, impôts, trésor public...) et tous les fonctionnaires qui dépensent les fonds publics (Ordonnateurs et comptables des principaux budgets, Commissions des marchés...), mais aussi à tous les généraux et les hauts gradés de la sécurité.
4. Élargir l’obligation de déclaration de patrimoine à tous les conjoints et enfants, frères et sœurs, beaux-fils et belles-filles, beaux-frères et belles-sœurs, frères et sœurs des époux et des épouses… des ministres, directeurs généraux, directeurs des établissements publics et tous les ordonnateurs de budgets.
5. Mettre en place un système rigoureux de suivi et de contrôle de l’évolution de la situation patrimoniale de tous les responsables.
6. Créer un organe de contrôle des déclarations de patrimoine, une espèce d’instance, indépendante et autonome financièrement, chargée de la collecte et de la vérification des déclarations de patrimoine et dotée d’un personnel réputé pour sa compétence et son intégrité.
7. Mettre en place un dispositif contraignant de sanctions effectives et dissuasives contre les responsables qui ne remettent pas leur déclaration de patrimoine ou qui manipulent les données ou qui soumettent de fausses déclarations.
8. Publier toutes les déclarations de patrimoine pour qu’elles soient accessibles au public et disponibles online, pour que n’importe quel citoyen puisse les voir. Une telle mesure fait partie des règles du jeu, en matière de transparence publique. Quand on sert l’intérêt public, on doit accepter beaucoup de contraintes et l’une d’elles pourrait être, précisément, de renoncer au secret relatif au patrimoine et à toute discrétion, en acceptant que les données relatives au patrimoine soient publiées. Un tel système permettra de protéger les hommes politiques et les fonctionnaires intègres contre les suspicions, les généralisations abusives et les accusations tendancieuses.
9. Impliquer la société civile, les médias, les journalistes d’investigation, les blogueurs dans la sensibilisation, mais aussi dans la dénonciation et la traque des biens mal acquis. Ils devraient pouvoir s’assurer de la conformité des déclarations de patrimoine à la réalité.
10. Mettre en place une politique volontariste contre le blanchiment d’argent, dans un pays où on peut tout blanchir, en toute transparence et en toute impunité, y compris les fruits de la corruption. Les hauts fonctionnaires corrompus peuvent en effet détourner de l'argent public ou recevoir des commissions de quelques centaines de millions, versées en cash, et, le même jour, acheter, au vu et au su de tout le monde, autant de maisons, de terrains, de cheptels, de voitures de luxe ou déposer cet argent sur des comptes bancaires.
11. Développer un cadre juridique et institutionnel efficace pour criminaliser l’enrichissement illicite, y compris un dispositif de veille qui permet d’engager systématiquement et immédiatement une enquête dès qu’un haut fonctionnaire affiche des signes extérieurs de richesse.
Les élus et les leaders politiques doivent donner l’exemple
Pour prouver à l’opinion qu’ils se présentent pour servir leurs concitoyens et non pas pour s’enrichir, de manière indue ou faire prospérer leurs affaires ou bénéficier de l’immunité judiciaire et de passe-droits, les élus devraient donner l’exemple, en faisant une déclaration volontaire de patrimoine, alors que la loi ne les y oblige pas, au moment de leur élection et à la fin de leur mandat, parlementaire, municipal et régional.
Pour donner l’exemple et joindre l’acte à la parole, même s’ils n’y sont pas tenus par la loi, les dirigeants politiques, particulièrement les leaders des partis de l’opposition, seraient bien inspirés de publier, chaque année et volontairement, leur déclaration de patrimoine, ainsi que celles de leurs conjoints et enfants, y inclus les dons d’argent et les cadeaux reçus.
En définitive, le président de la République doit savoir que l’opinion exige une rupture immédiate avec Elvessad et la pratique des marchés de gré à gré qui, comme on le sait, sert de couverture au conflit d’intérêt et à l’enrichissement sans cause, d’autant plus qu’il s’est engagé devant le peuple à lutter contre la corruption. Aujourd’hui, il a l’opportunité de le faire. Il doit le faire. Ce n’est pas une tâche herculéenne. C’est même facile, avec de la volonté, du courage et à travers des décisions de rupture fortes. S’il s’abstient de le faire, s’il ne réagit pas à temps, s’il ne fait pas preuve de proactivité, il pourrait en répondre politiquement, puisque sa responsabilité est engagée, et risque de faire face à la colère des Mauritaniens, complètement désabusés.
AMI