Dans sa longue carrière militaire, Ould Ghazouani, qui fut l’état-major de l’armée et ministre de la défense, a eu à conduire avec succès des batailles délicates. Mais celle qu’il doit conduire aujourd’hui en tant que chef d’Etat, mandaté par ses autres pairs du G5 Sahel, s’annonce des plus compliquées : faire fléchir le colonel Assimi Goïta sur le retrait depuis mai 2022 du Mali de l’organisation commune créée en 2014.
L’ombre de Paris
Selon la tradition de rotation établie depuis la création du G5 Sahel, c’est au Nigérien Mohamed Bazoum que revenait en 2023 la présidence en exercice. Mais pour donner des gages à Bamako et se ménager des chances de convaincre les colonels au pouvoir au Mali, la présidence en exercice a été confiée au Mauritanien Mohamed Ould Ghazouani dont les relations avec les militaires maliens sont notoirement meilleures que celles qu’ils entretiennent avec Bazoum. Ghazouani est « Goita-compatible », ce qui n’est pas le cas de Bazoum dont les sorties médiatiques sur la crise sécuritaire malienne ont agacé au plus sommet du pouvoir militaire de transition. Sur le papier, le président mauritanien dispose de nombreux atouts pour convaincre les colonels maliens de revenir dans la famille du G5 Sahel. En effet, à Bamako on sait toujours gré à la Mauritanie de n’avoir pas suivi la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans la volonté de punir le Mali à travers l’embargo total subi par le pays entre janvier et juillet 2022. Outre le refus de s’associer à la décision de fermeture des frontières terrestres et aériennes avec Mali, la Mauritanie s’était montrée disposée à devenir une alternative à l’impossibilité pour le Mali de continuer ses exportations et importations à travers les ports habituels d’Abidjan et Dakar. Nouakchott ne s’était pas non plus associé à l’isolement diplomatique du Mali, même au plus fort de la crise entre Bamako et la CEDEAO avec laquelle la Mauritanie, sans être membre de plein de droit, entretient des relations privilégiées. Le président mauritanien dispose enfin d’un autre atout pour avoir l’oreille attentive de ses jeunes frères d’armes maliens : la Mauritanie est considérée comme « moins inféodée » que le Niger et le Tchad à la France dont la main invisible se cache, selon Bamako, derrière le refus de tenir en février 2022 le sommet du G5 dans la capitale malienne et donc de priver Goïta de la présidence de l’organisation.
Les préalables de Bamako
Même s’ils apparaissent très attachés au maintien de leurs bonnes relations avec la Mauritanie, les colonels au pouvoir à Bamako n’ont pas bougé, pour l’heure, d’un seul iota sur leur décision de retirer leur pays du G5 Sahel. Pour eux, la seule voie pour l’organisation commune de retrouver sa crédibilité et de démontrer son indépendance à l’gard « des forces extérieures à la région », c’est de porter Assimi Goïta à sa présidence. Il y a actuellement peu de chances de satisfaire cette exigence avant la fin du mandat du président Ghazouani en février 2024. Confiants à cent pour cent dans leur partenariat avec la Russie et Wagner, les militaires maliens sont convaincus que c’est surtout le G5 qui a besoin de leur retour. A prendre en compte les conséquences du retrait du Mali, leur intransigeance fait sens. De fait, le retrait du Mali entraîne une rupture territoriale entre les Etats du G5, en isolant la Mauritanie du Burkina Faso, du Niger et du Tchad. Le départ de Bamako entraîne aussi la mort du « fuseau Ouest » de la force conjointe qui est tenu par les armées maliennes et mauritaniennes. Le retrait rend surtout caduc le droit de poursuite territoriale de 50 kilomètres sans accord préalable que les cinq pays se sont accordé. Comment désormais lutter efficacement contre la menace terroriste dans la zone des trois frontières, si les armées du Niger, du Burkina Faso et du Mali ne peuvent pas poursuivre les groupes djihadistes d’un côté comme de l’autre de la frontière commune ?
L’implication du Mali dans la lutte antiterroriste sous-régionale est par ailleurs importante pour empêcher les groupes terroristes de réaliser leur agenda d’exporter leur menace du Sahel vers le Golfe de Guinée. A partir du territoire malien, ces groupes menacent non seulement la Côte d’Ivoire qui a déjà été attaquée plusieurs fois mais aussi la Guinée-Conakry qui reste dans le viseur des groupes terroristes en raison de ses immenses richesses minières et naturelles.
L’option de l’élargissement
Faute de réussir à convaincre le Mali de revenir dans la famille du G5 Sahel, certains milieux diplomatiques et sécuritaires de la région estiment qu’il faut envisager son élargissement et son rapprochement avec l’Initiative d’Accra, regroupement des pays du Golfe de Guinée (Burkina Faso, Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo), crée en 2017. Le Sénégal, par exemple, avait déjà manifesté à plusieurs reprises son souhait de rejoindre le G5 Sahel. Le président sénégalais Macky Sall avait du reste participé en février 2021 au 7 ème Sommet ordinaire du G5 Sahel à N’Djamena où il avait annoncé une contribution volontaire d’un million et demi d’euros au Secrétariat exécutif du G5 ainsi que la disponibilité de son pays à fournir des troupes au fuseau Ouest de la force conjointe. Depuis le retrait définitif de son armée du Mali en août 2022, la France s’est, elle aussi, engagée dans un processus de réarticulation de sa présence au Sahel qui prévoit l’élargissement de son engagement antiterroriste aux pays du Golfe de Guinée (Bénin, Côte d’Ivoire, Togo). Paris verrait donc d’un bon œil la fusion entre le G5 Sahel et l’Initiative d’Accra, à la faveur du retrait du Mali du G5. Cette option devrait finalement satisfaire le Mali tout comme la France. En effet, le Mali et le Niger, sans être membres de l’Initiative d’Accra, y ont été admis comme Etats observateurs. Retour probable et incertain du Mali ou élargissement ?
Le G5 Sahel est dans l’expectative alors que la menace terroriste, elle, n’a jamais été aussi prégnante. La situation continue de se dégrader dans la zone des trois frontières particulièrement au Burkina Faso et sur la frontière nigéro-malienne. Les efforts de construction d’une réponse transnationale à la menace sécuritaire ont subi un sérieux revers avec le retrait du Mali du G5 Sahel. A la tête d’un pays cité en exemple pour les résultats de sa lutte antiterroriste, le président Ghazouani a jusqu’en février 2024 pour convaincre les colonels au pouvoir à Bamako de revenir dans le G5 et reprendre ensemble la marche vers une réponse concertée, mutualisée et transnationale à la menace terroriste au Sahel.
Francis Sahel
mondafrique