Le gouvernement mauritanien devrait abandonner les charges de blasphème et d’outrage à l’islam portées contre huit activistes politiques et remettre en liberté cinq d’entre eux qui se trouvent en détention provisoire depuis le 26 février 2020, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le tribunal pénal de Nouakchott Ouest doit entendre l’affaire le 20 octobre.
Examiné par Human Rights Watch, l’acte d’accusation reproche aux huit accusés de « se moquer de Dieu, de son messager et du livre sacré » et de « créer, enregistrer et publier des messages en utilisant un système d’information qui porte atteinte aux valeurs de l’islam ». Ils encourent la peine de mort si leur culpabilité est reconnue.
« Publier une photo ou un texte sur les réseaux sociaux, même quelque chose que d’autres pourraient considérer comme une insulte à la religion, ne devrait pas être considéré comme un crime », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Ces accusations n’auraient jamais dû être portées en premier lieu et encore moins justifier l’emprisonnement de cinq personnes pendant huit mois. »
Au nombre des accusations portées contre trois des hommes, figure une collaboration avec deux ressortissants étrangers qui avaient été expulsés de Mauritanie pour s’être prétendument livrés à des actes de prosélytisme chrétien.
Les cinq accusés en détention depuis le 26 février sont Ahmed Mohamed Moctar (38 ans), Othman Mohamed Lahbib (25 ans), Mohamed Abdelrahman Mohamed(58 ans), Mohamed Ould Hida, (41 ans), et Mohamed Fal Ishaq (41 ans). Un autre prévenu a été remis en liberté provisoire et deux autres se trouvent à l’étranger.
En février, les autorités mauritaniennes ont convoqué les huit hommes pour un interrogatoire après qu’ils eurent assisté à une réunion organisée par Alliance pour la refondation de l’État mauritanien (A.R.E.M), l’Alliance pour la refondation de l’État mauritanien (AREM), créée récemment en vue de réformer l’administration publique et les systèmes de santé du pays, dont elle rejette le système de castes.
Le 6 juillet, une unité d’enquête spécialisée dans le terrorisme et les crimes contre la sécurité de l’État au bureau du procureur général a renvoyé l’affaire devant le tribunal pénal de Nouakchott Ouest, accusant les huit hommes de blasphème et d’outrage à la religion en vertu de l’article 306 du Code pénal. Les autorités ont également accusé trois d’entre eux de diffuser des contenus portant « atteinte aux valeurs de l’islam » en vertu de l’article 21 de la loi sur la cybercriminalité et de l’article 20 de la loi antiterroriste.
En juillet 2019, dans une affaire antérieure, les autorités avaient remis en liberté un blogueur, Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, détenu pour une affaire de blasphème depuis cinq ans et demi. Après sa condamnation à mort par un tribunal en décembre 2014, une cour d’appel a commué la peine de Mkhaitir à deux ans de prison, déjà purgés. Mais les autorités l’ont maintenu en isolement cellulaire et en détention arbitraire 21 mois de plus avant de le remettre en liberté. Mkhaitir est en exil en France et dirige l’AREM.
Les procureurs disposent d’un arsenal répressif pour museler les critiques qui tiennent des discours non-violents, notamment des lois draconiennes à la portée trop vaste sur le terrorisme, la cybercriminalité, l’apostasie et la diffamation. Elles sont régulièrement invoquées pour emprisonner des défenseurs des droits humains, des activistes et des blogueurs.
Le 27 avril 2018, l’Assemblée nationale a adopté un texte qui remplace l’article 306 du Code pénal et rend la peine de mort obligatoire en cas de « propos blasphématoires » et d’« actes sacrilèges ». La nouvelle loi supprime ainsi la possibilité, prévue par l’article 306, de remplacer la peine capitale par une peine d’emprisonnement pour certaines infractions liées à l’apostasie lorsque l’auteur se repent immédiatement. La loi prévoit également une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende de 600 000 ouguiyas (environ 15 940 dollars) au maximum pour « atteinte à la décence publique et aux valeurs de l’islam » et « non-respect des interdictions prescrites par Allah » ou facilitation de leur non-respect.
En décembre 2015, l’Assemblée nationale a adopté la loi sur la cybercriminalité, qui prévoit de lourdes peines de prisons et amendes pour la diffusion de certains types de contenus politiquement sensibles sur Internet.
Les lois mauritaniennes imposent la peine de mort pour une série d’infractions, dont, sous certaines conditions, le blasphème, l’apostasie, l’adultère et l’homosexualité, bien qu’un moratoire de facto sur les exécutions soit entré en vigueur depuis 1987. Human Rights Watch s’oppose à la peine capitale en toutes circonstances en raison de sa cruauté inhérente et de sa nature irréversible et inhumaine.
L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par la Mauritanie en 2004, stipule que « [n]ul ne peut être inquiété pour ses opinions et que toute personne a droit à la liberté d’expression. » Le Comité des droits de l’homme, qui fournit une interprétation définitive du Pacte, a établi que, en dehors de circonstances très limitées, les interdictions d’exprimer le non-respect d’une religion ou d’un autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème, sont incompatibles avec le Pacte. Il a également déclaré que «
- a libre circulation d’informations et d’idées sur les questions publiques et politiques entre citoyens, candidats et élus est essentielle ».
L’article 9 (2) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), que la Mauritanie a ratifiée en 1986, stipule que «
« Les autorités devraient de toute urgence donner la priorité à la dépénalisation du discours pacifique, en commençant par l’élimination de la peine capitale pour blasphème », a conclu Eric Goldstein.
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