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M. Brahim ould Békaye, président de l’Institution de l’Opposition Démocratique : ‘’L’accord entre les partis et le MINT comporte de nombreux défauts et a occulté des questions importantes’’

Jeudi 27 Octobre 2022 - 09:10

M. Brahim ould Békaye, président de l’Institution de l’Opposition Démocratique : ‘’L’accord entre les partis et le MINT comporte de nombreux défauts et a occulté des questions importantes’’

Le Calame : La Mauritanie s’achemine vers des élections municipales, législatives et régionales anticipées. Dans ce cadre, un accord consensuel a été signé entre le ministère de l’Intérieur et les partis de la majorité et de l’opposition. Comment le président de l’IOD a-t-il accueilli cet accord ? Pensez-vous qu’il est de nature à favoriser des scrutins inclusifs et transparents ?
 

Brahim ould Békaye : Tout d'abord, je remercie le journal « Le Calame » pour cette opportunité et lui souhaite davantage de leadership, de succès et de continuité, dans sa vocation de media dévoué dans l'éclairage de l'opinion publique nationale. À propos de l'accord politique parrainé par le ministère de l'Intérieur, nous considérons qu’il s’agit d’un pas timide entrepris dans la quête de garanties renforçant la transparence électorale et mettant en place des mécanismes consensuels pour une concurrence transparente.

Je crois que cet accord comporte de nombreux défauts de préparation. Il a occulté les questions importantes liées à l'approfondissement et au renforcement de la proportionnelle à l’intérieur du pays. L'exclusion des grands acteurs politiques de ce dialogue, sous prétexte qu'il est limité aux partis autorisés, est à mon avis, une négligence de la part du pouvoir. De plus, la question du découpage administratif qui assure le renforcement de la proportionnelle à l’intérieur du pays devrait être claire et fortement présente dans l'accord.

 

L’institution que vous présidez a-t-elle été associée aux discussions entre les différentes parties ? Si oui, quel rôle a-t-elle joué ?
 

- Malheureusement, l'institution n'a pas été consultée et n'a participé à aucune étape de l'accord. Ce qui explique la vision restrictive du pouvoir en place de cette autorité constitutionnelle et son refus de la considérer comme un partenaire important dans le processus politique, bien que les règles juridiques soient claires à cet égard et qu’elles exhortent le régime sur la nécessité de consulter périodiquement l'institution et de prendre son avis sur les questions centrales du pays.

 

Après le consensus entre les parties, des divergences sont apparues quant à la composition de la CENI. Pour certains, l’organe doit être constitué de personnalités indépendantes, pour d’autres il doit refléter les partis politiques. Que pensez-vous de cette querelle ? Votre institution a-t-elle tenté de concilier les positions des uns et des autres ?
 

- L'action politique n'est pas exempte d'obstacles. Je pense que les divergences observées actuellement quant au choix des membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) ne seront que des désaccords passagers. En effet, l'opposition détient l’actif politique et la sagesse qui lui permettent de trancher ce problème. Mais je considère que la question de la représentation est gérée par la force des lois qui s’y rapportent dans les instances, selon lesquelles les partis politiques sont représentés suivant leur poids électoral au cours des dernières consultations électorales. Cela dit, l'IOD ne considère pas le sujet comme un différend fondamental nécessitant une intervention. Les dirigeants des partis concernés parviendront à un accord concernant la représentation au niveau de la CENI.

 

Parmi les points d’accord entre le MID et les partis politiques, il y a, entre autres, la proportionnelle. Une chance ou un risque pour les partis de l’opposition ? Que doivent faire ceux-ci pour éviter la débâcle lors des prochaines élections locales ?  Ne doivent-ils pas méditer la leçon de l’opposition sénégalaise qui a réussi à mettre à mal la majorité en formant des listes communes lors des dernières élections législatives ?
 

- La proportionnelle est considérée comme importante dans les démocraties émergentes, en ce qu’elle réduit la domination et le monopole des partis au pouvoir sur les fonctions électorales, encourage les partis à la concurrence dans l'espoir d'être représentés et d'obtenir des gains électoraux et politiques. Dans une société comme la société mauritanienne où les groupes traditionnels contrôlent encore de nombreux bastions électoraux, la proportionnelle est très importante, puisqu’elle permet de répartir la représentation, dans ces forteresses, entre plus d'une partie en fonction de son poids électoral.
 

Il est vrai que l'ajout d'une liste de jeunes constitue un pas important mais il était plus essentiel d'adopter un nouveau découpage administratif à la lumière duquel la proportionnalité au Parlement se renforce au niveau des circonscriptions de l'intérieur. La part de Nouakchott dans cette proportionnelle ne s’harmonise également pas avec la taille démographique de la capitale. Plus encore, le dysfonctionnement s’étend aux trois wilayas de Nouakchott qui ne sont pas quantitativement homogènes du point de vue démographique.
 

Certes, l'opposition est appelée à resserrer ses rangs et à surmonter ses divergences dans les prochains jours, en vue des prochaines élections législatives, municipales et régionales. D’ailleurs, les gains réalisés par l'opposition au cours des dernières élections législatives, municipales et régionales étaient le fruit d’une telle coalition. Concernant la comparaison entre ce qui s'est passé au Sénégal, je pense que ce pays a une particularité politique qui le distingue de beaucoup d’États de la région et c’est incontestablement cette spécificité et cette tradition qui ont donné les résultats sanctionnant ses récentes élections.

 

- Pouvez-vous nous rappeler brièvement le rôle de l’IOD ? Joue-t-elle pleinement son rôle ?  De quels moyens dispose-t-elle ?
 

- L'expérience de l'Institution de l'opposition démocratique fait partie des importantes réformes démocratiques ayant marqué la transition 2005-2007 où la loi sur l'institution du chef de file de l'opposition fut promulguée, avant d’être ultérieurement modifiée à la demande de certains partis d'opposition et devenir la loi de l'Institution de l'opposition démocratique.

En dépit d’une expérience récente et malgré les défis institutionnels, l’IOD est en fin de compte considérée comme un acquis important pour l'opposition en Mauritanie, un cadre institutionnel et juridique nécessaire pour redynamiser le rôle de l'opposition, l'organiser, renforcer sa présence et affiner sa relation avec le pouvoir dans le cadre d’une philosophie érigeant l'opposition en partenaire dans l'intérêt national.

Depuis la fondation de l'Institution, l’Autorité n'a cependant pas voulu lui accorder la valeur juridique stipulée par la loi, interagissant plutôt avec elle comme « décor d’embellissement de la démocratie », d’où des rapports officiels non pas régis par la loi mais, au contraire et uniquement, par les humeurs, qu'il s'agisse de mettre à jour les textes la réglementant, de son financement ou de sa consultation.

 

- Combien de fois avez-vous rencontré le président Ghazwani depuis son élection en Juin 2019 ? De quoi avez-vous parlé ?
 

- J'ai rencontré le président Mohamed ould Cheikh Ghazwani une seule fois après son élection. La rencontre fut l'occasion d’écouter son diagnostic des problèmes du pays et de sa vision pour y remédier. Au cours de cette audience, je lui ai fait part de mon point de vue sur ces problèmes fondamentaux. Je ne l’ai plus rencontré depuis, bien que les textes réglementant l'Institution stipulent la nécessité pour le Président et le Premier ministre de consulter le chef de file et le Conseil de supervision de l'IOD chaque six mois. Nous avons écrit à la Présidence pour lui rappeler ces contenus juridiques qui n’ont cependant pas suscité, à ce jour, la moindre interaction de sa part.

 

- Quels sont les rapports entre les différents partis de l’opposition au sein de l’IOD ? Sont-ils cordiaux ?
 

- La gestion de l’IOD souffre encore de certaines carences institutionnelles. Le gouvernement refuse toujours d’approuver le décret d'application qui définit en détail son fonctionnement. Cela prive son conseil de supervision de certains privilèges et droits et affecte en conséquence d'autres aspects du déroulement du travail.

Nous avons un conseil de supervision où tous les partis d'opposition siégeant au Parlement ou ayant accepté de participer à la formation de l’IOD sont représentés. Parmi ces partis, certains ne sont toutefois pas membres des organes exécutifs et de gestion. Ces derniers ont écrit et contacté leurs dirigeants pour les persuader de participer. La raison de tout cela tient aux divergences entre les partis sur leur représentation au sein de l'Institution.

 

Propos recueillis par Dalay Lam

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