Le Calame : Après leur évasion de la prison centrale de Nouakchott, quatre djihadistes ont été rattrapés en Adrar et trois d’entre eux ont tués et un arrêté. Que vous inspire cet événement ? Un coup de semonce ou une alerte des Jihadhistes ?
M. Abderrahmane Marrakchy : Tout d’abord, je tiens à présenter mes condoléances aux familles endeuillées et implore Allah pour que les martyrs de nos forces armées et de sécurité soient accueillis en son saint paradis, tout en souhaitant un prompt rétablissement aux blessés.
Cet incident doit nous interpeller et nous commande beaucoup de vigilance à l’avenir, car la lutte contre ce phénomène à multiples dimensions n’est jamais gagnée d’avance, qu’Allah nous en préserve. Je ne m’étendrai pas beaucoup sur le sujet, car des zones d’ombres subsistent encore et l’enquête est en cours. Je dirais simplement que les responsables de nos forces armées et de sécurité, surtout les officiers supérieurs ne pourront jamais accomplir correctement leur noble mission quelle que soit leur bravoure ou leur dévouement s’ils se mêlent de la politique. L’opinion publique, si l’on en tient compte, est plus qu’exaspérée par les interférences de certains officiers dans les affaires politiques dans un pays qui se dit démocratique. Il est temps de considérer notre peuple suffisamment majeur et lui laisser un minimum d’initiative. Alors à chacun son boulot, on s’en portera mieux. J’espère que je serai bien compris.
-Cette action intervient en pleine pré-campagne pour les prochaines élections municipales et législatives de mai prochain. Quelle lecture faites-vous de la situation politique du pays où l’opposition, à cause de son fractionnement, risque de se réduire en peau de chagrin ?
-La situation politique du pays est presque illisible. La majorité est floue et où chacun est candidat à quelque chose. Le rapport candidats - postes disponibles est évalué entre 10 à 20 pour 1. L’opposition traditionnelle s’est injectée elle-même le venin de sa mort sans avoir par précaution gardé un antidote. Tellement, elle avait enduré avec les régimes passés et souhaitait leur disparition qu’elle était encline à applaudir aveuglément le nouveau venu sans négocier sa part ou en la négociant mal et sans que ses vues soient prises en compte. On en arrive à constater que cette opposition est mourante, laissant place aux vues extrémistes, voire quasiment séparatistes.
Les élections arrivent à grande vitesse avec une impréparation qui ne laisse place à aucun doute sur la pagaille qui risque de les caractériser. La CENI n’inspire aucune confiance vu sa composition. Ceux qui ont supervisé des élections où la fraude massive était la principale caractéristique sous l’ère Maaouiya ne pourront pas arbitrer honnêtement car l’habitude comme on dit est une seconde nature. L’hypocrisie ambiante de la classe politique a laissé filer cet état de fait et l’a même cautionné. Nous risquons de le payer très cher. Le cri de détresse du doyen Cheikh Sidahmed Babamine n’a pas trouvé d’écho malheureusement. Cet homme qui a supervisé les seules élections qualifiées de transparentes dans notre pays entre 2006 et 2007 sait de quoi il parle. A mon avis, il aurait mieux valu laisser le ministère de l’intérieur organiser les élections, au moins, on pourra le rendre pleinement responsable de ce qui pourra se passer et économiser pas mal d’argent. Je m’attends à de grandes manipulations du scrutin et à une future Assemblée nationale composée essentiellement de « teyvayes » (ou colporteurs) qui n’auront ni la capacité de légiférer, encore moins contrôler l’action du gouvernement. Ne parlons pas de représenter le pays dans les différentes institutions parlementaires étrangères. Les places éligibles se négocieraient à coup de dizaines de millions, l’essentiel étant de bénéficier du titre de député avec le sésame que représente pour tout teyvaye, le passeport diplomatique. En tout cas, le pouvoir n’a pas intérêt à se faire manipuler par les sirènes de la fraude car, il peut disposer d’une majorité confortable sans recourir aux prestataires de service en magouille électorale. Bien sûr, il doit être regardant sur la moralité et la compétence des candidats qu’il investira. L’opposition connaitra un recul sans précédent pour sa composante dite démocratique au profit de celle dite radicale, ce qui risque de rendre le débat très mouvementé voire asseoir un climat de confrontation. Ne voulant nullement jouer le rôle de prophète de malheur, je souhaite vivement me tromper et être agréablement surpris par la tournure des événements à venir.
-Le début du mois béni du Ramadan est annoncé vers la fin de la semaine prochaine. Et depuis quelques jours, on assiste à la hausse de certains produits vitaux. Qu’est-ce qui justifie la hausse récurrente des prix en Mauritanie ? Est-ce l’inflation internationale ou le laxisme dans nos marchés ? Que pourrait faire le gouvernement pour endiguer ces hausses, à la veille de mois béni?
-En effet, Ramadan s’annonce et les prix connaissent déjà une envolée sans précédent que ni le Covid, ni la guerre en Ukraine ne sauraient justifier. Le gouvernement ne doit pas se cacher derrière la politique du libéralisme économique pour laisser les populations se faire écraser par la cherté de la vie sans procéder à des ajustements qui peuvent servir d’amortisseurs et ramener les prix des denrées de première nécessité à des niveaux accessibles. En ce qui concerne particulièrement les couches les plus vulnérables, les boutiques Emel doivent de nouveau être bien fournies. Le programme Taazour fait beaucoup de communication sans vraiment convaincre, nous ne sommes pas dupes, Messieurs...
Le prix du baril de pétrole de la mer du nord (Brent) était de 100$ avant la crise ukrainienne et le gas-oil se vendait à la pompe à 384 anciennes ouguiyas, aujourd’hui le même baril oscille autour de 70$ et le gaz-oil se vend à 500 ouguiya le litre. N’est-il pas temps de le ramener à un prix raisonnable? Une fois le prix du gas-oil ramené à sa juste valeur, les boulangers, les transporteurs, les agriculteurs, les pêcheurs et autres producteurs arrêteront de se lamenter et pourront même revoir leurs prix à la baisse. Autrement dit, le gouvernement, en voulant engranger des bénéfices supplémentaires sur le gas-oil risque de provoquer un effondrement économique et social sans précédent. Une politique libérale débridée voudrait que le prix à la pompe soit indexé sur le marché international. La politique de deux poids deux mesures n’est pas très orthodoxe en la matière. Soit, on régule les prix en fonction du marché, soit on laisse la loi de l’offre et la demande déterminer les prix. La première solution est la meilleure pour des pays à populations fragiles comme nous. Il faut réguler mais ne pas trop tirer sur la corde de crainte qu’elle ne casse. Je ne vous apprends rien, car tout le monde connaît ce que je viens de dire. Parfois aussi, il devient nécessaire de subventionner les prix de certains produits vitaux en cas de hausse subite sur les marchés à l’import. Bien sûr, ça doit se faire en concertation avec les importateurs et distributeurs qui, eux, ont des obligations morales en plus du devoir de respect de la loi. Une présence permanente doublée d’une vigilance et un pouvoir d’anticiper les fluctuations des prix sur les marchés nationaux et internationaux, tel devrait être le rôle des pouvoirs publics dans un pays jaloux du bien-être de ses citoyens. Il faut surtout éviter de courir après les événements, une équipe dynamique et compétente doit savoir les prévenir.
-Toujours par rapport au mois du Ramadan et la hausse des prix, quels efforts le Patronat devrait jouer pour soulager les populations démunies ? Depuis 2 ans, il ouvre plusieurs boutiques avec des prix réduits, est-ce suffisant ?
-Je ne peux répondre à la place du patronat, mais je sais que son rôle est très important dans la vie économique du pays. Il doit coordonner l’action des différentes fédérations affiliées en vue de maintenir un équilibre avec, d’une part les travailleurs et les pouvoirs publics d’autre part. Ceci grâce à un dialogue permanent entre ces parties afin de préserver les intérêts de tous. Ouvrir quelques boutiques pendant le mois de Ramadan est louable mais non essentiel car cela reste toujours limité. Les commerçants doivent avec l’aide et sous la supervision de l’Etat tout faire pour soulager les populations en maintenant des prix raisonnables pendant ce mois béni. Le reste de l’année, toujours sous la supervision des autorités, les marges bénéficiaires légales sont un droit inaliénable, mais la spéculation doit être bannie et considérée comme un crime économique. Durant mon mandat de député (2014/2018), j’ai toujours défendu le patronat. J’étais l’un des rares à le faire, car à l’époque il était mal vu et subissait les fourches caudines du pouvoir. Simplement parce que je pensais et pense toujours qu’un patronat non inféodé au pouvoir politique, tout en respectant le partenariat avec l’Etat, conviendrait bien à notre pays.
Je suis désolé de dire qu’aujourd’hui, je suis écœuré de voir cette institution jouer le rôle d’auxiliaire de l’Etat et sortir en première ligne pour parler, en lieu et place du gouvernement. Je suis aussi outré par le fait que toute une foule d’hommes d’affaires viennent voir le président de la République et s’engagent solennellement devant lui, dossiers en main, à investir des sommes faramineuses (des centaines de milliards) dans des usines de froid, des tanks de pétrole, des milliers d’hectares de culture, des usines de lait, etc. (Il ne restait que le paradis). A ce jour, après une année, aucun projet minime soit-il parmi ces centaines d’éléphants blancs n’a vu le jour! Trêve de mensonges! Nous devons cesser de nous mentir si nous voulons continuer à croire en notre nation, car je considère que ceux qui racontent des histoires pour plaire à un quelconque responsable ne font qu’abuser de sa confiance. Ils le tromperont inévitablement un jour et le vilipenderont une fois sorti de ses fonctions. Ceux qui raflent tous les marchés publics par tous les moyens doivent savoir qu’ils sont entrain de tuer toute concurrence et écraser les PMI et PME qui constituent la classe moyenne en Mauritanie. Nous devons aussi méditer le sort de notre jeunesse qui va, chaque jour par vagues essayer de sauter le mur de la frontière mexicaine avec tous les risques possibles et le coût exorbitant que cela impose. Cette jeunesse-là, à fleur de l’âge, a perdu toute confiance en nous, c’est tout simplement dramatique.
-La Mauritanie deviendra, sous peu, un producteur de pétrole et surtout de gaz avec le Sénégal. Qu’est-ce qui, à votre avis, justifie cette volonté du gouvernement mauritanien à s’investir dans ce qu’on appelle l’hydrogène vert ?
Alhamdoulillah, la Mauritanie sera bientôt producteur de gaz grâce au gisement GTA commun avec le Sénégal. Elle pourra même être l’un des plus grands producteurs africains de gaz grâce au gisement Birallah spécifique à notre pays dont la découverte est plus récente et qui recèle d’énormes réserves. Toutefois, nous accusons un retard sur deux plans:
- Concernant GTA, nous n’avons pas encore entamé le processus de mise en place du pipe qui doit nous alimenter en gaz pour nos besoins domestiques (centrale électrique, gaz butane...). Alors que le Sénégal a déjà lancé l’appel d’offres pour son pipe-line et sa centrale électrique à gaz (St Louis) et sera certainement au rendez-vous. Ce volet n’étant pas du ressort de la société BP, son exécution donc dépend de la volonté des deux pays chacun en ce qui le concerne. Notre priorité doit se trouver là, car vu le prix symbolique du gaz et l’économie de devises, les retombées économiques ne sont pas à démontrer. Un autre volet de GTA nous a échappé malheureusement, celui du local-content ou contenu local, un principe d’obligation de donner du travail dans une proportion acceptable aux entreprises locales. Cette loi n’a jamais vu le jour en Mauritanie malgré son utilité, tandis qu’au Sénégal, cette loi contraignante a été votée et ils en ont profité largement. Il faut dire que le Sénégal en matière de formation professionnelle et de main d’œuvre qualifiée est à des années-lumière de nous.
- Concernant Birallah, BP traine les pieds pour décider d’investir et si l’on considère qu’entre la décision d’investissement et la première production, il y a un intervalle de 10 ans, ceci nous rabaisse très loin en deçà de nos espoirs. Il y a lieu de faire pression sur cette multinationale afin d’accélérer le processus ou chercher un opérateur plus prompt à investir rapidement. Nous savons maintenant que le gaz, dans le monde, après la crise ukrainienne constitue une denrée stratégique très recherchée, surtout en Europe.
Pour ce qui est de l’hydrogène vert dont on commence de parler depuis peu, je pense que ce combustible du futur est au stade de recherche encore, ce qui ne doit pas nous emballer. Son coût de production est très élevé car, il s’agit d’un processus en plusieurs étapes :
- dessalement d’eau de mer acheminée en grande quantité par des pipe-lines
- Production d’électricité à partir de panneaux solaires pour les besoins du dessalement et de l’électrolyse
- Électrolyse de l’eau dessalée pour production d’hydrogène (séparation des molécules d’hydrogène et d’oxygène)
- Stockage
- Construction de pipelines pour l’exportation vers les marchés européens.
Que des multinationales dont les activités principales ne sont pas toujours « vertes » nous visitent et nous proposent des M.O.U., c’est dans l’air du temps, mais ne nous mettons pas à rêver de produire des millions de tonnes d’hydrogène. Ce gaz coûte encore en cas de production beaucoup plus cher que les énergies fossiles et, tant qu’il y aura du pétrole ou du gaz sur terre, l’hydrogène ne sera jamais rentable. Sinon, comment les USA qui sont la première puissance industrielle du monde, disposant de deux océans, leader mondial du dessalement d’eau de mer et de production d’énergies renouvelables, solaire notamment, n’a pas encore inondé le monde d’hydrogène? L’hydrogène de mon Inchiri natal (lieu pressenti pour abriter les éventuelles installations de production) n’est donc pas pour demain malheureusement et les M O U, c’est comme les promesses, ils n’engagent que ceux qui y croient. Je pense donc que nous gagnerons le temps en nous consacrant entièrement à des choses plus concrètes et plus à notre portée.
Propos recueillis par Dalay Lam
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