Le Conseil Constitutionnel vient de donner son quitus à l’exercice de la Haute Cour de Justice (HCJ) réclamée par la Commission d’enquête parlementaire (CEP) mise en place par l’Assemblée nationale en Février dernier dans le cadre de la lutte contre la corruption. Dans la foulée, les travaux de cette CEP l’ont amené à auditionner des dizaines, voire des centaines de responsables ayant exercé sous le magistère de l’ex-président de la République, Mohamed ould Abdel Aziz. Plus de trois cents personnes se retrouvaient ainsi épinglées, avec à leur tête, le tombeur de Sidi oud Cheikh Abdallahi.
Les limiers de la police des délits économiques et financiers entraient alors en jeu et entendaient à leur tour de nombreux responsables. L’ex-Président se voyait même placé en garde à vue plus d’une semaine et ses confrontations avec divers de ses ministres suscitaient un vif intérêt de l’opinion mauritanienne éreintée par la corruption et l’incurie de l’Administration. Le ras-le-bol est général : l’impunité de ceux qui pillent les biens publics doit cesser et ceux qui s’y sont adonnés répondre devant les tribunaux.
Mais Ould Abdel Aziz a refusé de répondre aux questions des enquêteurs, arguant de ce que la justice ordinaire (le Parquet en l’occurrence) n’est pas habilitée à l’entendre en tant qu’ex-président de la République, prérogative, dit-il, de la seule HCJ. D’où la décision de l’Assemblée nationale de proposer la remise en place de cette institution, conformément à l’article 93 de la Constitution. Maintenant que le Conseil Constitutionnel a donné son quitus, le boulevard est ouvert à sa formation. La HCJ aura la lourde mission de statuer sur le sort du président Ould Abdel Aziz et de ses ministres, s’ils sont reconnus coupables de haute trahison. Rappelons ici qu’en son premier établissement, cette structure fondée sous Ould Abdel Aziz avait eu à statuer sur la gestion de la Fondation Khattou Mint Boukhari et le sort de sa présidente, épouse du précédent président de la République (2007-2008). Ironie de l’histoire, c’est aujourd’hui Ould Abdel Aziz qui pourrait passer à la trappe.
Sérieux trouble
Après le quitus du Conseil Constitutionnel (CC), les yeux sont désormais braqués sur la présidence de la République pour la promulgation de la loi établissant la HCJ. Il reviendra dès lors à l’Assemblée nationale de constituer cette institution pour juger d’éventuels prévenus. La décision du CC intervient au moment où nombre de mauritaniens s’interrogent sur le processus de mise en place de ladite HCJ et commencent à douter de la sincérité du gouvernement à le mener jusqu’à son terme, certains le suspectant de vouloir enterrer ce dossier très sensible qui a contribué à donner une bonne image au nouveau président de la République. Divers actes posés par le gouvernement ont en effet jeté un sérieux trouble au sein de l’opinion, ce qui a poussé le ministre de l’Intérieur à jouer au pompier. Interpelé par des députés, lors de sa présentation de la loi portant réforme du corps des magistrats, le ministre de la Justice garde des sceaux, Mohamed Mahmoud ould Boya, a déclaré pour sa part que « l’enquête sur le dossier de corruption » transmise à la justice par le Parlement « est menée avec le sérieux requis et ne peut être stoppée ». Une sortie qui vient répondre aux accusations du président de Tawassoul laissant entendre, dans une déclaration devant les élus et cadres de son parti, que le gouvernement tergiverse sur ce dossier et chercherait à l’enterrer, et de la député du RFD, Nana mint Cheikhna. « Mauvais signal à l’endroit de l’opinion mauritanienne », a écrit en substance celle-ci sur sa page Facebook, « que de rappeler au gouvernement un ministre ou de garder des responsables aux affaires, sans attendre qu’ils soient jugés et blanchis, alors qu’ils sont nommément cités dans le rapport de la CEP ».
La fondation de la CEP, le rapport qu’elle a produit, l’ampleur du désastre qu’elle a révélé et l’indépendance dont fit alors montre l’Exécutif a suscité, c’est évident, un immense espoir chez les Mauritaniens : l’impunité instaurée en règle allait désormais disparaître de nos cieux. Las ! Le scandale des faux dollars à la BCM et les vols en diverses institutions de l’État sont venus rappeler que les lignes ne sont pas prêtes de bouger. Ceux qui doutaient de la capacité du président Ghazwani à opérer une véritable rupture avec les pratiques de son prédécesseur et ami de quarante ans seraient-ils en train d’avoir raison ? Mais gare ! Plus les défis et attentes sont énormes, plus les désillusions seraient amères…
DL
Encadré
TITRE VIII de la Constitution
DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE
Article 92 : Il est institué une Haute Cour de Justice.
Elle est composée de membres élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée nationale et le Sénat, après chaque renouvellement général ou partiel de ces Assemblées.
Elle élit son président parmi ses membres.
Une loi organique fixe la composition de la Haute Cour de Justice, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure applicable devant elle.
Article 93 : Le président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison.
Il ne peut être mis en accusation que par les deux Assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice.
Le Premier ministre et les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. La procédure définie ci-dessus leur est applicable ainsi qu’à leurs complices dans le cas de complot contre la sûreté de l’État. Dans le cas prévu au présent alinéa, la Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent des lois pénales en vigueur
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