De nombreux quartiers de la ville de Nouakchott ont connu ces deux derniers jours des événements inhabituels et particulièrement graves qui se sont soldés par d’importants dégâts et meurtrissures tant au niveau matériel qu’au niveau moral.
Tout a commencé quand les propriétaires de taxi ont réalisé que les nouveaux décrets d’application de la loi organisant la circulation automobile allaient les priver de l’essentiel de leur source de revenu, tellement les amendes que ces décrets prévoient étaient lourdes et irréalistes. Ils ont alors, parait-il, décidé de manifester leur colère à l’occasion du 1er mai, date d’entrée en vigueur des dits décrets d’application.
Le premier jour (lundi), les actes enregistrés étaient restés dans la limite des manifestations classiques dans ce genre d’occurrence ; les grévistes ont tenté d’empêcher les taxis des non-grévistes de prendre des passagers et d’affaiblir l’impact de leur action. Les usagers en furent les premières victimes mais les autorités n’ont pas perçu la profondeur du malaise général et toutes les possibilités d’exploitations et de dérapages que couve le calme apparent de la rue mauritanienne. En effet, la situation a vite évolué et le seuil de l’insurrection a failli être dépassé si ce ne fut l’intervention in extrémis mais ferme des forces de l’ordre et les déclarations apaisantes du Ministre du Transport et de l’Equipement expliquant aux propriétaires de taxi la portée réelle des nouveaux décrets. C’est ainsi que les choses ont fini par rentrer dans l’ordre depuis le deuxième jour (mardi 02 mai) et ce jusqu’à aujourd’hui.
Nous, à la Fondation Sahel pour la Défense des Droits de l’Homme, l’Appui à l’Education et à la Paix Sociale, tout en dénonçant avec véhémence les actes de violence perpétrés hier, considérons que cette situation, sans précédent en Mauritanie, est le fruit de causes profondes liées aux pratiques ségrégationnistes, à la marginalisation et à la banalisation d’un certain discours de haine imperméable à toute raison et porteur de tous les dangers.
Nous nous étonnons du silence et de l’indifférence des familles, des acteurs de la société civile et des politiques devant cette situation. Nous sommes étonnés de ne pas les voir descendre dans la rue et ailler à la rencontre de leurs jeunes enfants égarés pour leur prodiguer conseils et tenter de leur faire entendre raison, surtout que la majorité des casseurs furent des mineurs sans liens directs avec les causes du conflit en cours.
Nous dénonçons avec vigueur la brutalité avec laquelle la police a traité certains manifestants, brutalité sans commune proportion avec les faits constatés. Il aurait mieux fallu intervenir à temps plutôt que de laisser s’envenimer la situation puis opérer des rafles généralisée et aveugles qui jettent dans les prisons nombre de personnes auxquelles seront adressées des accusations souvent sans fondement et qui vont se retrouver embarquées dans une procédure à laquelle, pour la plupart, elles sont étrangères, comme ce fut le cas dans le passé.
Nous lançons un appel à l’opinion publique nationale, aux intellectuels et aux faiseurs d’opinion pour qu’ils tirent les leçons qui s’imposent de ce qui est arrivé hier. La spontanéité de ces événements n’a d’égale que sa dangerosité. Il convient de ne pas perdre de vue les causes indirectes de ces événements qui ne pourront être trouvées que dans la situation d’injustice, le déni de citoyenneté, la médiocrité de l’éducation et la détérioration du service public que vivent les Mauritaniens en général et les jeunes en particulier. La situation, en dépit du calme qui semble être revenu, reste explosive et peut dégénérer à tout moment.
Nous demandons la libération immédiate de l’ensemble des détenus et recommandons aux autorités de s’engager résolument dans la voie du traitement des causes profondes du malaise au lieu de l’administration de quelconques palliatifs. Pour traiter cette question de propriétaires de taxi, nous recommandons de réfléchir à la création d’un fond spécial destiné à soutenir les petits transporteurs et qui pourrait leur permettre d’acquérir, à des coûts raisonnables, un véhicule leur garantissant de gagner leur vie dans la dignité et à l’Etat d’assurer des rentrées d’argent régulières et équitables.