Chami a poussé comme un champignon dans le désert mauritanien. Depuis 2013, la bourgade, située à 240 km au nord de Nouakchott, aimante tout ce que le pays compte d’aventuriers et de prospecteurs. Gonflée par la ruée vers l’or, la population y a plus que quadruplé en huit ans, atteignant les 13 000 habitants. Un boom démographique qui est allé de pair avec une explosion de la prostitution et des maladies sexuellement transmissibles.
Le sujet est tabou dans la nouvelle cité aurifère, comme ailleurs dans le pays, mais les données disponibles inquiètent : d’après un rapport commandé par le Secrétariat exécutif national de lutte contre le sida, la Mauritanie a enregistré une hausse de 22 % de nouvelles infections au VIH entre 2019 et 2020 chez les populations les plus vulnérables (travailleurs du sexe, communauté homosexuelle et population carcérale). La prévalence du virus chez les professionnels du sexe est estimée à 9 %.
A Chami, les structures manquent pour sensibiliser, dépister, soigner. La ville ne compte qu’un seul centre de santé. Alors Coalition Plus MENA, une plateforme internationale d’associations de lutte contre le sida cofondée par l’organisation Aides, mise sur la société civile. Elle s’appuie notamment sur SOS Pairs Educateurs, une association qui lutte depuis 1999 pour la prévention et l’accès aux soins des communautés les plus touchées par le VIH.
La plupart de ses membres ont été récemment formés aux autotests de dépistage, un procédé nouveau en Mauritanie mais très simple à déployer : une goutte de sang prélevée au bout du doigt est déposée sur une bandelette, le résultat s’affiche quinze minutes plus tard avec l’apparition d’une barre ou deux. Tout est anonymisé. Sous une tente installée au cœur de la ville fin septembre, 84 volontaires ont ainsi pu se faire dépister gratuitement en une journée.
Hawa*, elle, a été testée deux semaines plus tôt. SOS Pairs Educateurs, qui fait aussi du porte-à-porte en ville, l’a rencontrée dans le restaurant où elle travaille. Le soir venu, l’établissement abrite une maison de passe où la femme de 25 ans se prostitue. L’association lui fournit gratuitement des préservatifs.
Fin juin, la structure a implanté un kiosque permanent à Chami. On y organise des « causeries ». « La première question qu’on pose, c’est “Connaissez-vous le VIH ?” », rapporte Amadou Diop, le superviseur des activités de l’association à Chami : « Au début des séances, les gens nient l’existence du virus. Mais après plusieurs échanges, ils prennent conscience du problème. »
Pour se rapprocher des communautés les plus vulnérables, le personnel est recruté à Chami et certains professionnels du sexe servent eux-mêmes de relais après avoir été sensibilisés. « Parfois, les clients sont réticents à se protéger, mais je refuse ces rapports sexuels », confie Ibrahima*, un jeune prostitué installé dans la cité aurifère depuis deux ans : « La santé n’a pas de prix. »
Prévention, traitement et stigmatisation
Dans un site de broyage en périphérie du centre-ville, Omar, un minier de 19 ans, reconnaît qu’il n’a jamais de préservatifs quand il se rend chez des prostituées. « Ce sont les femmes qui en apportent, elles en ont toujours », témoigne le jeune homme, entouré de collègues. Avec son salaire mensuel de près de 7 000 ouguiyas (164 euros), il se réserve une à deux sorties hebdomadaires en ville. « Certains y vont tous les jours et j’aimerais aussi y aller plus souvent », raconte le garçon, qui dit débourser « 400 ouguiyas pour les plus jeunes femmes et 300 pour les autres ».
Lire aussi VIH : arrêt d’un essai de vaccin à l’efficacité relative en Afrique subsaharienne
Au-delà de la prévention, les services communautaires se déploient pour l’accès aux soins. Pour leur traitement, les personnes vivant avec le VIH doivent se rendre dans l’unité de prise en charge de Nouadhibou, à 240 km au nord. Face à la stigmatisation dont ils sont parfois victimes dans les structures hospitalières, les malades peuvent compter sur les relais pour récupérer les médicaments. Pour mesurer la charge virale ou évaluer le traitement antirétroviral, ils doivent par contre aller au centre de traitement ambulatoire de Nouakchott. Mais l’association assure leur envoyer des rappels avant chaque rendez-vous.
Si aujourd’hui les associations locales sont incontournables dans la lutte contre le VIH en Mauritanie, leur place auprès des services de l’Etat reste à définir. « On voudrait qu’il y ait un représentant des associations dans chaque structure sanitaire, afin de conseiller les malades et leur donner une éducation thérapeutique qui est quasi inexistante aujourd’hui dans les centres de santé », réclame Abderrahmane Bezeid, chargé des programmes à SOS Pairs Educateurs.
*Les prénoms ont été changés.
Salma Niasse Ba(Chami, Mauritanie, envoyée spéciale)
lemonde
Le sujet est tabou dans la nouvelle cité aurifère, comme ailleurs dans le pays, mais les données disponibles inquiètent : d’après un rapport commandé par le Secrétariat exécutif national de lutte contre le sida, la Mauritanie a enregistré une hausse de 22 % de nouvelles infections au VIH entre 2019 et 2020 chez les populations les plus vulnérables (travailleurs du sexe, communauté homosexuelle et population carcérale). La prévalence du virus chez les professionnels du sexe est estimée à 9 %.
A Chami, les structures manquent pour sensibiliser, dépister, soigner. La ville ne compte qu’un seul centre de santé. Alors Coalition Plus MENA, une plateforme internationale d’associations de lutte contre le sida cofondée par l’organisation Aides, mise sur la société civile. Elle s’appuie notamment sur SOS Pairs Educateurs, une association qui lutte depuis 1999 pour la prévention et l’accès aux soins des communautés les plus touchées par le VIH.
La plupart de ses membres ont été récemment formés aux autotests de dépistage, un procédé nouveau en Mauritanie mais très simple à déployer : une goutte de sang prélevée au bout du doigt est déposée sur une bandelette, le résultat s’affiche quinze minutes plus tard avec l’apparition d’une barre ou deux. Tout est anonymisé. Sous une tente installée au cœur de la ville fin septembre, 84 volontaires ont ainsi pu se faire dépister gratuitement en une journée.
Hawa*, elle, a été testée deux semaines plus tôt. SOS Pairs Educateurs, qui fait aussi du porte-à-porte en ville, l’a rencontrée dans le restaurant où elle travaille. Le soir venu, l’établissement abrite une maison de passe où la femme de 25 ans se prostitue. L’association lui fournit gratuitement des préservatifs.
Fin juin, la structure a implanté un kiosque permanent à Chami. On y organise des « causeries ». « La première question qu’on pose, c’est “Connaissez-vous le VIH ?” », rapporte Amadou Diop, le superviseur des activités de l’association à Chami : « Au début des séances, les gens nient l’existence du virus. Mais après plusieurs échanges, ils prennent conscience du problème. »
Pour se rapprocher des communautés les plus vulnérables, le personnel est recruté à Chami et certains professionnels du sexe servent eux-mêmes de relais après avoir été sensibilisés. « Parfois, les clients sont réticents à se protéger, mais je refuse ces rapports sexuels », confie Ibrahima*, un jeune prostitué installé dans la cité aurifère depuis deux ans : « La santé n’a pas de prix. »
Prévention, traitement et stigmatisation
Dans un site de broyage en périphérie du centre-ville, Omar, un minier de 19 ans, reconnaît qu’il n’a jamais de préservatifs quand il se rend chez des prostituées. « Ce sont les femmes qui en apportent, elles en ont toujours », témoigne le jeune homme, entouré de collègues. Avec son salaire mensuel de près de 7 000 ouguiyas (164 euros), il se réserve une à deux sorties hebdomadaires en ville. « Certains y vont tous les jours et j’aimerais aussi y aller plus souvent », raconte le garçon, qui dit débourser « 400 ouguiyas pour les plus jeunes femmes et 300 pour les autres ».
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Au-delà de la prévention, les services communautaires se déploient pour l’accès aux soins. Pour leur traitement, les personnes vivant avec le VIH doivent se rendre dans l’unité de prise en charge de Nouadhibou, à 240 km au nord. Face à la stigmatisation dont ils sont parfois victimes dans les structures hospitalières, les malades peuvent compter sur les relais pour récupérer les médicaments. Pour mesurer la charge virale ou évaluer le traitement antirétroviral, ils doivent par contre aller au centre de traitement ambulatoire de Nouakchott. Mais l’association assure leur envoyer des rappels avant chaque rendez-vous.
Si aujourd’hui les associations locales sont incontournables dans la lutte contre le VIH en Mauritanie, leur place auprès des services de l’Etat reste à définir. « On voudrait qu’il y ait un représentant des associations dans chaque structure sanitaire, afin de conseiller les malades et leur donner une éducation thérapeutique qui est quasi inexistante aujourd’hui dans les centres de santé », réclame Abderrahmane Bezeid, chargé des programmes à SOS Pairs Educateurs.
*Les prénoms ont été changés.
Salma Niasse Ba(Chami, Mauritanie, envoyée spéciale)
lemonde