Le président Mohamed Ould Cheikh ELGhazwani bénéficie d’une bonne période de grâce. Cinq mois après son élection, aucune véritable contestation politique n’est venue déranger son sommeil, excepté la veille de la Fête de l’Indépendance, gâchée par celui qu’on ne pouvait imaginer : Ould Abdel Aziz, son ami et prédécesseur. Moins de trois mois après son départ du Palais, l’ex-Président revenait brusquement de sa villégiature en Europe, sans prévenir les autorités, pour « sauver la démocratie mauritanienne », dira-t-il plus tard, « menacée par les tentatives de son successeur de mettre sous sa coupe l’Union Pour la République (UPR) », principal parti de l’ex-majorité présidentielle, déchirée entre ceux qui se réclament toujours de l’ex-président de la République et ceux qui estiment ne devoir servir que celui en cours.
La réunion entre Ould Abdel Aziz et le directoire provisoire de l’UPR jette le trouble dans l’esprit des Mauritaniens : Ould Ghazwani tenait-il un simple rôle de Medvedev, comme le pensaient certains, ou non ? Celui que beaucoup trouvaient trop mou décide alors de prouver à ses compatriotes qu’il n’est pas seulement un soldat loyal, mais un général et un véritable chef. C’est à la date qu’il a lui-même fixée que se déroule le congrès de l’UPR et cet acte d’autorité sonne le glas du pouvoir d’Ould Abdel Aziz sur la majorité présidentielle. L’épreuve marque comme une rupture – définitive ? – entre les deux amis de quarante ans. Le combat des chefs est suivi avec un vif intérêt par des mauritaniens pressés de tourner la page d’une décennie de « changement constructif », transformée en une vaste entreprise de gabegie, avant de s’achever en « cauchemar » pour certains.
Bataille gagnée… à quel prix ?
Ghazwani a certes remporté la bataille sur son frère d’armes mais ne doit surtout pas s’arrêter là. Il lui faut mettre en œuvre ses engagements électoraux, en démontrant à tous que rien ne sera plus comme avant dans la gestion des affaires du pays. Les Mauritaniens ont hâte de changement : dans leur quotidien, dans leur administration, dans leur rapport à la chose publique, dans le fonctionnement de leurs institutions ; mais ont encore, à ce jour, hélas cette impression que rien n’a véritablement changé. Que du cosmétique ! En effet, même à considérer les pesanteurs de tout début de mandat, le lourd héritage du précédent, les lobbies et les nouveaux chasseurs de primes, on ne comprend pas pourquoi président Ghazwani ne se hâte-t-il pas à se débarrasser de certains fossiles et momies qui firent le mauvais – surtout – et le beau temps de l’ère azizienne. Cinq mois après son arrivée au pouvoir, pourquoi garder, au Palais et à la Primature, tant de ces conseillers et chargés de mission ? Dans les départements ministériels et en dépit des éclatements ou fusions, les secrétaires généraux sont restés quasiment tous en place.
D’anciens cadres et patrons d’institutions de la République se sont vu recyclés par le nouveau Président, à commencer par l’actuel PM, au détriment de nouveaux jeunes loups et autres personnalités qui attendent leur heure. Certes les choses bougent, à la Grande Muette – notamment au Groupement de la Sécurité Présidentielle (GSP), même si certains chefs de corps gardent leur poste. En France et ailleurs, quand un nouveau président est élu, fruit d’une alternance ou non, beaucoup de hauts fonctionnaires font leur cartons. Ici par contre, on a comme l’impression que les choses ne doivent évoluer que dans la stabilité. C’est peut-être pourquoi le Conseil national de l’UPR et son bureau exécutif servent de fourre-tout, ne donnant prépondérance qu’aux zombies, nombreux. La « nouvelle » composition de ces deux instances dirigeantes déçoit beaucoup de cadres et personnalités indépendantes qui soutinrent la candidature de Ghazwani.
Le calme avant la tempête ?
Par ailleurs, si le Président a réussi à décrisper la tension entre lui et ce qui reste de l’opposition, il reste réticent quant à l’organisation d’un débat avec celle-ci sur diverses questions majeures comme la démocratie (élections, CENI, place de l’armée et de l’administration…), le renforcement de l’unité nationale (passif humanitaire et esclavage…) ; plus généralement, la question de la cohabitation ; suivant les doléances de certains partis politiques… Le refus du Palais de tenir un tel débat national est venu tempérer l’espoir de leaders qui refusent de se contenter de concertations informelles au Palais, sans lendemain. Le « Président-marabout » dont tous les acteurs politiques qui l’ont rencontré saluent la pondération et la capacité d’écoute doit se débarrasser de cette image qui colle déjà à son pouvoir. Celui-ci se cherche encore mais si certains virent, dans l’allure d’Ould Abdel Aziz, celle d’un phacochère, Ghazwani devrait éviter qu’on perçoive, en la sienne, celle d’une tortue.
Le front politique semble sous contrôle mais on constate, ailleurs, des signes d’impatience : quelques manifestations d’étudiants, d’abord, et d’enseignants, ensuite ; plaintes en sourdine de la ménagère dont le panier n’a pas connu d’amélioration, alors qu’on annonce une énième flambée des prix des produits vitaux… Lame de fond en perspective ? Son déferlement ne manquerait très certainement pas de profiter à Ould Abdel Aziz et aux mécontents de l’UPR… En tout cas, la fin de la période de grâce semble bel et bien imminente et le Président, remarquent déjà plusieurs observateurs, devra y manœuvrer finement. Or en cette espèce de malaise grandissant, le Palais reste, faute de porte-parole, muet et le gouvernement terne, malgré les commentaires élogieux que ses membres servent aux Mauritaniens chaque jeudi après-midi. Ont-ils conscience du feu qui couve ? De grâce, Président, montrez-vous !
Dalay Lam