Tout d’abord quelques mots sur Invest In Africa – Mauritanie, quelles sont ses missions et quels moyens d’action dispose-t-il ?
Invest in Africa en Mauritanie est une organisation à but non lucratif qui aspire à faire émerger des champions locaux actifs aussi bien dans les industries extractives, que dans d’autres secteurs d’activités. Notre ambition est de contribuer à créer des emplois et à faire prospérer l’économie locale. Aux Petites et Moyennes Entreprises (PME), nous offrons de manière inclusive, équitable et transparente un meilleur accès aux Compétences, renforcer et muscler la compétitivité des hommes et des entreprises, aux Marchés, expliciter et diffuser les opportunités à venir, disséminer une information fiable et de qualité, aux Financements, stimuler et fluidifier des solutions de financements adaptées, aux meilleurs coûts/conditions. Nous sommes une initiative coordonnée, mutualisée entre des parties prenantes qui ont toutes en commun de vouloir être une force pour le bien. Nous saluons la contribution financière de BP, Comeca (filiale de la SNIM), Efficient Sea (groupe Opérations Portuaires de Mauritanie), ou encore BMCI (banque leader en Mauritanie) qui nous permettent de poursuivre nos activités, en toute indépendance. Nous sommes donc un tiers de confiance collaborant à l’intérêt général. En quelques chiffres clés, nous avons facilité plusieurs centaines de milliers de dollars de financements, formés sur une quinzaine de thèmes essentiels plus de 2.000 opérateurs privés se connectant d’une dizaine de villes de Mauritanie et de plus d’une quarantaine de pays dans le monde. Plus de 100 entreprises sont enregistrées sur notre site internet, véritable carrefour des savoirs sur l’industrie extractive, accessible en arabe, français et anglais.
Quelle appréciation générale portez-vous sur la compétitivité de l’économie mauritanienne ?
En progrès, mais avec un réel potentiel pour faire largement mieux. Nous nous devons de transformer les riches promesses économiques, en réalité tangible de développement durable pour les entreprises, les populations vulnérables et les générations futures. L’économie mauritanienne bénéficie de nombreux atouts, et d’un environnement géopolitique porteur pour significativement accroître sa compétitivité-structurelle et profiter de sa compétitivité-coût.
Pensez-vous qu’il existe des secteurs susceptibles de tirer la croissance économique mauritanienne, en dehors du secteur de la pêche et plus récemment du Oil and Gas ?
Oui, il en existe. Toutefois, pour des résultats probants, rapides, il est certainement plus efficace de se concentrer sur ses points forts, capitaliser sur ses avantages comparatifs. Selon l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), le secteur minier contribue pour 59 % aux exportations, 9,6 % au PIB et 10,4 % aux revenus du gouvernement mauritanien. On voit donc aisément, avec l’arrivée du gaz dans moins d’un an, qu’en diversifiant ses chaines d’approvisionnements, en ventilant les opportunités économiques en amont, en latéral et en aval, les répercussions n’en seront que plus massives sur le développement du pays. En terme imagé, je parlerais d’une stratégie de « toile d’araignée », où de multiples ramifications convergentes sont reliées à un centre. Le centre étant l’émergence économique. Les nombreuses ramifications font référence aux courroies de transformation et de valorisation locale. L’exploitation des richesses minérales, gazières, pétrolières du sous-sol est par nature finie, limitée. Le pays gagnerait à transformer cette activité de manière durable par le développement d’expertises transversales et une plus grande diversification. C’est-à-dire l’industrialisation et les manufactures, la modernisation de l’agriculture et de ses machines, l’accessibilité à une énergie bon marché et décarbonée, des infrastructures décongestionnées et connectées à la sous-région, ou encore en matière de connaissances, renforcement des compétences en Sciences Techniques Ingénieries Mathématiques (STIM), la Recherche & Développement (R&D). Le but serait d’aboutir à des noyaux d’industrialisation de plus en plus déconnectés des ressources extractives, de plus en plus intensifs en main d’œuvre locale et concentrés en services, fabrications, constructions… En un mot, plus de valeur ajoutée localement, et moins d’extraction-revente brute. Une comparaison saisissante pour expliquer pourquoi ce sujet est capital, 55Mds USD contre 7.000Mds USD selon la Commission Économique pour l’Afrique (CEA). La valeur de marché de l’extraction minière et des métaux plafonne à 55Mds USD. A l’autre bout de la chaine de valeur, le marché des véhicules électriques atteint 7.000Mds USD !!! Autrement dit, là où un pays A extrait de manière brute des mines et minéraux en gagnant 1$, le pays B qui se trouve en bout de chaine gagne lui près de 130$. Ce que j’évoque à grands traits, c’est la vision minière africaine, une stratégie d’industrialisation et de développement basée sur nos importantes dotations en nature. En Mauritanie, le Gouvernement promeut une vision ambitieuse autour de l’hydrogène vert, « véritable game changer » pour catalyser une croissance endogène transversale dans les années à venir, pour le pays et la sous-région. Je crois que c’est effectivement une voie pleine de promesses.
Le monde traverse actuellement une crise inflationniste due en partie au conflit russo-ukrainien. Ne pensez-vous pas que cela pourrait, quelque peu, freiner la relance économique en Mauritanie ?
Au contraire, je pense que cette crise est une opportunité pour la Mauritanie de mieux valoriser ses ressources extractives, stimuler son autonomie alimentaire par des produits de substitution issus du terroir, renforcer son intégration régionale et décomplexifier ses partenariats industriels. En chinois, crise associe les idéogrammes « menace » et « opportunité ». Je suis donc plutôt optimiste pour que le pays relève ce défi en faisant preuve de résilience et de créativité.
Quels avantages la Mauritanie pourrait-elle tirer de la zone de libre échange commercial africaine (Zlecaf) ?
Avec l’avènement de la Zlecaf, je pense qu’une stratégie africaine de chaine de valeur peut avoir l’effet d’un big bang bénéfique pour un contenu local plus compétitif. Seul, chaque pays est trop petit. A l’inverse, regroupés au niveau continental, les pays africains sont infiniment mieux armés, mieux outillés pour bénéficier à plein des économies d’échelles sur un marché conséquent appelé à exploser. Un continent jeune avide de développement. Une population nombreuse, de mieux en mieux formée, urbaine et consommatrice. Tout ceci fait saliver les plus grandes compagnies. De surcroit, contrairement à une idée tenace, le continent est un marché rentable. Les chiffres et analyses de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) le prouvent nettement. A mon avis, cette conjonction de facteurs favorables est une véritable aubaine. Les entreprises africaines peuvent donc fabriquer à une échelle conséquente presque tous les produits nécessaires aux industries extractives. Produits tels que les équipements à double usage, utiles à la construction ou encore à l’exploitation minière, gazière et pétrolière. Des marchés plus conséquents, ce sont des possibilités de financements élargis. En ce sens, les projets de monnaie régionale, ou le tarif extérieur commun, favorise cette vision intégrée. Le Président de la Banque Africaine de Développement (BAD) Dr Adesina le rappelle inlassablement. La Zlecaf, en nombre de pays participants, est la plus grande zone de libre-échange du monde. Les opportunités manufacturières s’élèvent à 1.000Mds USD en 2025, les dépenses de consommation atteindront quant à elles près de 7.000Mds USD d’ici à 2030, sans parler de la position incontournable du continent dans la révolution qui s’annonce, la transition énergétique. J’en suis sincèrement convaincu, la Mauritanie a de formidables atouts pour tirer parti de ces bouleversements majeurs.
Quels sont, selon vous, les grands défis que le secteur privé mauritanien devra relever pour jouer pleinement son rôle de moteur de la croissance ?
Selon J. Geipel, spécialiste reconnu de l’industrie et infatigable promoteur du Mécanisme de reporting sur l’approvisionnement local dans le secteur minier (LPRM), les achats effectués par une exploitation minière constituent l’impact économique le plus important dans un pays d’accueil, plus que les paiements d’impôts, salaires et investissements communautaires combinés. Le secteur privé mauritanien doit se donner les moyens de capter une plus grande part de ces montants substantiels.
Parce que les industries extractives sont de loin la principale richesse du pays, le secteur privé doit stratégiquement se positionner pour en tirer des bénéfices durables. Ceci passe par un sursaut d’ambition, un sursaut de labeur, un sursaut de qualification, un sursaut de compétitivité-structurelle, un sursaut de diversification, un sursaut de formalisme. Se réinventer grâce à une plus grande expertise dans la valorisation des produits manufacturés. Miser sur la transformation et la migration latérale pour répondre aux besoins d’autres secteurs industriels tout aussi demandeurs en compétences pointues (agribusiness, chimies-pétrochimies, renouvelables, infrastructures, transports, etc.). Par exemple, en consacrant 10% de leur masse salariale dans l’acquisition de compétences en matière de science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM), les entreprises peuvent permettre l’émergence de talents locaux. Améliorer l’expertise nationale, former une main d’œuvre abondante, offrir des débouchés attractifs, maitriser les nouveaux outils, comprendre les mécanismes à l’œuvre, nouer de véritables partenariats avec des transferts technologiques & financiers à la clé pour une véritable diversification, améliorer l’administration et l’organisation interne des entreprises pour être à même de saisir des opportunités, respecter les processus formels et déclaratifs de manière complète et exhaustive pour in fine prétendre à un financement bancaire abordable, créer des liens panafricains, viser l’hinterland (de nombreux pays sont très peuplés mais enclavés), viser l’excellence ne pas se contenter de peu, travailler mieux et beaucoup, beaucoup plus. Ce sont les germes d’une prometteuse croissance future, diversifiée car plus durable. Les entreprises doivent surmonter cette approche plutôt impavide, confortable et passive. « Business as usual » ne peut plus avoir cours de nos jours. Elles se doivent d’être plus proactives, inclusives et ouvertes pour répondre aux défis qui s’amoncellent. Y répondre, c’est assurément, saisir pleinement les opportunités qui pointent à l’horizon.
Estimez-vous que les perspectives de croissance de l’économie mauritanienne, pour les dix prochaines années, sont bonnes ?
Je dirais stable à positif pour paraphraser le jargon de célèbres agences. Toutefois, une boutade souvent partagée par les économistes indique, que les prévisionnistes se trompent toujours. C’est un exercice bien difficile et qui exige beaucoup d’humilité. C’est pourquoi, je mettrai plutôt l’accent sur la nécessité de se concentrer sur ce que nous pouvons faire. Faisons ce qu’il faut de manière irréprochable, du mieux que nous pouvons, et vous verrez, j’en suis certain, le futur s’avèrera fructueux. Un futur d’autant plus prometteur que la Mauritanie s’affirme par une ambition claire, portée par une vision intégrée et forte d’un gouvernement engagé pour stimuler des secteurs porteurs à fort impact.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – © Magazine BUSINESS AFRICA
http://africabusinessmag.com/wp/2023/06/14/leconomie-mauritanienne-benef...
lecalame