De la sidération à la résignation. Mis de facto en quarantaine, les habitants de Wuhan ont dû s'habituer à vivre en dehors du monde, sans transports, ni commerces, parfois même sans policiers.
Entre rues désertes, hôpitaux bondés et pharmacies prises d'assaut, récit de l'équipe de l'AFP qui a passé huit jours dans la ville à l'épicentre du nouveau coronavirus.
Jour 1: Le coup de massue
Dans la nuit du 22 au 23 janvier, la Chine décide de suspendre toutes les liaisons aériennes, routières et ferroviaires avec Wuhan pour tenter d'enrayer l'épidémie de coronavirus, apparue en décembre sur un marché de la ville.
Le virus a déjà fait 17 morts et contaminé plus de 500 personnes, en très grande majorité à Wuhan et sa région, alors que des millions de Chinois s'apprêtent à se retrouver en famille pour les congés du Nouvel an lunaire.
Assommés par la nouvelle, les habitants sont pris dans la nasse, qui se referme dès 10 heures du matin.
Alors que quelques jours plus tôt, la plupart des habitants ignoraient superbement la menace, les rares Wuhanais à se hasarder encore dans les rues portent un masque de protection désormais obligatoire.
Quelques heures plus tard, la gare s'apprête à fermer ses portes et les forces de l'ordre font sortir les derniers voyageurs.
L'aéroport de la ville, habituellement bruyant et animé, est totalement vide. Même les agents chargés quelques heures plus tôt de repérer les voyageurs fiévreux à leur arrivée ont déserté avant même l'arrivée des derniers avions.
La voie rapide qui mène au centre-ville est dépeuplée, tout comme les rues de la métropole de 11 millions d'habitants. La population se terre chez elle, par peur d'être contaminée.
Jour 2: Réveillon gâché
Ville déserte, magasins fermés et silence oppressant à quelques heures du réveillon du Nouvel An lunaire, qui tombe cette année le 25 janvier.
Scène étrange: une seule voiture est stationnée dans l'immense parking souterrain du "M Plus", un imposant complexe commercial dont toutes les boutiques ont abaissé le rideau de fer.
"Cette année, le Nouvel An est terrifiant. Les gens n'osent pas sortir à cause du virus", résume un chauffeur de taxi d'une quarantaine d'années, sous couvert de l'anonymat.
Même les policiers et les gardiens privés, pourtant incontournables en Chine, brillent par leur absence.
Au sud de l'agglomération, dans un grand ensemble de tours d'une vingtaine d'étages, Wang Yanhong, 53 ans, est ravie d'accueillir une équipe de journalistes étrangers pour le réveillon.
Mais l'ambiance n'est pas à la fête: à cause de la mise en quarantaine de la ville, son fils Andy, 25 ans, a dû renoncer à rendre visite à ses parents.
"C'est la première fois qu'il ne rentre pas pour fêter le Nouvel an avec nous", regrette Mme Wang.
Jour 3: Nouvel An... à la pharmacie
Le temple bouddhiste Guiyuan, où des dizaines de milliers de Chinois se pressent habituellement pour célébrer la nouvelle année, est fermé. Les forces de l'ordre veillent à ce que nul n'en approche.
"Personne ne doit s'y rendre pour éviter toute diffusion du virus", lâche à l'AFP un agent de sécurité... sans masque. Il fait gris, froid et pluvieux.
Dans la ville, la traditionnelle sortie du Nouvel An se limite à un passage par la pharmacie où les habitants se ruent avec une certaine anxiété. Ils sont accueillis par du personnel en combinaison intégrale et double masque de protection. Certains produits, comme des cachets contre la fièvre, sont limités à deux boîtes par personne.
A la radio, l'ambiance n'est guère festive pour le passage à l'année du Rat: des messages de prévention rappellent aux auditeurs de porter un masque. Une chanson assure sur un tempo rap que les habitants de Wuhan sont suffisamment "forts pour venir à bout du virus".
Jour 4: Hôpitaux débordés
Dans les hôpitaux visités par l'AFP, des files interminables de patients attendent leur tour pour voir un médecin. L'attente est si longue que certains ont apporté une chaise longue.
Désabusé, un homme fiévreux d'une trentaine d'années se prépare à passer une nuit blanche pour avoir une consultation. "Ça fait deux jours que je ne dors pas et que je suis baladé d'hôpital en hôpital", se plaint-il.
Fait rare: des Chinois abordent spontanément des journalistes étrangers pour décrire une situation apocalyptique dans les hôpitaux. Des corps restent une journée entière avant d'être évacués, rapporte un témoin, évoquant "un film d'horreur".
A une vingtaine de kilomètres du centre-ville, les mesures de quarantaine sont appliquées à la lettre. Aucun véhicule n'est autorisé à quitter la métropole. Mais des infirmières rappelées en catastrophe entrent dans la zone interdite par un péage étroitement gardé, qui fait office de "frontière" avec le monde extérieur.
Jour 5: Un hôpital en 10 jours
Depuis minuit, la circulation "non essentielle" est interdite. Les taxis sont réquisitionnés pour les urgences.
En périphérie, des centaines d'ouvriers s'activent à construire deux hôpitaux dans l'urgence.
Un ballet de pelleteuses et de grues se noue sur un vaste terrain boueux pour livrer en moins de 10 jours un premier établissement capable d'accueillir un millier de malades.
"Nous devons aller vite pour enrayer l'épidémie", confie un ouvrier, qui explique travailler neuf heures par jour et dormir près du chantier.
Alors que les habitants ont reçu pour consigne de se calfeutrer chez eux, certains, comme Zhang Lin, risquent l'infection pour porter assistance à leur prochain.
Avec d'autres volontaires, ils sont volontaires pour conduire gratuitement en voiture des malades vers les hôpitaux.
"Nous devons nous prendre en main et porter assistance", déclare-t-il à l'extérieur d'une clinique, en attendant un patient qu'il ramènera chez lui.
En soirée, en bordure du Yangtsé, le plus long fleuve de Chine, un festival de lumière illumine en rose un pont et une tour de quatre caractères chinois: "Allez Wuhan". Ce slogan deviendra un cri de ralliement.
Jour 6: Partir ou rester?
Au cinquième jour de mise sous cloche de Wuhan, plusieurs pays travaillent à un plan d'évacuation de leurs ressortissants, laissant un peu plus les Wuhanais à leur sort.
L'idée de partir n'enchante pas Rémy, Français installé depuis huit ans dans la ville.
"Nous ici, pour l'instant on est bien", assure le jeune homme de 33 ans, masque bleu sur le visage, alors que passé le Nouvel An, quelques commerces alimentaires ont rouvert leurs portes, permettant aux habitants de se ravitailler.
Les autorités sanitaires ont indiqué la veille que le virus se révèle plus contagieux que le Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) à l'origine d'une épidémie meurtrière en 2002-2003.
Pour autant, assure Rémy, "il n'y a pas de quoi paniquer" car beaucoup d'informations circulant sur les réseaux sociaux sont "fausses".
Le jeune homme ne quitte plus son appartement, tout comme des étudiants dominicains rencontrés par l'AFP, qui attendent désespérément des nouvelles de leur ambassade.
Le docteur Philippe Klein promet quant à lui de ne quitter Wuhan qu'une fois le dernier Français parti. "Ce n'est pas un acte héroïque mais réfléchi", précise celui qui suit depuis six ans la santé d'une partie des expatriés.
Jour 7: Hôtel fantôme
Employés masqués, restaurant fermé et prise de température obligatoire: bienvenue au Marco Polo, un des rares hôtels de Wuhan à n'avoir pas fermé ses portes.
Dès l'entrée, quelque chose cloche: la réception est déserte et un silence pesant tranche avec les décorations du Nouvel an.
En pleine épidémie de coronavirus, le personnel de l'hôtel s'enfuit à la vue des clients, dont les repas sont uniquement servis dans les chambres.
"Quand j'ai ouvert la porte, la femme de chambre a posé le plateau par terre et s'est enfuie comme si elle avait vu un fantôme", raconte un client.
Les pensionnaires ont l'obligation de porter leur masque à l'intérieur même de l'hôtel. Et leurs sorties font l'objet de la plus grande suspicion.
A chaque départ et arrivée, un gardien relève systématiquement la température corporelle des clients et du personnel pour dépister une éventuelle pneumonie.
"En dessous de 37,3, ça va. Au dessus, on prend les mesures nécessaires", énonce Xiao Fan, préposé au thermomètre électronique frontal.
Jour 8: La mort en pleine rue
Sur le trottoir, non loin d’un hôpital, gît le corps d'un homme dont personne ne s'approche. Il y restera plus de deux heures malgré un va-et-vient incessant d'ambulances, appelées sur d'autres urgences.
Impossible de savoir si l'homme est mort du virus. Mais des policiers en combinaison intégrale prennent toutes les précautions avant de s'approcher du corps.
L'homme, âgé d'une soixantaine d'années, est étendu sur le dos, les bras le long du corps. Il porte toujours son masque sur le visage.
Des riverains affolés déconseillent de s'approcher de la scène morbide, avant que le corps soit évacué dans un corbillard. Les lieux seront désinfectés dans la foulée.
"C'est terrible. Beaucoup de gens sont morts ces derniers jours", observe une passante.
Quelques jours plus tard, la presse d'Etat, citant "la famille", affirmera que l'homme, du nom de Xie, n'a pas succombé au coronavirus. La cause de sa mort n'a cependant pas été précisée.
AFP