L’Assemblée nationale vient de voter, le 6 mars, à une large majorité, les amendements constitutionnels préconisés par l’accord de dialogue signé le 20 octobre entre le pouvoir et une partie de l’opposition mauritanienne. Quelle est votre sentiment, vous qui avez voté ce texte ? Avez-vous subi des pressions ou avez-vous été amadoués par le gouvernement pour voter ce texte ?
Sid’Ahmed Ould Ahmed : Avant de répondre à votre question, je tiens à rappeler que ces amendements constitutionnels :
- rentrent dans le cadre du fonctionnement normal de nos institutions.
- constituent la concrétisation des accords signés entre la Majorité et certains partis de l’Opposition lors du dernier dialogue inclusif.
- se traduiront par l’amélioration de nos institutions et contribueront au Développement Economique et Social du pays.
Par rapport à mon sentiment, je considère avoir exercé un devoir envers mon pays et envers ma Majorité. Il est à noter que je n’ai subi aucune pression ni chantage et aucun marchandage de quelque nature que ce soit ne m’a été proposé. C’est le cas-je le pense- de tous mes collègues. Nous avions tous voté sous la seule pression de nos consciences et conformément à notre position déclarée. Une autre attitude serait lâche et hypocrite ; rien ne nous oblige à faire un double jeu.
La plénière a été très mouvementée. Non seulement les partis ayant pris part au dialogue s’y étaient opposés, mais aussi, ceux de l’opposition qui ont eu à dénoncer le passage en force du pouvoir, le racisme d’état et la marginalisation des noirs de Mauritanie. N’avez-vous pas l’impression que ce vote a laissé apparaître au grand jour le problème de la cohabitation entre les différentes composantes du pays ?
S’agissant de l’atmosphère dans laquelle s’est déroulée la plénière, elle était relativement mouvementée mais pas du fait de l’Opposition qui a pris part au dialogue et dont certains membres se sont contentés de rappeler qu’ils préfèrent le référendum au congrès parlementaire. Quant à certains parlementaires de l’Opposition radicale, ils ont- comme d’habitude- tenu des propos de nature à exacerber des problèmes qui n’existent que dans leurs esprits. Malheureusement les propos les plus radicaux ont émané d’un député de la Majorité lorsqu’il a fait remarquer que huit (8) institutions de la République dont les Etats-majors sont dirigés par des maures. Ces propos appellent de ma part les remarques suivantes :
- les forces armées et de sécurité doivent être au dessus des tiraillements et des ambitions personnelles.
- le respect de la hiérarchie et la discipline sont des principes sacrés au niveau de l’institution militaire.
- l’Armée mauritanienne a connu une très grande amélioration au niveau des ressources humaines (amélioration de niveau de vie, formation, santé….) et en terme d’équipement. Elle constitue aujourd’hui la fierté de toute la nation.
- si au niveau de l’administration, le Président de la République nomme à tous les postes de responsabilités selon une multitude de critères sans tenir compte de la formation ou de l’ancienneté des intéressés, les nominations dans l’armée obéissent à d’autres considérations. La hiérarchie, le grade, l’ancienneté sont déterminants dans la carrière et les postes occupés. Au niveau de l’armée, tous les militaires, du Soldat 2eme classe jusqu’au Général de Division, comprennent et adhérent à ces principes auxquelles on ne peut déroger pour faire avancer –sans raisons légitimes- des militaires pour des considérations de race, de tribu, de sexe, etc… La Mauritanie appartient à tous les mauritaniens et la règle des quotas ne s’est jamais appliquée et ne s’appliquera jamais. Notre destin est commun et aucune composante de ce pays ne vivra sur les décombres de l’autre. Je tiens à rappeler que plusieurs négro-africains mauritaniens ont occupé des postes stratégiques importants (la présidence des deux chambres du parlement, des ministères de souveraineté, des ambassadeurs et des chefs d’Etat-major dont trois généraux de brigade en même temps). Ce constat n’a soulevé aucun commentaire de la part des mauritaniens. D’ailleurs la candidature à la présidence de la République est ouverte à tous les mauritaniens sans aucune discrimination.
- L’adoption par le Parlement des amendements constitutionnels a braqué certains dialoguistes qui arguent qu’il revenait au peuple de trancher, parce que également certains d’entre eux n’avaient pas fait l’unanimité lors du dialogue et enfin parce que le président avait pris l’engagement d’organiser un référendum populaire. Pourquoi, à votre avis, le gouvernement a fait machine arrière ? Est-ce à cause tout simplement de l’argent ou parce qu’il craint un désaveu du peuple ?
Je pense qu’il faut patienter. Cette opération comporte deux niveaux et nous ne sommes actuellement qu’au premier stade du processus où les deux tiers de chaque chambre sont requis (98 députés, 38 sénateurs). Une fois ce cap dépassé, le Président de la République décidera de la 2éme et dernière phase à savoir le référendum ou le congrès parlementaire (conformément aux dispositions des articles 99, 100 et 101 de la constitution).
Le Président de la République a, lors de sa dernière rencontre avec la majorité de la classe politique, souhaité la convocation d’un congrès parlementaire pour voter les amendements. Il a cité parmi les raisons logiques qui justifient ce choix, le coût élevé du referendum (Six Milliards d’ouguiyas) qui peuvent être orientés vers le financement de projets sociaux, les coûts d’opportunité liés à la perte de temps que subiront les acteurs politiques, la mobilisation des forces de l’ordre alors que leurs efforts doivent être essentiellement orientés vers la sécurité du pays.
De mon point de vu personnel la pertinence de ce raisonnement est telle qu’il va falloir envisager le choix du congrès parlementaire.
L’opposition croit savoir que lesdits amendements constitutionnels (drapeau et hymne national) ne constituent pas une priorité pour le peuple mauritanien. N’aurait-elle pas raison?
Je tiens à préciser que la constitution donne au président de la République le pouvoir de proposer le contenu de la révision constitutionnelle par lui présentée. Et il n y a rien d’extraordinaire à ce que les partis de l’opposition n’adhèrent pas à ce contenu tant les projets de société qu’ils défendent sont discordants avec celui du Président de la République.
Les forces de l’ordre ont réprimé les sit-in organisés par l’opposition radicale, lors de l’ouverture de la session extraordinaire du parlement de sa séance plénière. Ces manifestations n’étaient-elles pas autorisées ?
Tout d’abord, il faut éviter l’amalgame et la confusion. Je pense, a priori, que dans un Etat de droit comme le nôtre, toutes les manifestations pacifiques doivent être autorisées. Cependant, seuls les pouvoirs publics sont en mesure d’apprécier si telle ou telle manifestation suivant le contexte dans lequel elle se déroule et la nature de ceux qui la dirigent et particulièrement ceux qui y prennent part n’aurait aucun préjudice sur l’ordre public.
Après l’Assemblée Nationale, c’est au tour du Sénat de se prononcer. Malgré son communiqué approuvant ces amendements et réitérant son soutien à la décision du président de la République de dissoudre la chambre haute du Parlement, le gouvernement semble redouter le désaveu de nos « cheikhs » qui ont été reçus par le président et ont bénéficié même de terrains à usage d’habitation. Pensez-vous que les sénateurs vont voter oui, comme l’Assemblée nationale ?
Je voudrais vous rappeler que la demande d’attribution des terrains au profit des parlementaires, à l’image des professeurs du supérieur et des magistrats, a été formulée par les députés et sénateurs depuis la législature passée et n’a aucun rapport avec la situation actuelle. S’agissant de la position des sénateurs par rapport à la révision constitutionnelle, je crois qu’ils sont conscients aussi bien de l’importance et de la portée de celle-ci que du fait qu’elle n’est pas dirigée contre eux. La suppression de la haute chambre est un choix de système institutionnel qui engage toute la majorité politique dont ils font partie pour leur écrasante majorité. Aussi, je pense qu’ils voteront ce projet de loi par discipline politique et par loyauté envers le président de la République.
A quoi serviraient, à votre avis, des législatives et municipales anticipées, à quelque une année et demie de la fin de leur mandat et qui, sans aucun doute, seraient boudées par l’opposition dite radicale, si d’ici là, il n’y pas de dialogue inclusif? La majorité serait-elle favorable, comme le laissent croire les rumeurs, à un dialogue inclusif ?
Ce pouvoir de convocation d’élections anticipées revient au Président de la République, dont les actions tiennent toujours compte, en premier lieu, de l’intérêt du pays. Le fait que l’Opposition ne participe pas aux élections n’entache en rien la légalité et la légitimité d’un scrutin. Pour autant en démocratie, il faut que les conditions de nature à garantir des élections libres et transparentes soient réunies mais on ne peut contraindre personne à se présenter ou à voter. Le refus de participer aux élections ne confère pas un droit de véto sur le processus électoral. Pour ce qui est du dialogue, je pense que la Majorité doit être toujours favorable au dialogue inclusif qui est une vertu et un idéal auxquels il faut toujours aspirer.
Propos recueillis par DL
source le calame.info