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Santé reproductive et planning familial en Mauritanie, ou les effets induits du Global Gag Rule

Jeudi 25 Octobre 2018 - 17:30

Santé reproductive et planning familial en Mauritanie, ou les effets induits du Global Gag Rule
« Trois jours après son investiture, le 23 janvier 2017, le président Trump a annoncé, par décret, le rétablissement du Global Gag Rule (GGR) ou « Règle du bâillon » qui interdit le financement par les Etats-Unis d’organisations qui proposent des services d’avortement légal ou délivrent une information complète en matière de santé sexuelle et reproductive » selon une tribune publiée en février 2017 par le site Libération. En Mauritanie, cette décision a considérablement réduit la mise en œuvre du programme-pays dans le domaine de la santé de la reproduction et du planning familial (SR/PF) piloté par l’UNFPA, ainsi que les activités de la principale organisation spécialisée dans le domaine, l’Association mauritanienne pour la planification familiale (AMPF).

« Que cela soit au camp des réfugiés maliens de MBerra (localité située sur la frontière avec le Mali) où nous gérons une clinique mobile en partenariat avec l’UNFPA ou dans nos autres structures à Nouakchott, Nouadhibou, Kiffa, Kaédi ou Rosso, le GGR se fait sentir. Nous avons diminué de moitié le nombre du personnel ainsi que nos activités » a déclaré Yacoub Ould Ebnou, directeur de programme à l’AMPF.

La Mauritanie peu touchée par le GGR

Yacoub Ould Ebnou reconnaît que l’AMPF, ONG mauritanienne spécialisée en santé de la reproduction et planning familial (SR/PR) a subi les conséquences du décret Trump sur la santé, le Global Gag Rule (GGR), encore appelée « Règle du bâillon mondial ». Et de rappeler que l’AMPF tire ses financements de l’International Planned Parenthood Federation (IPPF) qui à l’instar d’autres organisations internationales a refusé d’adhérer au Décret Trump, qu’il a baptisé "Protection de la vie dans le cadre de l’aide pour la santé mondiale ». De ce fait, elle est exclue des financements américains. « Nous n’avons pas cependant de problèmes d’approvisionnement en produits contraceptifs, et le financement de l’IPPF, à travers d’autres partenaires nous permet de mener nos activités, même si ces dernières ont plus ou moins diminué  » a encore souligné Yacoub Ould Ebnou qui reconnaît que c’est surtout sur le plan de la logistique (véhicules de commodité qu’elle recevait tous les 5 ans) où l’AMPF risque d’avoir des problèmes.

Même son de cloche du côté du Bureau UNFPA-Mauritanie, où le chargé de programme SR/PF, Bocar MBaye reconnaît que le GGR a eu un impact considérable sur la réduction des fonds alloués à la santé reproductive et au planning familial, notamment des effets réels sur la mise en œuvre de la politique-pays en la matière. « Il faut rappeler que la contribution des Etats-Unis sur la SR/PF, 7% du budget global (8, 8 milliard de dollars US), est la plus importante au monde. Mais ce qui nous intéresse, c’est l’engagement des Etats-Unis en tant que pays, et de ce côté-là, il n’y a pas de souci » a-t-il conclu. Selon Bocar MBaye, le GGR a impacté surtout sur la formation du personnel médical et les campagnes de sensibilisation, où des coupes sèches ont été opérées. Il se réjouit tout de même de la poursuite de l’approvisionnement régulier du pays en produits contraceptifs et de leur distribution gratuite au niveau des structures de santé.

Du côté du Ministère de la Santé, notamment au Programme national de la santé de la reproduction (PNSR), les effets du GGR semblent être peu ou pas ressentis du tout, vu le faible volume de financement reçu par la Mauritanie dans ce domaine (à peine 2, 2 millions de dollars). « L’Etat mauritanien est fortement engagé dans le repositionnement de la PF à travers son Plan d’action 2014-2018. En matière d’accélération de la PF, la Mauritanie a largement dépassé ses engagements dans le cadre du Partenariat de Ouagadougou  » a déclaré Dr.Sidi Mohamed Ould Abdel Aziz, Coordinateur du PNSR. En effet, au lieu des 48.000 nouvelles utilisatrices prévues d’ici 2020, la Mauritanie a dépassé le cap des 55.000 utilisatrices additionnelles, selon des chiffres avancés par Dr.Mohamed Lemine, ancien cadre du PNSR en marge d’un atelier de revue à mi-parcours du Plan d’action national budgétisé (PANB 2014-2018) en octobre 2017.

Les experts craignent que le GGR puisse compromettre les engagements des pays par rapport aux objectifs du Partenariat de Ouagadougou et du PF 2020, voire même de l’Agenda 2030 sur les Objectifs du Développement Durable (ODD),

Le PAI dans le plaidoyer

PAI est une organisation non gouvernementale américaine très engagée dans le plaidoyer contre le GGR. C’est dans ce cadre qu’elle avait organisé en juillet 2018 un atelier de formation à l’intention d’une douzaine de journalistes ouest-africains pour les sensibiliser sur les conséquences de la « Règle du bâillon mondial ». Depuis que le Décret Trump est entrée en vigueur le 15 mai 2017, PAI a produit une série de documentaires sous le titre "Acces Denied" et travaille avec plusieurs partenaires et des responsables américains pour atténuer les effets négatifs de cette loi sur la santé mondiale. D’où la mise en place d’un fonds alternatif, "SheDecides" avec le concours de plusieurs pays et organismes.

Il faut dire que les effets dévastateurs du GGR se font sentir dans les pays les plus démunis. En Ouganda, le GGR a fait perdre à l’ONG « Reproductive Health  » 30% de ses fonds, soit 300.000 dollars par an, tout comme elle a privé en Ethiopie, l’ONG « Family Guidance Association » d’un financement de cinq ans qui lui a été accordé en 2017, soit 2 millions de dollars par an. Au Sénégal, ce sont 80.000 femmes par an qui ne pourront plus recevoir l’appui de l’ONG « Marie Stop International  ».

Selon Dilly Severin, experte au sein du PAI, "le décret de Trump ne touche pas seulement les services de planning familial, mais d’autres secteurs de la santé de la reproduction, comme l’approvisionnement en produits contraceptifs, ainsi que d’autres services de santé, comme le VIH/Sida, la tuberculose, le paludisme, la nutrition, l’aide humanitaire d’urgence entre autres". Selon elle, les Etats n’ont pas encore pris conscience de l’ampleur des effets pervers de cette politique, pensant que cela ne concerne que les ONG. Or, précise-t-elle, "il y a de ces organisations non gouvernementales qui fournissent des services de santé de la reproduction dans des endroits reculés non couverts par les services publics". Pour elle, "si après 2018, rien n’est fait pour amender cette politique, c’est par exemple la moitié du programme de l’ONG "Marie Stop International" qui risque de disparaître ; si l’on sait que cette organisation couvre 27 pays depuis 30 ans, ce sont 30 millions de dollars de subvention qu’elle perd".

Pour Hiwa Isabelle Somian de "Marie Stop Sénégal", ce sont "90.000 étudiantes de l’Université Cheikh Anta Diop au Sénégal, quelques 80.000 femmes par an vivant dans des coins reculés du pays, six cliniques mobiles qui offraient des services en santé de reproduction et planning familial qui sont touchées". Conséquences, selon elle, "6,5 millions de grossesses non désirées ne seront plus traitées, sans compter les 2,1 millions d’avortement à risque et les 2.600 décès maternels à risque à escompter".

DIEH MOCTAR CHEIKH SAAD BOUH DIT Cheikh Aidara

source lauthentic.info
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