Par un arrêt rendu le jeudi 5 Décembre, le Conseil Constitutionnel de Mauritanie a rejeté le recours pour anti-constitutionnalité de l’article 02b de la loi 2016-014 relative à la lutte contre la corruption. Introduite le 27 Novembre dernier, la requête des avocats de l’ex-Président Aziz visait à contester le statut de fonctionnaire du président de la République. La décision du juge constitutionnel intervient sur la toile de fond d’une vive polémique, bien au-delà de la grande bataille devant le prétoire. Ce qui ne surprend guère, compte-tenu de la nature d’une affaire politico-judiciaire qui fait les choux gras de la presse nationale et internationale, tenant en haleine, depuis près de cinq ans, de larges franges de l’opinion en Mauritanie, dans la sous-région et bien au-delà. Après cet arrêt, le dossier revient à la juridiction d’appel qui devrait rendre un verdict sur le fond de l’affaire au cours des prochains mois, avec la perspective d’un combat sans concession entre les protagonistes d’une des affaires les plus marquantes des annales judiciaires de la Mauritanie.
À travers un verdict rendu en Janvier 2023, Mohamed Abdel Aziz, ancien président de la République (2009/2019), avait été condamné en première instance à cinq ans de prison ferme et à la confiscation de ses biens pour « enrichissement illicite et blanchiment » mais blanchi de cinq autres infractions écartées par la juridiction chargée de la répression des infractions à caractère économique et financier.
Satisfaction des avocats de la partie civile
Dans un communiqué rendu public juste après le verdict du Conseil Constitutionnel, le collectif des avocats de la défense des intérêts de l’État mauritanien, constitué partie civile dans le dossier, salue la décision de la Haute cour articulée « en trois volets, avec l’affirmation, sans détours, de la conformité à la loi fondamentale de l’article 02 alinéa b de la loi relative à la lutte contre la corruption, qui prévoit que le président de la République est, comme tout autre élu pour exercer une charge publique, justiciable devant les juridictions de Droit commun pour les infractions de corruption commises durant l’exercice de son mandat. Le point de Droit ainsi tranché constitue l’objet du recours en inconstitutionnalité formé par le collectif des avocats de la défense de l’ancien président de la République ».
Le deuxième aspect relevé par ledit collectif d’avocats coordonné par maître Brahim Ebety met en exergue la posture du juge constitutionnel, affirmant en outre « que la loi de 2016 relative à la lutte contre la corruption, ne porte pas préjudice aux prérogatives et droits conférés au président de la République par l’article 93 de la Constitution. La décision du Conseil Constitutionnel écarte ainsi un moyen dont n’a cessé de se prévaloir la défense du principal accusé, Mohamed Abdel Aziz, pour soutenir que celui-ci jouissait d’une immunité absolue, le mettant à l’abri de toutes poursuites pénales devant les juridictions de Droit commun, pour des faits de corruption qui lui sont reprochés ».
Un autre motif de satisfaction tiré de l’arrêt rendu le 5 Décembre porte sur les modalités de publication et de diffusion de la décision dont le collectif des avocats de la partie civile rappelle « qu’elle revêt l’autorité de la chose jugée, s’imposant à l’universalité des juridictions nationales, à l’ensemble des institutions de l’État, à toutes les autorités gouvernementales et bien évidemment aux justiciables ». Par ailleurs, le communiqué desdits avocats reproche à ceux de la défense une tentative d’instaurer une confusion dans l’opinion par « une lecture insolite de la décision du Conseil Constitutionnel ou d’en tordre le coup, pour la rendre conforme et ses désirs et souhaits. Une attitude qui se heurte à la réalité tangible ».
Vive colère des avocats de la défense
Maître Mohameden ould Ichidou, membre du collectif des avocats de la défense de Mohamed ould Abdel Aziz, relève de prime abord le caractère « illégal » de la formation d’un collectif d’avocats pour défendre les intérêts de l’État dans le traitement judiciaire de cette affaire enclenchée « en violation flagrante de l’article 93 de la Constitution ». Puis, motivant la saisine du Conseil Constitutionnel, l’avocat met en avant un enjeu capital : « faire échec à un coup d’État judiciaire contre la Constitution ». Selon lui, toute cette affaire n’est que l’expression voilée d’un coup fomenté par le pouvoir exécutif contre un texte constitutionnel clair, mais étouffé à dessein par une interprétation erronée, émanant d’une autorité incompétente qui l’a altéré par un recours systématique à la perversion des faits et l’altération des textes régissant la procédure ; le tout dans le but de nuire de manière préméditée à un adversaire politique qui n’a commis aucun acte répréhensible et qui est, de surcroît, protégé par la Constitution, le texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes juridiques ».
Maitre Ichidou jette un regard dans le rétroviseur pour rafraîchir les mémoires au sujet de la conduite d’un dossier de plus de deux mille pages, depuis la commission d’enquête parlementaire « drapée d’illégalité mais qui malgré tout, n’a jamais incriminé le président de la République qu’elle a estimé ne pouvoir être poursuivi qu’en cas de haute trahison » ; aux réquisitions du Parquet en date du 6 Août 2020, destinées à un Officier de Police Judiciaire (OPJ), le directeur de la Lutte contre la Délinquance Économique et Financière, commis à diligenter une enquête préliminaire sur des faits contenus dans le rapport de la CEP et qui a allègrement violé les instructions reçues, orientant son enquête vers les biens de Mohamed Abdel Aziz, les membres de sa famille et son entourage, commettant ainsi un acte de rébellion ».
Au-delà de la guerre de tranchées sur le terrain du Droit, de toutes les piques et prises de position qui accompagnent le traitement de cette affaire sentant la politique à plein nez, les Mauritaniens attendent la suite d’un feuilleton qui a surpris de nombreux observateurs au fait des rapports de proximité unissant l’actuel président de la République et son prédécesseur, « ami de quarante ans ». Comment en effet imaginer des poursuites contre Ould Abdel Aziz sans l’aval de son vieux frère d’armes, Mohamed Cheikh El Ghazouani, dans un contexte de gouvernance permissive depuis quarante-six longues années, avec une opportunité de poursuites à la diligence d’un Parquet hiérarchisé dont le chef est le ministre de la Justice ? L’arrêt de 5 Décembre n’a certainement pas tout dit de l’anguille sous la roche…
Seck Amadou
lecalame