Il n’en perd pas une goutte. Dans le wagon joliment tapissé de wax bleu et mauve, Samouri Gouri, 23 ans, prépare le fameux thé mauritanien. Peu importe les coups de frein et les balancements incessants du train. D’un geste précis, il verse et reverse le précieux liquide doré d’un verre à l’autre, en levant les mains toujours plus haut. « Il faut beaucoup de mousse pour que le verre soit joli », explique le jeune homme coiffé d’un chèche noir. En Mauritanie, le thé, c’est sacré. « On est vraiment chouchoutés », s’extasie Carole Brunel, 45 ans, les yeux pétillants de joie. « Ce train est extraordinaire, j’ai l’impression d’être dans une bulle de confort en plein Sahara ! ».
Parti de Choum, une petite localité du nord de la Mauritanie, le train du désert fait route plein nord, en direction du Tiris Zemmour. A son bord, une quinzaine de Français venus tenter l’aventure mauritanienne, à l’image de Carole. Emerveillée, cette enseignante ne décroche pas le paysage du regard. Entre dunes de sable ocre et pitons de roche brune, le désert défile dans toute sa splendeur. Par la fenêtre, des troupeaux de dromadaires arpentent les immensités en quête de sbat, l’herbe à chameaux en hassaniya, la langue des Maures. Cachées entre les acacias, des khaïmas, les tentes traditionnelles des nomades, se laissent deviner. Vitesse maximale du train : 60 km/heure. Idéal pour contempler.
Amélioration de la sécurité
Lancé en 1998 par la coopérative Point-Afrique, le train du désert est le fruit d’une idée originale de son directeur, Maurice Freund : embarquer des touristes sur l’unique voie ferrée de Mauritanie et de tout le Sahara, la voie du train minéralier. Mis en service par les Français en 1963, ce train commercial transporte le fer de la mine de Zouérate, dans le nord du pays, jusqu’au port de Nouadhibou sur l’Atlantique, à travers 700 kilomètres de Sahara. En circulant sur la même voie, le train du désert est une formidable opportunité de découvrir le quotidien des habitants qui vivent le long de la voie ferrée.
Après avoir très bien fonctionné jusqu’en 2005, ce circuit touristique a disparu avec la montée de l’insécurité dans le pays. Frappée par plusieurs attaques terroristes, dont celle d’Aleg en 2007 où quatre Français avaient péri, une partie de la Mauritanie a été placée en zone rouge par le ministère des Affaires étrangères en 2010. Le tourisme saharien, qui s’était développé dans les années 1990 avec la création de vols directs Paris-Atar, s’est écroulé en quelques années, faisant perdre à ces régions une activité économique importante.
Mais depuis deux ans, un vent nouveau souffle sur le désert. Grâce aux efforts réalisés par les autorités en matière de sécurité, la France a allégé ses recommandations aux voyageurs dans cette région. Depuis mars, le circuit du train du désert est situé à cheval entre zone jaune - vigilance renforcée - et zone orange - déconseillée sauf raison impérative. Un changement qui a permis au train de redémarrer. Depuis cet hiver, il est de nouveau sur les rails.
Monstre de fer et d’acier
PK 555. Notre locomotive jaune et bleue s’arrête. « Préparez-vous, on va croiser le minéralier ! », nous lance avec un grand sourire Sid’Ahmed Tahan, le guide. Dans sa cabine de pilotage, Alassane Ba est en pleine manœuvre. « La voie ferrée est unique donc on se met sur une voie d’évitement pour laisser passer le minéralier », explique le conducteur. « Il a la priorité, il transporte le fer du pays ! ». Mahfoud, l’aide de bord, saute du train pour faire l’aiguillage manuellement. Les voyageurs se ruent sur une plateforme à l’avant de la locomotive. Juché à bonne hauteur, Christian Ross, 53 ans, trépigne d’impatience. « Quand j’ai su qu’on pourrait voir le minéralier, ça m’a motivé à faire ce voyage », confie ce cheminot passionné de trains. Un immense phare apparaît au loin. Trois locomotives rutilantes déboulent dans un nuage de sable et de poussière. Derrière elles, plus de 150 wagons remplis de fer déferlent dans un vacarme tonitruant. Christian est ébahi. « C’est le train de tous les records ! Il est connu comme le plus long et le plus lourd du monde », s’émerveille-t-il alors que le monstre de fer et d’acier n’en finit pas de passer. Long de 2,5 kilomètres, le minéralier peut peser jusqu’à 17 000 tonnes.
Artère vitale
Au bout de quelques minutes, il est enfin arrêté. Assis à même le minerai, des Mauritaniens nous saluent. « Il y a une voiture voyageurs en queue de train mais certains montent dans les wagons car c’est gratuit », explique Sid’Ahmed. Le minéralier est le seul moyen de transport direct entre Zouérate et Nouadhibou, la capitale économique du pays. De Zouérate à Choum, il existe une route goudronnée. Mais ensuite, seule une piste permet de faire les 460 kilomètres de Choum à l’Atlantique. Malgré un voyage long et éprouvant - plus de 18 heures -, nombreux sont donc les Mauritaniens à emprunter le minéralier. Parmi eux, on trouve particulièrement des commerçants. « A Zouérate, j’achète des produits alimentaires algériens bon marché, comme des pâtes ou des biscuits, et je les vends à Nouadhibou », explique Abderrahmane Barke, 33 ans, posé sur un tas de fer au milieu de ses cartons. Les wagons spacieux permettent aux commerçants de transporter de nombreuses marchandises. A quelques mètres, des hommes s’agitent dans un concert de cris et de bêlements. Des chèvres volent des wagons. Ils se dépêchent de décharger leur troupeau avant le départ du train. Dans les minéraliers en provenance de Zouérate, on trouve souvent des poulets, des chèvres et même des dromadaires ! La région du Tiris Zemmour est en effet connue pour ses excellents pâturages. Son bétail est donc très prisé. En retour, les commerçants amènent le poisson de Nouadhibou jusqu’aux villages les plus reculés de l’intérieur, en plein cœur du désert. En plus de transporter le fer, le minéralier est donc une véritable artère pour le nord du pays.
Far-west à la mauritanienne
Après 190 kilomètres parcourus en cinq heures, nous approchons de la cité minière de Zouérate. Le paysage a radicalement changé. Le sable ocre a laissé place à une terre rouge. Le soleil couchant enflamme les crêtes de la Kedia d’Idjil. C’est là, au cœur de cette chaîne de montagnes culminant à 900 mètres, qu’est extrait le fameux minerai. Un air de « far-west » plane sur cette ville de 44 600 habitants, située à plus de 750 kilomètres au nord-est de la capitale Nouakchott. Créée ex-nihilo à la fin des années 1950 par la Société des mines de fer de Mauritanie (Miferma) – l’entreprise française qui a exploité la mine jusqu’à sa nationalisation en 1974 -, cette cité du Nord est pourtant une ville stratégique. Le secteur minier est le pilier de l’économie avec une contribution d’environ 30 % aux recettes annuelles de l’Etat.
Au petit matin, direction la mine pour une plongée dans un autre monde. Ici tout est démesuré. La fosse d’extraction est tellement profonde qu’on n’en voit pas le fond. De gigantesques pelles creusent les entrailles de la terre puis déversent les blocs dans d’énormes camions. Charge maximale des engins : 150 à 200 tonnes. La mine tourne 24h/24. Direction ensuite le concassage, où le minerai est broyé dans un fracas assourdissant. Des nuages de poussière rouge s’élèvent dans le ciel bleu azur de ce début février. Enfin, des tapis acheminent la précieuse matière jusqu’au train. Chaque wagon est chargé en 20 secondes. « Nous exportons environ 13 millions de tonnes de fer par an », explique avec fierté Mohammed Boye, responsable sécurité du site. « Ce minerai est la colonne vertébrale de notre économie, il est vital pour nous ». La SNIM, la Société Nationale Industrielle et Minière, a de plus grandes ambitions : intégrer le top 5 mondial des exportateurs de fer à l’horizon 2025 avec 40 millions de tonnes par an.
« Yalla, on embarque ! ». A la nuit tombée, le train du désert repart vers Ben Amira, à 250 kilomètres au sud. Après un dîner et une soirée de contes animée par Sid’Ahmed, les voyageurs s’installent dans la voiture-couchette. Dehors, la pleine lune illumine la nuit saharienne. Malgré l’heure tardive, Carole Brunel a du mal à fermer les yeux. « C’est magique. Avec la lumière de la lune, on dirait qu’il a neigé sur les dunes ».
A l’aube, les yeux s’ouvrent sur une merveille du Sahara. Le monolithe de Ben Amira trône sur le petit village du même nom. Haut de 550 mètres, c’est le troisième plus haut monolithe au monde, après Ayers Rock et le mont Augustus en Australie. Mais ce matin, une toute autre « merveille » intéresse cette bourgade, où une trentaine de familles vivent directement de la voie ferrée. Le « train-service » est arrivé hier soir. Dans le village, c’est l’effervescence. Une fois par semaine, ce train ravitaille en eau et en carburant les villages situés le long de la voie. Il transporte même un magasin ambulant. Installés sur des plateformes à l’air libre, quelques commerçants attendent les acheteurs au milieu de leurs cartons. Sucre, thé, huile, savons, piles, éponges, allumettes, on y trouve de tout, et pour moins cher que dans le village. Alors, c’est la ruée. « J’ai acheté une pommade contre le rhume. Je ne la trouve qu’ici, il n’y a pas de pharmacie chez nous », témoigne Qlal Dedech, 66 ans, emmitouflé dans sa capuche.
Terre de nomades
En fin d’après-midi, le groupe s’installe dans le campement situé à quelques kilomètres du village, au pied du monolithe. Composé de jolies khaïmas blanches, les tentes traditionnelles des nomades, il offre une vue magnifique sur le désert. Quelques dunes plus loin, un groupe de gendarmes est positionné pour assurer notre sécurité. Pas de quoi effrayer Joël Galtier, 63 ans, qui ne s’inquiète pas de voyager dans une zone classée orange - déconseillée sauf raison impérative - par le Quai d’Orsay. « Il y a un travail à faire pour démystifier cette région et faire savoir qu’elle est sûre », estime ce chef d’entreprise originaire de Montpellier. Ce soir, il dormira sur ses deux oreilles, bercé par le silence saharien, sous un splendide ciel étoilé.
Le lendemain, Sid’Ahmed nous emmène pour une magnifique randonnée jusqu’à un autre géant de granit surnommé Aïcha. La belle du désert apparaît enveloppée dans un océan de dunes. Sa roche noire contraste avec le sable ocre. Haut de 480 mètres, Aïcha abrite des trésors cachés : des peintures rupestres vieilles d’environ 5 000 ans, représentant des scènes de chasse et des bovidés. Au détour d’un acacia apparaît Moulaye, un berger d’une vingtaine d’années accompagné de ses chèvres. « Je viens ici car il y a beaucoup d’herbe. Il a bien plu cette année », se réjouit-il avant de courir après son troupeau. Terre de nomades, cette région compte en réalité des dizaines de monolithes. « Chacun a son nom et son histoire. Ils permettent aux nomades de se repérer dans l’immensité », explique Sid’Ahmed.
Comme à Ben Amira, le nomadisme est en voie de disparition en Mauritanie. Selon le recensement de 2013, ils ne seraient plus que 1,9 % de la population à vivre ainsi, contre 75 % au lendemain de l’indépendance. Malgré tout, le pays conserve des vestiges de ce mode de vie. De retour à Choum, nous troquons le train du désert contre des 4x4, direction Chinguetti, à 185 kilomètres de route. Posée au milieu de l’erg Ouarane, la capitale culturelle de la Mauritanie apparaît blottie dans les dunes. Une jolie mosquée au minaret carré domine le vieux ksar, un village fortifié en banco et en pierre taillée. Fondée au XIIIème siècle, cette ancienne ville caravanière a longtemps été un lieu de transit pour les commerçants qui traversaient le Sahara. Cette activité a permis d’intenses échanges culturels et religieux. Parfois considérée comme la septième ville sainte de l’Islam, la cité attira à partir du XVIIe siècle de nombreux pèlerins et savants venus se former dans ses écoles coraniques. Son rayonnement était tel que la Mauritanie était connue comme « Bilad Chinqit », le pays de Chinguetti.
Espoir pour les habitants
De cette époque faste, la ville conserve onze bibliothèques familiales riches de milliers de manuscrits. La famille Habott en a rassemblé à elle seule 1 400. « Mon aïeul les a ramenés de La Mecque et d’Andalousie », explique Abdallah Ghoullam, le conservateur. Ils traitent d’astronomie, de grammaire arabe et de théologie musulmane. « Grâce à ses bibliothèques, Chinguetti continue de rayonner à travers le monde. Je suis fier de transmettre la richesse de ma famille, et à travers elle, de mon pays ». Depuis 1996, Chinguetti est classée à l’Unesco pour ce patrimoine universel.
Après dix ans sans tourisme, cette cité d’environ 5 000 habitants se réjouit de voir revenir les voyageurs. Pour sa première saison, le train du désert a déjà attiré 282 personnes. « C’est un succès pour un circuit qui vient tout juste de redémarrer », se réjouit Kadi Mehdi, le directeur de l’agence Mauritanides, qui opère ce voyage. « Et le train est déjà plein de Noël à mars 2020 ». Une relance du tourisme synonyme d’espoir pour de nombreuses populations, à l’image de Tekber Ghollam, 65 ans, qui dirige une coopérative de femmes à Chinguetti. Elles y fabriquent toutes sortes d’objets : nattes et paniers en feuilles de palmiers, objets en peau ou en laine de chèvre. « Seuls les touristes achètent notre artisanat traditionnel », constate-t-elle. « On espère que les étrangers vont revenir pour relancer notre activité et ramener de la vie à notre cité ».
Y ALLER
Ce reportage sur le circuit « Train du désert » a été réalisé en partenariat avec l’agence Point-Voyages. Départs d’octobre 2019 à avril 2020. Durée : 8 jours. www.point-voyages.com
Les plus aventureux peuvent aussi tenter le voyage à bord du minéralier. Deux options : voyager dans les wagons de minerai (gratuit ; prévoir chèche et lunettes pour se protéger du soleil et de la poussière de fer) ou dans l’unique voiture voyageurs du train, la « dweira » (billet à acheter directement à bord). Dans les deux cas, prévoir la nourriture et un couchage pour les 18 heures de voyage.
Enfin, pour d’autres séjours dans les dunes et les oasis de l’Adrar, il est également possible de réserver un vol sec Paris-Atar avec l’agence Point-Afrique et d’organiser son séjour avec une agence sur place.
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