Le procès dit de la Décennie opposant l’État mauritanien – et donc tout un peuple – à l’ex-président de la République aborde enfin son dernier virage. Après les auditions marquées par des reports et suspensions, la parole est enfin au procureur et aux avocats. Le ministère public n’y est pas allé du dos de la cuillère. Dans son réquisitoire long de plusieurs heures, le procureur de la République, Ahmed ould Moustapha, a requis une peine de prison ferme de vingt ans contre le principal accusé, Mohamed Ould Abdel Aziz, en détention préventive depuis Janvier dernier 2023, peine assortie d’une amende de dix millions d’ouguiyas et de la confiscation de tous les biens saisis. Implacable conclusion d’un exposé détaillant les faits de corruption et de malversation dont l’ex-Président est accusé. S’il est suivi par le tribunal, ce verdict consacrera la déchéance de MOAA qui ne cessait de réaffirmer sa volonté de poursuivre sa carrière politique. « Les charges retenues contre l'ancien président Ould Abdel Aziz se rapportent toutes à des faits et des actions spécifiques attestés par des preuves avérées», ont tenu de leur côté à souligner les conseils de l’État. On s’attend donc à ce que leurs plaidoiries appuient le réquisitoire du procureur de la République.
Celui-ci n’a pas été plus tendre envers avec les coaccusés de l’ex-Président : dix ans de prison ferme pour les deux anciens Premiers ministres, Yahya Ould Hademine et Mohamed Salem Ould Béchir, les deux ex-ministres Ould Oudaa et Ould Abdi Vall, l’ancien DG de la SOMELEC, Mohamed Salem Ould Brahim Vallet l’ancien président de la Zone franche de Nouadhibou, Mohamed Ould Daf avec confiscation de leurs biens. Cinq ans fermes pour les autres chargés d’« enrichissement illicite, abus de fonctions, trafic d'influence » et/ou« blanchiment et dissimulation de revenus provenant d’activité criminelle ». Le retour des avocats de la défense de MOAA promet de belles empoignades : ils jurent déjà de « démolir » tous les faits reprochés à leur client, en démontrant qu’il s’agit d’un procès politique illégal – on connaît leur passion envers l’article 93 de la Constitution garantissant l’immunité à leur client – règlement de comptes et autre coup politique tordu…Le tribunal appréciera.
Plus qu’un verdict, un fer de lance pour délivrer le pays
L’ex-président de la République répond avec dix autres personnalités – dont deux de ses anciens premiers ministres, des anciens ministres, des hommes d'affaires et des proches – de graves chefs d’accusation : enrichissement illicite, abus de fonctions, trafic d'influence, blanchiment, etc. Plus clairement, on lui reproche d'avoir abusé de sa position pour amasser une fortune colossale et octroyé des avantages indus en matière de marchés publics. Des faits gravissimes pour un président de la République, une première dans notre pays, alors que l’écrasante majorité de la population peine à tirer le diable par la queue.
Ce procès qui touche à sa fin a démontré combien la gestion des biens publics du pays était bancale ; comment les dirigeants de l’époque ont abusé de leur posture pour se jouer de leurs concitoyens ; l’ampleur de l’échelle où se jouaient la corruption et la gabegie… Les enquêtes ont révélé que presque tous les responsables mauritaniens confondent sans sourciller leurs poches et les caisses de l’État. Plus grave, aucun haut responsable n’avait osé lever le petit doigt pour dénoncer ou se désolidariser des dérives et abus de l’ex-Président et de certains de ses proches et collaborateurs. Tous doivent répondre de leur complicité. Notre sainte religion ne l’exige-t-elle pas ? Tous les présumés coupables doivent payer pour leurs délits ou crimes, sans quoi la lutte contre la gabegie dont se vante l’actuel pouvoir n’aurait aucun sens. Oui, le procès de la Décennie est un véritable test pour la justice mauritanienne !
Si le régime a laissé le processus se poursuivre jusqu’à cette étape des plaidoiries, en dépit des exceptions, des reports et des retraits de la défense de l’ex-Président, il revient désormais au tribunal spécial de mener le procès à bon port pour sortir la tête haute. Un gros challenge. C’est ce que les Mauritaniens attendent de lui, alors que tant d’entre eux doutaient de la réussite de cette première en Mauritanie : juger, voire condamner un président de la République pour faits de corruption. Les documents révélés et les témoignages à charge ont déjà exposé la gravité de la situation, le peuple et nos partenaires en sont tombés des nues :la corruption et le détournement des deniers publics sont devenus une gymnastique banale des responsables mauritaniens qui ne se préoccupent que de leurs poches.
Le président de la République a beau proclamer sa volonté d’éradiquer cette gangrène, taper du poing sur la table devant des ministres et secrétaires généraux, rien ne changera tant que des sanctions fortes ne seront pas prises contre les criminels économiques, alors qu’ils sont encore ordinairement recyclés, quelques mois après leur limogeage. Le tribalisme, le népotisme et le clientélisme assurant leur impunité puis leur réhabilitation sont à ce point incrustés dans notre administration qu‘ils en sont devenus des rouages traditionnels, pour ne pas dire essentiels. Les rapports de la Cour des Comptes qui viennent de tomber ont prouvé, une fois encore, combien ce cancer gangrène la République. Quasiment aucun secteur n’est épargné, la gabegie tient les responsables mauritaniens à la gorge mais c’est tout le pays en souffrance qui réclame d’en être libéré !
Dalay Lam
lecalame